Le plan stratégique d’Hydro-Québec s’inscrit essentiellement dans une approche de modernisation de la production, de la distribution et de la consommation de l’énergie électrique au Québec. Il se définit essentiellement comme une vision sectorielle d’où découle une démarche sectorielle. La transition énergétique est donc conçu pour l’essentiel comme la transformation du secteur de l’énergie à partir de propositions concernant l’amélioration des technologies mises en œuvre dans la production, et par l’établissement de rapports particuliers d’Hydro-Québec à sa clientèle grâce à un virage numérique. Pour le plan stratégique d’Hydro-Québec, la mission vise essentiellement : « à fournir une alimentation électrique fiable et des services de qualité adaptés aux besoins de nos clients à des prix concurrentiels. En exploitant des sources d’énergie propres et renouvelables, nous contribuons à la richesse collective du Québec tout en jouant un rôle central dans l’instauration d’une économie verte et durable. » [1] La lutte aux changements climatiques et à son urgence n’est pas réellement importante dans la définition de ce Plan stratégique.
Pour le Plan stratégique 2022-2026 d’Hydro-Québec, la transition repose sur trois fondements technologiques : décarbonation, virage numérique et décentralisation. Rien dans ce plan ne pointe vers la remise en question du capitalisme prédateur, destructeur de notre environnement. Plus, il refuse de poser les conditions économiques et sociales d’une véritable sortie d’une politique de croissance menant à l’épuisement des ressources. C’est pourquoi le Plan stratégique n’hésite pas à affirmer que le « Plan pour une économie verte 2030 (PEV 2030) du gouvernement Legault rendu public à la fin 2020 propose des mesures concrètes pour faire du Québec un leader de la transition énergétique » [2]. Quand Sophie Brochu prétend ne pas avoir de divergences avec le gouvernement, il y a une part de vérité. Ce qui est en dehors des projets précis de la société d’État que décrit le Plan stratégique de l’Hydro ne relèverait pas de son champ d’expertise. En donnant son aval au PEV, elle affirme qu’elle n’a pas à se prononcer :
- sur les cibles insuffisantes de réduction des GES que se fixe le gouvernement et sur le fait que le gouvernement à même convenu que son plan ne pourra pas atteindre la moitié de cette cible ;
- sur le fait que la priorité à l’autosolo avec l’augmentation du parc automobile électrifié ne constitue en rien un instrument d’économie d’énergie, une solution à l’étalement urbain et aux entraves à la circulation ;
- sur le fait que le gaz naturel est défini dans le PEV du gouvernement Legault comme une énergie de transition vers les énergies renouvelables ;
- sur le fait que la priorité nécessaire qui doit être donnée au transport public gratuit et à la production au Québec de matériel roulant pour se substituer à l’auto…
L’ensemble de ces problématiques n’est pas un enjeu dans le champ limité de la définition du projet de transition que se donne le Plan d’Hydro-Québec. C’est pourquoi le Plan stratégique d’Hydro-Québec :
- met en dehors de sa réflexion et de ses propositions le fait que la diminution des émissions de gaz à effet de serre ne peut être liée à la nécessité de l’augmentation de la compétitivité des entreprises ;
- évite de considérer qu’une véritable décarbonation passera par une planification des choix de production et ne peut être le résultat d’initiatives privées motivées d’abord par la recherche de profits dans un contexte de concurrence ;
- évite de poser que l’économie des ressources minières et forestières ne peut être laissée aux mains de grandes entreprises dépossédant la population d’un pouvoir de décision de ressources qui pourtant leur appartient ; [3]
- évite de tenir compte du fait qu’une véritable transition vers la décarbonation devra se donner comme tâche de nettoyer une agro-industrie d’exportation polluante centrée sur la production carnée et refuse de poser les nécessités d’une agriculture de proximité visant la souveraineté alimentaire ;
- donne son aval, au PEV de Legault, qui affirme que « Le financement du PEV reposera de manière importante sur les ressources provenant du marché du carbone. »
