À la mi-mars, deux bars branchés de Moscou ont fait l’objet d’une descente de police tard dans la nuit. Leurs propriétaires étaient suspectés d’avoir soutenu l’Ukraine dans la guerre. Les OMON – les forces antiémeute – y ont fait irruption, armés de masses et de Taser, ont allongé les clients par terre, fouillé dans leurs affaires avant d’embarquer une quarantaine d’entre eux au poste.
Les fonctionnaires de police ont pris le soin de filmer leur action. Le clou du “spectacle” était lorsqu’ils ont obligé, sous la menace de leurs Taser, des clients menottés à entonner une chanson patriotique russe. Une jeune femme a été contrainte, elle, de peindre la lettre Z, devenue l’un des symboles de l’“opération militaire spéciale” en Ukraine, sur la devanture de l’un des bars. Cette vidéo est rapidement devenue virale sur la Toile russe.
Ce qui s’est passé dans ces deux bars moscovites fait partie des “rituels de culpabilité et de honte” auxquels se livrent de plus en plus les autorités russes à l’encontre des opposants de la guerre, écrit le service russe de la BBC, qui publie de nombreux témoignages dans un long article. “Dans ce cas, il s’agit d’actions extrajudiciaires, dont les forces de sécurité ont besoin lorsqu’il n’y a rien à punir selon la loi – ou que cette punition leur semble insuffisante.”
“La publicité est un élément important de l’humiliation”
Cet incident n’est pas, et de loin, le plus flagrant. Les médias russes en ont raconté de bien plus violents, lorsque de jeunes militants antiguerres ont été frappés, humiliés et parfois mis à nu par des policiers sous l’œil d’une caméra, avant d’être forcés à dénigrer leur action et de présenter des excuses. Certains ont été obligés de faire l’apologie de la guerre et de l’action de l’État russe.
Selon la BBC cette “stratégie” a d’abord été testée dans le Caucase, surtout en Tchétchénie, avant de se répandre un peu partout en Russie. “Ces rituels de culpabilité et de honte ont deux fonctions : la première est d’humilier une personne en particulier, la seconde est d’envoyer un message à la société”, selon l’anthropologue sociale Alexandra Arkhipova.
Le fait que les vidéos enregistrées par les forces de sécurité refassent surface dans les médias et sur Internet est loin d’être accidentel, selon elle : “La publicité est un élément important de l’humiliation.” Dans la Russie d’aujourd’hui, les autorités n’ont pas les moyens de réprimer en masse les opposants – elles se contentent d’effrayer certains, pour que les autres se tiennent tranquilles, poursuit-elle. “C’est pourquoi les rituels de culpabilité et de honte se répandent si largement”, conclut-elle, en soulignant que, paradoxalement, en s’en faisant si largement l’écho, même les médias indépendants contribuent à accroître leur effet.
Courrier international
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