Deux ans depuis la tentative de coup d’État de l’armée birmane, plus de cinq ans depuis ses attaques génocidaires de 2017, et après ses décennies d’atrocités contre nos communautés, nous, Women’s Peace Network, nous sommes en proie à une tragédie et à une rage indescriptibles. L’armée reste libre de brutaliser le pays tout entier, même après avoir assassiné près de 3 000 civils, arrêté et détenu arbitrairement plus de 17 000 personnes, et torturé des centaines de milliers d’autres en seulement deux ans. Ses forces intensifient leurs frappes aériennes et l’utilisation d’armes lourdes dans l’État Chin, la région de Sagaing, l’État Karen, l’État Kachin, l’Arakan et de nombreuses autres régions où résident nos communautés. Tant dans ces régions que dans les prisons et les centres d’interrogatoire du pays, les militaires patriarcaux et misogynes s’en prennent aux femmes et aux filles en leur faisant subir les formes les plus brutales de la violence sexuelle. Les Rohingyas sont maintenant confrontés à un risque croissant d’attaques génocidaires de la part de l’armée : au cours des deux dernières années, la junte a émis et réémis des politiques et des restrictions pour arrêter et détenir au moins 2700 Rohingyas, dont plus de 800 femmes.
Ensemble, ces atrocités obligent des centaines de milliers de civils à fuir pour se mettre en sécurité. Ils rejoignent aujourd’hui plus d’un million de personnes déplacées et de réfugiés à qui l’on refuse depuis longtemps un retour durable et volontaire chez eux, et qui sont désormais confrontés à un accès de plus en plus difficile aux besoins essentiels et aux moyens de subsistance. Au Bangladesh, en Inde, en Malaisie, en Thaïlande et dans d’autres pays d’Asie du Sud et du Sud-Est, un nombre croissant de ces réfugiés sont arrêtés, détenus ou expulsés de force. Une mort lente et douloureuse les attend tous, alors que beaucoup d’entre eux n’ont eu d’autre choix que d’échapper à de graves violations de leurs droits en affrontant le trafic d’êtres humains et d’autres abus mettant leur vie en danger, par-delà les terres et les mers.
Pourtant, nous faisons de notre mieux pour espérer. C’est en effet la seule façon de persister dans notre lutte résiliente pour notre avenir démocratique fédéral, où les Rohingyas et toutes les autres communautés historiquement marginalisées pourront obtenir justice, paix, liberté et égalité des droits. Nous sommes donc encouragés par le fait que nos appels pour cet avenir sont maintenant accueillis par une plus grande action pour la justice et la responsabilité par rapport à l’année qui a suivi, et aux décennies qui ont précédé, la tentative de coup d’État. Les sanctions sur la Myanma Oil and Gas Enterprise en février 2022, la reconnaissance du génocide des Rohingyas et passage de la loi BURMA, le rejet par la CIJ des exceptions préliminaires de la Gambie c. Myanmar, et l’interdiction de l’approvisionnement en kérosène de l’armée birmane en tant que toute première juridiction à le faire sont quelques-unes des nombreuses actions qui ont renforcé notre mouvement. Le peuple ukrainien, dont la vie est brutalisée par le régime meurtrier de Poutine, continue également de nous inspirer de l’espoir : l’espoir que les gouvernements et les organisations internationales auront enfin la volonté politique de mener des actions concrètes, concertées et globales pour tous les peuples du Myanmar et du monde entier.
Par conséquent, après le deuxième anniversaire de la tentative de coup d’État, nous demandons instamment à la communauté internationale de prendre des mesures allant au-delà du consensus en cinq points de l’ANASE. Ces mesures devraient plutôt inclure la fin de toutes les ventes d’armes à l’armée birmane, des sanctions économiques à l’encontre de l’armée et des entreprises qui lui sont liées, ainsi que de graves pénalités à l’encontre des entreprises qui collaborent avec la junte. Bien que ces mesures puissent être prises de manière unilatérale ou multilatérale, le Conseil de sécurité des Nations Unies en particulier devrait respecter son mandat, ainsi que les agendas R2P et WPS, de la responsabilité de protéger et de la paix et de la sécurité mondiales, et de les acter afin de renforcer sa résolution historique 2669 (2022). Les gouvernements devraient également soutenir les initiatives de justice en cours, par exemple en aidant l’IIMM, et explorer la juridiction universelle et d’autres possibilités connexes pour poursuivre les militaires pour leurs crimes internationaux.
En outre, la communauté internationale doit garantir un accès fiable aux besoins fondamentaux et aux moyens de subsistance, ainsi qu’à la sécurité et à la protection, à toutes les personnes qui ont été contraintes de fuir leur foyer au Myanmar. Les gouvernements et les organisations internationales doivent fournir une aide financière et matérielle durable à ces communautés, en particulier aux femmes, aux jeunes et à leur société civile. Les pays voisins du Myanmar, en particulier, doivent garantir une aide transfrontalière pour assister les personnes déplacées de force. Les pays d’accueil de ces réfugiés doivent également les protéger de manière globale plutôt que de les soumettre à des arrestations, des détentions ou des expulsions forcées. Surtout, au lieu de s’engager avec les auteurs de la catastrophe humanitaire et des droits de l’homme en cours au Myanmar, la communauté internationale doit consulter la population du pays, en particulier les minorités ethniques du mouvement pro-démocratique, dans toutes les discussions liées à leur avenir démocratique fédéral.
C’est aujourd’hui que le monde doit s’engager à transformer radicalement son approche du Myanmar, afin de mettre enfin un terme à l’exacerbation de la catastrophe humanitaire et des droits de l’homme dans ce pays. Aucun peuple du monde ne devrait avoir à se préparer à une nouvelle année sans justice, sans paix et sans liberté.
1er février 2023
Women’s Peace Network (Réseau des femmes pour la paix)