Ecriture inclusive, « théorie du genre », intersectionnalité, décolonialité, luttes contre les violences sexistes et sexuelles, PMA, GPA, et même l’extension du droit à l’IVG … On trouve tout cela sous l’appellation « néo-féminisme ».
Certains.e.s distinguent quelque peu entre ces enjeux, mais beaucoup les mettent dans le même sac. Être favorable à l’une de ces thématiques reviendrait à être forcément d’accord avec les autres, comme si promouvoir l’écriture inclusive revenait à cautionner l’idéologie décoloniale, ou participer aux campagnes contre les violences revenait à apporter sa caution aux islamistes ! Je ne plaisante qu’à moitié, puisque selon Alain Finkielkraut les campagnes sous les hashtag Metoo ou Balancetonporc n’ont pas d’autre objectif que de « noyer le poisson de l’islam » (Figarovox, 20 novembre 2017). Toutes les défenseuses de Metoo seraient aussi des adversaires de la présomption d’innocence, donc de la civilisation comme notre académicien l’affirme dans son dernier livre (L’après littérature, Stock, septembre 2021) qui d’ailleurs déguise en défense de la littérature son obsession du « néo-féminisme ».
De magazine en magazine, de tribune en tribune, de page en page, de site en site, Figarovox, Causeur, Valeurs actuelles, Eléments, L’Observatoire du décolonialisme, La revue des deux mondes, L’Incorrect, Marianne et quelques autres : on retrouve les mêmes expressions pour qualifier ou plutôt disqualifier le « néo-féminisme ». Il n’est question que de « terreur féministe », d’« inquisition féministe », de « harcèlement féministe », de « chasse à l’homme », de « guerre des sexes », de « refus de l’hétérosexualité », de « féminisme policier », « délateur », « vulgaire », « moraliste », « victimaire », « islamo-gauchiste ».
Au tableau d’un néo-féminisme dessiné sans distinguer les thématiques et qui prend dérives et exagérations pour la vérité d’un combat, s’ajoute un portrait à charge de ses actrices, « des femmes qui appartenant (ou désirant appartenir) aux élites du pouvoir, de la communication ou de la culture, se présentent d’une façon ostentatoire comme des victimes » (Pierre-André Taguieff La revue des deux mondes, juin 2016). Ou encore : « des personnes acariâtres et énervées, marquées par un fort ressentiment personnel » (Anne-Marie Le Pourhiet, Causeur n°51) !
Une grande partie des détracteurs du néo-féminisme prennent soin de se revendiquer du féminisme, l’ancien féminisme, le bon féminisme, celui de Beauvoir, celui des années 1970, celui du temps béni du MLF. Comment ne pas en sourire ? Faut-il rappeler les injures reçues par Simone de Beauvoir lors de la parution en 1949 de son ouvrage Le deuxième sexe ? Ou encore ce que les filles du MLF ont entendu, quand elles dénonçaient le patriarcat, le machisme, le sexisme, quand elles luttaient pour la libéralisation de l’avortement ou contre le viol. « Mal baisées », « hystériques », « castratrices », « gouines ». Quant aux accusations de « manquer d’humour », de « haïr les hommes », de « puritanisme » , « de fin de la séduction », elles font partie de ces rengaines qui depuis des siècles ont accompagné toutes les luttes et toutes les étapes de l’émancipation des femmes.
Sourire d’autant plus que ces féministes des années 70, si portées au pinacle par les actuels détracteurs des néo-féministes, furent elles aussi ainsi nommées par exemple par Annie Le Brun (Lâchez tout, 1977) qui, ne s’embarrassant pas de nuances, mettait sous cette appellation tous les courants de l’époque : universaliste ou différentialiste, tenant de la lutte des classes ou de l’exaltation de l’utérus, qu’importe, tous néo-féministes, c’est-à-dire détestables.
Il arrive que certains des procureurs du néo-féminisme reconnaissent du bout des lèvres que le sexisme, quand même, a encore quelque vigueur et pas seulement du côté des « quartiers islamisés ». Ils jugent alors préférable, à la délation que seraient selon eux les campagnes contre les violences, l’injonction à l’éducation. Mais quand en 2013 le ministère de l’Education nationale a lancé les ABCD de l’égalité, les mêmes qui aujourd’hui vilipendent #Metoo et #Balancetonporc jugèrent ce dispositif « totalitaire », « émasculateur », « rééducateur » visant à « redresser la nature humaine », à « remodeler l’humanité », à « reprogrammer l’ordre naturel ». L’offensive paya puisque le dispositif fut remis dans un tiroir.
A noter que l’éloge du féminisme beauvoirien pour contrer le dit néo-féminisme n’empêche pas la connivence avec ses farouches contemptrices que sont les militantes du « féminisme intégral », en particulier la journaliste du Figaro Eugénie Bastié que l’équipe de Causeur apprécie aussi beaucoup. C’est dans la revue Limite, l’un des fiefs que quelques jeunes catholiques de droite ont constitué dans la foulée des mobilisations contre le « mariage pour tous » que l’on peut lire le « manifeste pour un féminisme intégral ». Qu’on ne s’y trompe pas : « Intégral » ne signifie pas la prise en charge de l’ensemble des questions qui concernent les femmes, mais bien davantage la réduction des femmes, de la féminité à un seul aspect, la maternité et la défense des « mères sacrifiées et des corps bafoués ». Bafoués par qui ? Par quoi ? Par le féminisme dit « médiatique », le féminisme dit « conventionnel », le féminisme beauvoirien, bref le mauvais féminisme porteur de la contraception, de l’avortement, de la PMA, de la GPA, tout cela formant pour Limite un ensemble indissociable.
Le fourre-tout du « néo-féminisme » a son pendant, celui du « féminisme blanc ». De ce côté-là, même fonctionnement à l’homogénéisation, la globalisation, l’amalgame. La moindre réserve à l’égard de l’intersectionnalité, la moindre critique de l’idéologie décoloniale vous place illico presto dans cette case, autant dire celle de l’impérialisme, du colonialisme, de l’islamophobie, du racisme…
En réalité il n’y a pas plus de « néo-féminisme » que de « féminisme blanc ». Les deux sont des constructions idéologiques qui permettent une disqualification plurielle. Je ne les renvoie pas dos à dos, je les place plutôt face à face car elles se nourrissent l’une l’autre.
Il y a, c’est une évidence, des désaccords théoriques et politiques profonds entre féministes, ce qui a toujours été le cas. Il y a aussi des dogmatismes concurrents, des instrumentalisations, des détournements, des déguisements de l’anti- et même de l’anté-féminisme en féminisme. Ne pas tout confondre est un pas démocratique.
Martine Storti