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C’est la quatrième fois que le pape se rend en Afrique en visitant deux pays meurtris par la violence politique, la République démocratique du Congo (RDC) et le Sud-Soudan. Une visite religieuse mais aussi politique d’autant qu’en RDC les dirigeants ne peuvent ignorer les 40 millions de fidèles du pays.
L’argent et les réseaux
L’église catholique est une des institutions de la RDC qui fonctionne le mieux. Elle assoit sa puissance d’abord sur son réseau social. En effet, pendant la colonisation, elle était chargée de l’enseignement et de la santé. Elle a ainsi développé un réseau qui perdure de nos jours. Elle est en charge de 30 % des établissements scolaires, de 45 % des structures hospitalières et près de 2 500 instituts caritatifs. Avec ses 41 diocèses et son millier de paroisses, elle maille l’ensemble du territoire. Le parc foncier de l’église reste le plus important du pays. On comprend mieux l’enjeu que représente la visite du pape pour les autorités politiques. À cette occasion, elles n’ont pas hésité à expulser sans ménagement les milliers de vendeurs installés sur les principaux boulevards de la capitale Kinshasa.
Un acteur politique
Les évêques ont souvent joué un rôle de médiation lors des processus de démocratisation des pays africains après la chute du mur de Berlin. Ils ont été amenés à présider les conférences nationales qui ont introduit le multipartisme dans les années 1990.
En RDC, l’église catholique a une longue tradition d’opposition au pouvoir. En 2016 la Conférence épiscopale nationale du Congo n’a pas hésité à appeler les populations à descendre dans la rue pour empêcher une modification de la Constitution voulue par Joseph Kabila, lui permettant un troisième mandat et par là même continuer les prédations économiques révélées par l’affaire « Congo Hold-up » 1.
La question de la sincérité des scrutins est une question majeure pour le Vatican. Le pape l’a rappelé lors de sa rencontre avec les autorités congolaises. Même l’église du Gabon, connue pour être particulièrement conciliante avec le pouvoir en place, s’est positionnée sur l’importance de respecter la volonté des électeurs. D’ailleurs, sur le continent, l’organisation « Tournons la page », qui lutte pour le respect des alternances politiques, est largement soutenue par les structures de l’église.
La dénonciation des violences
C’est donc avec une certaine crédibilité que le pape peut dénoncer le « colonialisme économique » en s’écriant « ôtez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser ». Si ce voyage a eu un mérite, c’est certainement celui d’attirer l’attention sur les souffrances des populations de la RDC et du Sud-Soudan qui sont victimes des milices. À l’est de la RDC il y a plus de 120 groupes armés qui peuvent impunément racketter et martyriser les populations. Les responsabilités de cette situation sont partagées entre les politiciens qui manipulent et exacerbent les conflits intercommunautaires, le gouvernement qui ferme les yeux sur la complicité de son armée avec certaines milices, et les autorités des pays frontaliers comme le Rwanda ou l’Ouganda qui soutiennent certains combattants comme ceux du M23.
Si les derniers propos du pape sur l’homosexualité, malgré ses rétractations, sont hautement condamnables, ils ne doivent pas éclipser cependant sa prise de position contre toute forme de criminalisation sur un continent où 27 pays sur 54 répriment les relations entre personne du même sexe. Tout comme son appel à la conversion… des religieux pour qu’ils accueillent les membres des communautés LGBT alors que la plupart des prélats, dans une compétition nauséabonde avec les autres religions, restent les fers de lance dans la stigmatisation des homosexuelEs.
Avec ou sans le pape, on fait sienne la proclamation du prophète Isaïe qui appelle (chapitre 58 de l’Ancien Testament) « à délier les courroies de toute servitude, à mettre en liberté tous ceux que l’on opprime et à briser toute espèce de joug »… surtout ceux du patriarcat et du capitalisme.
Paul Martial
1.Voir l’Anticapitaliste n° 594 (9 décembre 2021)