Pour l’anniversaire de nos 15 ans, nous nous sommes offert une campagne. « On a fait affaire avec l’agence Adesias, qui a travaillé autour du slogan : “Sans nous, vous ne l’auriez pas su”, relate Renaud Creus, notre directeur de la communication. L’idée était d’avoir un ton un peu décalé, un peu ironique. Montrer l’absurdité de certaines situations que nous avons révélées, illustrer que la réalité dépasse parfois la fiction. Et sous la forme de questions, pour susciter de la curiosité. »
En début d’année, les pôles communication, marketing et des journalistes du service enquête réfléchissent avec l’équipe d’Adesias à une campagne qui débouche sur sept slogans inspirés de diverses affaires, en veillant bien sûr à éviter tout raccourci et toute diffamation, comme dans chacun de nos articles.
Nous sollicitons alors la régie publicitaire Mediatransports, qui gère les espaces publicitaires du métro parisien. Mais la réponse tarde, en dépit de nos relances. Jusqu’à ce qu’à quelques heures du BAT (bon à tirer) tombe la réponse du service juridique de la régie : « Ils nous disent que nos affiches ne garantissent pas la neutralité en général, encore moins la neutralité politique, et que la campagne ne respecte pas leur charte, rapporte Céline Brizard, responsable juridique, éberluée. Je leur demande ce que c’est que la neutralité, mais il n’y a pas de réponse claire, leur charte n’est pas publique. Je leur dis que par définition une publicité n’est pas neutre. Elle est faite pour attirer l’attention, convaincre. On nous reproche un parti-pris. Mais c’est le principe même d’une publicité : se promouvoir. »
Nous faisons pourtant face à un mur au nom de l’interdiction de toute communication politique. « On a beau expliquer qu’on ne défend ni une ligne politique, ni un candidat, ni un parti, rien n’y fait : pour eux, dire que l’affaire Bettencourt a fait trembler la République, c’est politique et trop polémique. »
Renaud Creus précise : « Ils nous disent que certaines affaires n’ont pas été jugées. Comme celle de Léo Messi, qui organisait des matchs de charité au profit de ses proches. Mais si ça n’a jamais été jugé, c’est parce qu’on n’a jamais été attaqués. Personne n’a contesté ces informations. »
Les trois affiches ci-dessus ne seront donc pas exposées dans le métro parisien.
Mais même quand l’affaire a été jugée, cela ne suffit pas. « Sur l’affiche Cahuzac, la régie nous a demandé de prouver que sans Mediapart, l’affaire ne serait pas sortie ailleurs ! Sur l’affaire Sarkozy-Kadhafi, il fallait prouver que c’était nous qui avions dévoilé la mise en examen de l’ancien président (c’était le cas). Avoir révélé toute l’affaire libyenne ne leur suffisait pas. »
La régie finira par céder sur ces deux cas. Mais comment ne pas s’interroger sur ce degré d’exigence quand on regarde les pubs en général ? Est-il demandé à Coca-Cola de prouver que le père Noël en boit ? Au Qatar de démontrer que dans ce pays, « les rêves deviennent réalité » ? Quant à la RATP elle-même, son slogan « À demain » nous paraît limite-limite : qu’est-ce qui prouve que tous les voyageurs reprendront le métro le jour suivant ?
« Pour certains slogans, nous nous sommes adaptés, même si on perdait du mordant. Pour d’autres nous avons renoncé, regrette Renaud Creus. L’agence Media nous a dit qu’elle n’avait jamais vu ça, nous demandant ironiquement si nous étions bien aimés dans le milieu. » En réalité, Oxfam a également subi un refus il n’y a pas si longtemps. L’ONG avait osé interpeller le gouvernement français sur le réchauffement climatique. Vraiment trop polémique.
Pour Mediapart, la surprise ne s’est cependant pas arrêtée là. Car nous avions également prévu des spots radio. Or Radio France n’a pas aimé notre slogan, estimant qu’un média ne pouvait pas laisser entendre que, sans Mediapart, ses auditeurs n’auraient rien su d’une information. Là encore, le message a été retravaillé. Il est devenu plus lisse. Plus convenu.
À Mediapart, personne n’avait imaginé de tels obstacles. À 15 ans, on est rebelle et un brin provocateur. Mais aussi bien naïf parfois.
Michaël Hajdenberg, coresponsable du pôle Enquête.
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