A l’heure où l’ambassadeur US annonce le feu vert du gouvernement Prodi à l’élargissement de la base américaine de Vicenza, combattue avec vigueur par les mouvements sociaux réunis sous la bannière du « No dal Molin », le mouvement anti-guerre fait une démonstration de force en Italie. En même temps, la politique du gouvernement de Romano Prodi rencontre une opposition croissante dans le pays. D’où la difficulté toujours plus marquée de Rifondazione comunista (PRC) à sortir de l’impasse dans laquelle l’a placée sa participation à ce gouvernement. Les résultats électoraux catastrophiques de toutes les forces gouvernementales, PRC compris, aux derniers scrutins régionaux, en sont l’un des nombreux indices. Et force est de constater que la valse-hésitation de Fausto Bertinotti, quant à une sortie possible du gouvernement, arrive un peu comme la grêle après les vendanges. L’association Sinistra Critica, qui rassemble l’opposition de gauche au sein du PRC et dans le mouvement social, et qui avait fait parler d’elle lorsque son sénateur, Franco Turigliatto, avait refusé de voter pour la poursuite de l’intervention militaire italienne en Afghanistan, se trouve donc renforcée dans ses choix. (sp)
Pour les mouvements sociaux et la gauche italienne, le 9 juin est une date clé, une césure qui fait naître au moins trois éléments de réflexion. Le premier est qu’après la journée extraordinaire du 17 février à Vicenza, le mouvement anti-guerre s’est offert une nouvelle occasion. La continuité entre les deux journées est du reste démontrée par la participation massive du mouvement « No dal Molin », mais également par ce « plus » qui a constitué l’âme du cortège, c’est-à-dire cette présence massive de non affilié-e-s aux forces politiques organisées. Une présence libérée de toute crainte, qui a donné foi à la manifestation, à sa plateforme, sans jamais prendre en considération, même par erreur, la possibilité d’unifier les diverses places [allusion aux deux lieux et aux deux âmes de la manifestation du 9 juin ; d’un côté la réussite de la manifestation de Piazza della Repubblica, alors qu’à Piazza del Popolo, le même jour, le PRC, les Verts et le PdCI (Parti des Communistes Italiens) attendaient désespérément les manifestants]. Si on manifeste contre la guerre, on le fait « sans si, ni mais » et donc aussi contre la politique de Prodi.
Le reste n’a pas d’importance.
Sinistra Critica a joué un rôle important dans cette dynamique ; que l’on pense aux événements du 21 février 2007, le vote opposé à la politique étrangère du gouvernement au Sénat qui a donné lieu à ce qu’on peut appeler l’« affaire Turigliatto » [voir solidaritéSdu 28 février 007, n°103]. Ce choix, qui n’était isolé qu’en apparence, a contribué à rouvrir le débat, à construire une polarisation, à offrir à toutes et à tous un espace d’action qui, petit à petit, a été occupé par beaucoup. Une nouvelle énergie a jailli, après une année de torpeur, et dorénavant certains choix s’imposent, par exemple la nécessité de bloquer les travaux de la base américaine à Vicenza.
Le second élément que soulève la réussite de cette manifestation, c’est que pour la première fois on a vu sur les places italiennes une opposition de gauche au gouvernement Prodi. Une opposition sociale, basée sur un contenu spécifique et donc non généralisable, qui ne souhaite ni médiation, ni retour en arrière par rapport au non à la guerre. Une manifestation à effets politiques immédiats, accentués encore par le flop de la manifestation de Piazza del Popolo, due en grande partie à l’entêtement des partis de gouvernement et à leur prétention à être les dépositaires d’une demande sociale qui serait sensée rester muette sans eux.
En troisième lieu, signalons la conséquence politique qui touche aux rapports au sein de la gauche italienne. L’échec de la manifestation de Piazza del Popolo signale l’échec de l’orientation du « parti de lutte et de gouvernement » [...]. Rifondazione ne devrait pas seulement sortir du gouvernement, elle devrait convoquer au plus vite un congrès extraordinaire et établir le bilan de ces deux dernières années. Mais au-delà des vicissitudes du parti, il apparaît clairement qu’aujourd’hui, nous sommes face à deux chemins : l’union de la gauche au gouvernement ou la relance d’une gauche anticapitaliste et antagonique. Il n’y a pas de médiations possibles. Un cycle s’est fermé qui touche essentiellement Rifondazione comunista.
Nous ne savons pas ce qui peut naître exactement de ce 9 juin. En ce qui nous concerne, nous pensons qu’il serait bon que des « pactes » pluriels et multiples voient le jour ; des pactes qui unissent le politique et le social, l’associationnisme et les syndicats, les groupes politiques et les militant-e-s des mouvements sociaux : un pacte contre la guerre, un pacte contre la précarité, un pacte pour la défense des petites communautés en lutte, etc. Et ce aussi, parce que la refondation de la gauche alternative ne peut que repartir de ce terrain.
En tant que Sinistra Critica nous regardons désormais résolument vers le futur, tout en tablant sur la consolidation de l’autonomie, dans un parcours ouvert, pluriel, indépendant du gouvernement et des équilibres internes à la gauche de gouvernement. Nous verrons si, de ce processus, peut naître un Forum de l’opposition sociale ou quelque chose d’approchant. Ce qui est certain, c’est qu’une nouvelle phase est en train de s’ouvrir.
Nous y contribuerons, comme nous l’avons fait le 9 juin, moment où nous avons mesuré notre capacité de produire des initiatives et des organisations, c’est-à-dire d’être un instrument de résistance à la crise qui touche Rifondazone comunista et la gauche en général. Nous continuerons sur cette route avec détermination, à partir de la première conférence nationale de Sinistra Critica qui aura lieu cet automne. Ce sera l’occasion de faire le point sur la situation et de projeter la refondation d’une gauche anticapitaliste, écologiste, féministe et internationaliste.