Allant à l’encontre des revendications démocratiques et des idéaux du Hirak, dont les libertés et la souveraineté populaire étaient la pierre angulaire, le pouvoir illégitime en place s’enlise dans sa dérive autoritaire.
La crise profonde du régime, suscitée par la maladie de Bouteflika en 2013 et ensuite par la chute des prix des hydrocarbures en 2014, ont aiguisé ses contradictions internes et propulsé le conflit entre ses principales factions sur la scène publique.
Le Hirak est devenu possible grâce à cette fragilisation interne du régime. La situation politique au début de 2019 était déjà marquée par la répression et l’autoritarisme rampants d’une part, et la chute du pouvoir d’achat des masses populaires et des couches moyennes, ainsi que la généralisation d’un chômage endémique de masse d’autre part, ont constitué les ingrédients explosifs du plus grand mouvement populaire depuis l’indépendance baptisé : Hirak. Autant dire que la coupe était déjà pleine et le 5éme mandat n’était que la goutte de trop.
Quelle que soit la nature de son facteur déclencheur, le Hirak a pris une ampleur qui a vite échappé et dépassé tous les apprentis sorciers et toutes les officines de l’ombre.
En effet, après les premières manifestations grandioses contre le 5éme mandat de Bouteflika et sa clique, c’est la remise en cause de tout le régime, ainsi que le retour récurrent de la mainmise de l’armée sur le pouvoir politique, qui a pris le dessus. A ce moment-là, après avoir chassé Bouteflika en avril 2019, la dynamique du Hirak a pris une allure révolutionnaire pour un changement entier et radical de régime. « Yatnahaw Ga3 » est devenu un véritable leitmotiv du mouvement.
C’est pourquoi les tenants du pouvoir, et ceux qui défendent leur thèse, ont vite propagé l’idée d’un « premier Hirak authentique », baptisé « Moubarek » et séquestré dans la constitution, et un deuxième Hirak, c’est-à-dire post avril 2019, diabolisé et combattu sans relâche jusqu’à aujourd’hui.
Aussi, c’est pour cette raison que les puissances impérialistes étrangères ont vite sauté sur l’occasion pour augmenter leur pression sur le régime, le sommant de garantir une « stabilité » assurant leurs intérêts dans le cadre de la mondialisation libérale, en contrepartie d’une reconnaissance du nouveau pouvoir et une collaboration économiques « gagnant-gagnant », comme consacré dans leurs usages.
Les nouvelles lois sur les hydrocarbures et sur l’investissement, le maintien de l’accord injuste d’association avec l’UE, l’encouragement du patronat et du secteur privé, la constitutionnalisation de l’intervention de l’armée hors de nos frontières, etc., ont constitué autant de gages pour un soutien extérieur à la feuille de route de « Algérie Nouvelle » entamée par « l’élection » du « douze-douze » et la nomination de M. Tebboune.
Mais, ces pressions et ces menaces extérieures, qui visent nos richesses nationales et un alignement politique de notre pays, continuent et elles sont bien réelles dans l’évolution actuelle des rapports de forces géostratégiques au niveau mondial. Elles commandent, contrairement à la politique répressive et autoritaire du régime, l’instauration urgente des libertés démocratiques et le respect de la souveraineté populaire pour renforcer le front intérieur et les capacités de résistance de notre pays à toutes les visées impérialistes.
La restauration autoritaire, mitigée et fragile du régime en un premier temps, a été confortée, en un deuxième temps, par l’irruption de la pandémie du Covid-19 en mars 2020, qui a facilité la répression et endigué un nouveau souffle du Hirak, et la hausse des prix des hydrocarbures, dans la foulée de la guerre en Ukraine, qui a permis le renflouement de la rente et une aisance financière providentielle et inespérée du régime.
Ainsi, des « mesurettes » pour calmer le front social sont devenues possibles et sont annoncées de façon pompeuse et populiste. Elles ne correspondent ni à l’étendue du désastre social engendré par des décennies de libéralisme économique, ni au strict rattrapage du pouvoir d’achat d’il y a ... vingt ans.
