Le sourire d’Antton s’expliquait pour une autre raison. Quand il avait révélé en mai 2022 avec Sarah Brethes que la députée Patricia Mirallès avait détourné à des fins personnelles l’argent censé couvrir ses frais professionnels, l’élue avait vigoureusement nié. Et Emmanuel Macron, fidèle à ses habitudes de promouvoir les escrocs en puissance, avait dans la foulée offert un poste de ministre à la députée.
Le rapport du déontologue est anonymisé. Il a donc fallu qu’Antton Rouget trouve une source en off pour lui confirmer l’information : oui, l’actuelle secrétaire d’État chargée des anciens combattants a bien dû rembourser des frais injustifiés. En d’autres termes, une ministre a dû reconnaître avoir détourné de l’argent public. La reconnaissance des faits ne semble pas avoir plus bouleversé l’Élysée que nos premières révélations.
La satisfaction n’est cependant pas totale : « On est encore au stade où on anonymise les abus de cette ministre et des députés en général. On ne sait pas quel montant elle a remboursé. Ni pour quelles dépenses exactement. Ni si le contrôle a été étendu au-delà de l’année 2019, seule année que nous avions pu documenter », regrette Antton Rouget.
Alors pourquoi se réjouir ? « Il leur aura quand même fallu plus de dix ans pour réagir », décrypte Mathilde Mathieu, qui a investigué sur ces sujets à partir de 2010.
À l’époque, seul un organe, surnommé « la commission des sourds-muets » tant il dispose de peu de pouvoirs, est censé contrôler le patrimoine des élu·es. Et nous identifions vite le problème majeur : les parlementaires légifèrent sur leur propre situation. Un privilège qui leur permet d’en garder beaucoup d’autres.
En 2012, la commission alibi se rebiffe un tout petit peu et révèle, sans donner de noms, qu’en un seul mandat, des député·es se constituent un pécule illégal allant jusqu’à… 200 000 euros. Pour autant, la commission, composée de conseillers d’État, membres de la Cour des comptes et de cassation, ne signale rien à la justice. Après notre article, le patron du Conseil d’État nous appelle même en furie.
Les écologistes, sous la houlette d’un certain François de Rugy, proposent bien une plus grande transparence en 2011. Mais les député·es s’y opposent : « Nous donnerions l’impression de vouloir mettre un terme à nos turpitudes ! »,entend-on à l’Assemblée. L’idée était pourtant seulement d’en finir avec le versement automatique et aveugle de 6 200 euros par mois. Comme dans n’importe quelle entreprise, un mécanisme de notes de frais aurait ainsi pu être instauré, assorti de contrôles réguliers.
À l’époque, nous soupçonnons par des ouï-dire que les abus sont nombreux. En Grande-Bretagne, le scandale des notes de frais a éclaté en 2009 et provoqué un énorme barouf. Mais là-bas, les élu·es devaient présenter des factures. En France, nul document de ce type.
Et personne ne peut contrôler les potentiels abus. L’administration fiscale est alors interdite de mettre son nez dans les affaires des député·es. La Cour des comptes n’y a pas accès non plus. Et au nom de la séparation des pouvoirs, impossible que le gouvernement intervienne.
Reste donc les journalistes, qui disposent de peu de sources potentielles. Car contrairement à d’autres sujets touchant au Parlement, les fonctionnaires n’ont pas accès aux relevés bancaires des parlementaires. Leurs assistant·es non plus. Parfois, c’est donc lors de divorces que nous documenterons ces détournements. Ou du fait de la distraction d’élu·es qui ne rangent pas bien leur paperasse.
Un simple citoyen, Hervé Lebreton, va cependant nous aider. Par ses recherches dans les cadastres, il révèle l’ampleur d’un des enrichissements les plus choquants : des parlementaires se servent de leur enveloppe de frais de mandat pour acheter une permanence parlementaire et, quelques années plus tard, se retrouvent ainsi propriétaires d’un bien immobilier financé grâce à de l’argent public.
Les parlementaires sentent qu’ils doivent bouger. Mais ils le font à un train de sénateur. Très timidement. « Je crois que c’est vraiment quand la justice s’en est mêlée que les parlementaires ont pris peur », analyse Mathilde Mathieu. Bien que les magistrats ne soient aujourd’hui encore pas trop sévères : pour neuf député·es (dont on ignore toujours le nom), le Parquet national financier a ainsi estimé en 2022 que puisqu’ils avaient remboursé les frais indus après s’être fait rattraper par la patrouille, la justice pouvait classer l’affaire.
Parfois, cependant, la sanction tombe. L’ex-sénateur Les Républicains de Meurthe-et-Moselle Philippe Nachbar a ainsi été condamné (à 100 000 euros d’amende) pour avoir détourné 97 000 euros de frais de mandat. Il faut dire qu’il lui était difficile de plaider la méconnaissance des règles ou leur incompréhension : comme membre du bureau du Sénat, cet avocat de profession avait lui-même participé à l’édiction des règles pour ces frais.
Samedi 27 Mai 2023
Michaël Hajdenberg, coresponsable du pôle Enquête de Mediapart
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Par Sarah Brethes, Antton Rouget