En somme, le Plan stratégique d’Hydro-Québec est un plan d’entreprise qui refuse de reconnaître qu’il ne pourra pas y avoir un changement des tenants et aboutissants de l’électrification sans que ce plan soit d’emblée lié à la définition d’une politique industrielle pour le Québec. Une transition énergétique, économique et écologique nécessitera que l’on mette en place les institutions rendant possible une planification écologique et démocratique au cœur de ce plan de transition…
Une telle politique industrielle implique d’abord :
- le refus de réduire le Québec à une économie extractiviste où la vocation de l’économie du Québec serait d’abord et avant tout l’extraction minière de lithium, de zinc, de nickel, de cobalt, de terres rares pour les entreprises multinationales sous la pression des États-Unis en autres
- le refus de réduire l’économie du Québec à une économie de premières transformations fournissant à des entreprises de transport étrangères les matières premières qu’elles exigent en subissant la pollution générée par un tel extractivisme
- le refus d’accepter que les mines soient dans leur vaste majorité de propriété étrangère
- le refus d’accepter que les entreprises productrices d’énergies renouvelables soient aussi aux mains de compagnies multinationales étrangères dont les choix de localisation comme les rythmes d’expansion visent d’abord et avant tout des fins lucratives.
Le Plan stratégique d’Hydro-Québec promeut plutôt un modèle d’affaires qui dépend des décisions à court terme d’entreprises privées qui veulent être rentables le plus vite possible.
Une planification écologique est essentielle au déploiement d’une politique industrielle pour parvenir à une véritable transition écologique et à une lutte effective contre les changements climatiques. Cela implique la mise en place :
- d’un organisme de planification économique et écologique dans lequel l’Hydro sera appelée à jouer un rôle de premier plan avec la mise sur pied d’une Hydro-Québec des énergies renouvelables par la nationalisation des entreprises productrices d’énergies renouvelables
- de la création d’une société d’État chargée de la mise en œuvre d’une politique industrielle centrée sur la production de matériel roulant (autobus, tramways, trains) par la nationalisation des industries de ce secteur pour en faire une force permettant une transformation rapide des modes de transport ;
- Du développement dans le cadre de cette planification, d’un financement d’initiatives favorisant les énergies de biomasse forestières dans lequel l’État doit être appelé à jouer un rôle à travers une planification intégrée de ses actions.
- De la mise en place d’une agence publique autonome œuvrant à une véritable politique d’efficacité énergétique
Cette planification écologique doit viser à produire moins, à travailler moins donc en supprimant des productions inutiles (gadgets jetables, publicités) ou nuisibles ( armements, marchandises non réparables produites dans le cadre d’une obsolescence planifiée...)
Les stratégies locales et régionales devront s’articuler à un plan global de développement économique répondant aux besoins de la population pour favoriser la gestion locale démocratique (coopérative) dans le cadre d’une planification démocratique nationale ;
Le financement de la transition économique et écologique ne passera pas par le marché du carbone. Ce dernier a démontré jusqu’ici son incapacité à avoir un effet important sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Il nécessitera une réforme radicale de la fiscalité, et une prise de contrôle publique du secteur financier.
En somme, le Plan d’Hydro-Québec se contente de mesures essentiellement techniques, tant à ce qui a trait à la production, à la consommation qu’à ses rapports à avec « ses clients ». Changer à la marge, sans remettre radicalement en question les modes de production, de consommation et les modalités du partage des richesses, c’est refuser de prendre en compte la radicalité des choix qu’impose la crise climatique alors que ces choix doivent être inspirés par l’urgence de la situation. En proposant un plan technocratique, la direction d’Hydro-Québec s’est heurté aux ambitions croissancistes du gouvernement Legault. Ce dernier s’est empressé de définir à quelle électrification il aspirait pour le Québec. C’est pourquoi, dans la définition de la feuille de route gouvernementale en matière d’énergie, le Plan stratégique 2022-2026 ne pèsera pas très lourd.
Bernard Rioux
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