La mobilisation contre la réforme des retraites est historique, et une unité intersyndicale jamais vue depuis douze années est un message fort qui y contribue fortement. Il l’est autant en direction de l’ensemble des travailleuses et travailleurs pour dire qu’il faut se mobiliser face à cette réforme injuste et brutale, qu’en direction du gouvernement sur le niveau de détermination des organisations syndicales à faire reculer cette réforme des retraites régressive et injustifiée.
La première déclaration intersyndicale retraite a été lue à la Bourse du travail le 10 décembre dans la foulée des annonces de la Première ministre.
Une photo des numéros 1 des huit organisations syndicales a été faite par l’AFP à cette occasion, relayée dans nombre d’articles de presse et médias.
Dès le lendemain, beaucoup de militantes, et quelques militants, de notre Union syndicale Solidaires et d’autres syndicats ou de collectifs du mouvement social, m’ont écrit pour pointer ce qui était flagrant sur cette photo, à part ce moment historique d’unité syndicale. Le fait que j’étais la seule femme.
Et leur message était : « Merci d’être là » ! Et que oui, c’est encore fou qu’une telle représentation soit si peu féminisée.
J’ai eu envie de relayer ces témoignages qui m’ont touchée, en en pointant la dimension politique et féministe : oui, les femmes ont toutes leur place à tous les niveaux dans les syndicats, comme dans toutes les organisations du mouvement social, comme au travail et dans la société !
Oui, il est important que l’on sorte d’une représentation masculine quasi unanime, à la tête des organisations syndicales.
Un objectif de représentation du monde du travail
Ce n’est pas une « figure de style » mais bien un objectif de représentation de la quasi-moitié du monde du travail que représentent les femmes. Et c’est aussi un sujet valable pour les personnes racisées encore bien moins présentes dans les postes de représentation des syndicats.
Comment se fait-il qu’à Solidaires il y ait aussi une femme sur la photo ? C’est simple : c’est une règle statutaire qui impose une co-délégation paritaire, que j’assure avec Simon Duteil depuis octobre 2020. Auparavant avec Eric Beynel, c’était Cécile Gondard-Lalanne qui était co-déléguée (et avec Bernadette Groison de la FSU il y avait alors deux femmes représentantes syndicales nationales), et avant l’adoption de cette disposition, c’était Annick Coupé qui a été déléguée générale à l’origine de Solidaires.
Cela montre qu’ériger des règles pour obtenir a minima une représentation paritaire est nécessaire. Depuis de nombreuses années, le taux de syndicalisation des femmes progresse. Elles accèdent aussi de plus en plus à des fonctions nationales dans les syndicats, même si elles ne représentent pas encore la moitié des effectifs dans les syndicats. Mais le volontarisme sur le sujet ne suffit pas. L’évolution franchira un cap lorsque la question de la participation des femmes à tous les niveaux sera investie collectivement (en termes de prise en compte des contraintes particulières des femmes, en termes de formation de l’ensemble des militant·e·s), traduite en règles et vue comme étant une nécessité positive ! J’ai la chance de travailler au niveau des intersyndicales nationales, dans divers collectifs avec plusieurs militantes d’autres syndicats de grande qualité. Elles doivent pouvoir maintenant accéder aux postes de numéro 1, ce qui demande encore des évolutions de mentalités et de règles statutaires, y compris dans les syndicats véritablement engagés sur les questions féministes.
Pour l’adoption des règles paritaires à imposer
Parce que comme partout les femmes rencontrent encore nombre de résistances sexistes par rapport à l’enjeu de pouvoir (tout relatif) que représente une fonction dite « dirigeante » ou en tout cas de représentation, ceci à tous les niveaux dans les syndicats, comme d’ailleurs dans l’ensemble de la société.
Comme toutes les femmes, j’ai souvent été témoin, victime, du « sexisme du quotidien » qui persiste y compris dans les organisations syndicales. Cela peut aller jusqu’au départ des militantes… c’est encore trop souvent le cas, encore plus en cas de violences sexistes et sexuelles.
Donc oui, il y a des réflexions à avoir sur l’adoption des règles paritaires à imposer (co-délégation, ou représentation femme, homme alternée), à toutes les échelles. Et pour répondre d’un trait à certains messages sur les réseaux sociaux, non, je ne suis ni une potiche ni un alibi, mon engagement syndical et féministe ne date pas d’hier (ça y est, je suis obligée de me justifier), et non faire ce message ne sacrifie en rien « l’union sacrée » sur l’autel du féminisme (dixit un autre commentaire).
Je voudrais dire à toutes les femmes de continuer malgré les difficultés, que la force et la conviction d’être à leur place s’amplifie, partout et à tous les niveaux. C’est aussi valable pour toutes les personnes sous-représentées, invisibilisées dans la société. Et nous comptons plus que jamais sur les militants alliés pour y parvenir, ce qui leur demande aussi un parcours de « déconstruction » militant et personnel à l’égard du système patriarcal auquel ils ont été aussi biberonnés.
Une représentation diversifiée est aussi le gage d’un syndicalisme en phase avec le monde du travail dans sa diversité et sa réalité. Qui donne envie d’aller dans la rue, et de se mobiliser. La banderole des manifestations intersyndicale des dernières journées était plus paritaire. Heureusement. Je ne veux plus être la seule femme sur la photo. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Toutes ensemble, dans nos syndicats et avec nos alliés, nous ne lâcherons rien sur ce sujet.
Murielle Guilbert