Mais, d’autres facteurs essentiels sont à prendre particulièrement en compte pour rappeler les faiblesses évidentes du Hirak et éclairer modestement le chemin qui nous attend. Car le reflux actuel du Hirak ne peut que travailler en profondeur le flux d’un inévitable nouveau Hirak populaire et les luttes sociales et politiques de demain.
Dans ce cadre, des éléments clés et stratégiques sont à retenir :
1 - Le Hirak, en dépit de la « spontanéité des masses » et l’euphorie qu’il a suscitée quant à un changement radical et « révolutionnaire », n’a pas pu produire un projet politique clair et hégémonique traduisant les revendications exprimées par des millions de manifestantEs pendant une année pour imposer les libertés, la justice sociale et la souveraineté populaire.
2 - L’absence de l’auto-organisation du Hirak, notamment à la base, a facilité la répression et l’émergence de plusieurs opportunistes autoproclamés représentantEs du Hirak. Sans auto- organisation démocratique, populaire et indépendante à la base, il a été impossible d’organiser le débat entre des millions de citoyenNEs, de centraliser les revendications du Hirak dans une plateforme et asseoir un processus constituant permettant d’instaurer de nouvelles traditions de la souveraineté populaire.
3 - La faiblesse du mouvement ouvrier et la non implication conséquente des élites syndicales pour porter le Hirak et lui donner une dimension sociale plus forte et une direction progressiste, l’ont réduit souvent à s’embourber dans des revendications floues et partielles anticipant son affaiblissement et son reflux. La présence marginale du mouvement ouvrier dans le Hirak l’a amputé de moyens de lutte conséquents tels que la grève générale qui avait pourtant constitué en mars 2019 l’arme principale qui a précipité le départ de Bouteflika début avril 2019.
4 - Par conséquent, il a été impossible d’espérer l’émergence d’une direction unitaire, démocratique, radicale et progressiste, agissant sous contrôle de l’auto-organisation populaire, et pouvant offrir une alternative au régime et diriger le pays dans la perspective de concrétiser les aspirations démocratiques et sociales du Hirak.
Bien sûr, d’autres éléments de réflexion sont à prendre en considération dans ce débat sur le bilan du Hirak qui reste à faire. Mais, j’ai estimé, dans cette modeste contribution, qui appelle d’autres contributions encore, qu’il fallait insister brièvement, en ce quatrième anniversaire du Hirak, sur les aspects qui m’ont semblé les plus évidents pour aider à comprendre la trajectoire du Hirak et ses faiblesses d’une part et, d’autre part, tirer les leçons de cette formidable expérience populaire collective pour mieux envisager et faire converger les luttes de demain.
La grève générale annoncée par les syndicats autonomes pour le 28 février courant, est une bonne nouvelle de ce point de vue. Elle constitue justement l’importance du mouvement ouvrier organisé dans la résistance contre la répression des libertés syndicales, et démocratiques en général, et le droit de grève. Quelque soit son ampleur et son impact, elle brisera un peu ce climat de répression qui a installé certes un sentiment de peur, mais sans engendrer la résignation ou l’abandon des aspirations démocratiques et sociales du Hirak.
Mais, en attendant demain et la résurgence de l’espérance née du Hirak, la lutte doit continuer aujourd’hui et en priorité pour :
– L’arrêt immédiat de la répression sous toutes ses formes !
– La libération de tous les détenuEs politiques et d’opinion !
– L’abrogation de toutes les lois et les dispositions juridiques liberticides !
– La levée de toutes les mesures et toutes les entraves à l’exercice effectif de toutes les libertés démocratiques !
– L’indépendance de la justice et des médias publics du pouvoir politique.
– L’ouverture d’un débat démocratique et national, devant le peuple, permettant la mise en œuvre d’une authentique souveraineté populaire !
Mahmoud Rechidi
Militant politique.
(Ex. Secrétaire général du PST injustement suspendu de toute activité et réprimé).