La réforme des retraites prétend faire travailler les seniors plus longtemps. Mais comme le disait lui-même Emmanuel Macron en 2019 [1], nombreux sont ceux qui, passés 60 ans, ne sont déjà plus en emploi et pas encore à la retraite. Une étude de la Drees, au ministère de la Santé, a documenté la situation de pauvreté à laquelle sont réduits de très nombreux travailleurs sans emploi ni retraite. La réforme allongera de deux ans le sas de précarité et de pauvreté qu’ils subissent déjà.
Grâce à l’enquête Emploi de l’Insee, il est possible de chiffrer avec précision l’ampleur des populations concernées par cette punition : à 60 et 61 ans, selon une étude [2] de la Dares (Ministère du travail), 480 000 travailleurs, soit 29% de cette tranche d’âge, ne sont « ni en emploi ni à la retraite » : 25% en inactivité et 4% au chômage. Au total 1 million de personnes de 60 ans et plus (soit 13% de la classe d’âge) sont sans emploi ni retraite en 2021.
Cette situation massive ne concerne évidemment pas nos dirigeants et reste sans doute relativement rare pour les travailleurs les plus qualifiés. Mais les données publiées par la Dares ou l’Insee ne permettent pas de mesurer les inégalités sociales en la matière. Je suis retourné à l’enquête Emploi pour les évaluer, et elles sont en effet considérables : à 60-61 ans, 17% des diplômés du supérieur n’ont ni emploi ni retraite, mais c’est le cas de 36% de celles et ceux n’ayant pas le bac. C’est un des aspects les plus injustes de la réforme, qui va contraindre des centaines de milliers [3] de salariés des catégories populaires, qui n’ont en général guère pu faire d’économies, à rester plus longtemps au chômage ou dans la dépendance des minimas sociaux (RSA ou invalidité) en attendant la retraite.
À la réforme des retraites, il faut ajouter celle de l’assurance-chômage, qui réduit d’un quart la durée d’indemnisation. De ce fait les chômeurs âgés basculeront plus vite au RSA. Autrement dit, pour les salariés du bas de l’échelle, plus d’un sur trois risque fort de devoir rester deux ans de plus aux minimas sociaux.
Selon une étude récente du Centre d’études de l’emploi et du travail (qui s’intéresse plus largement aux 50-64 ans), la punition touchera de façon disproportionnée les métiers de « deuxième ligne » - ouvriers du BTP ou de la logistique, auxiliaires de vie à domicile, caissières … - , pourtant reconnus comme « essentiels » par les pouvoirs publics pendant la crise sanitaire : 25% des travailleurs de 50 à 64 ans de ces professions sont sans emploi ni retraite, contre 15% pour les autres métiers. Les ouvriers non qualifiés du BTP seront particulièrement touchés par l’allongement du sas de pauvreté : entre 50 et 64 ans, la moitié d’entre eux sont sans emploi ni retraite. Les agents d’entretien, les caissières ou les ouvrier·es de l’agro-alimentaire sont près d’un tiers à se retrouver également dans ce sas, à dépendre des indemnités chômage ou des minimas sociaux.
On peut difficilement imaginer une réforme des retraites plus brutale et injuste : la violence sociale vient vraiment d’en haut.
Thomas Coutrot
économiste et statisticien