Au milieu du XIXe siècle, la traduction de récits de voyage de pèlerins chinois révèle l’existence d’une civilisation mystérieuse tombée dans l’oubli neuf siècles durant : la civilisation du Gandhara. Celle-ci tire son nom de cette région située dans le nord-ouest de l’actuel Pakistan, proche de la frontière afghane. Cent cinquante ans plus tard, le Gandhara n’a pas fini de livrer ses secrets, et c’est désormais dans les vestiges archéologiques et artistiques que se joue la redécouverte de cette civilisation méconnue, devenue un argument touristique dans un pays qui cherche à redorer son image.
Les premières mentions du Gandhara décrivent une province semi-montagneuse à la frontière orientale de l’Empire achéménide qui s’étend entre la rivière Kaboul, la rivière Swat et les rives de l’Indus, plus à l’est. Une position géographique stratégique pour cette satrapie (province de l’Empire perse) située sur la route de la soie reliant l’Asie centrale au sous-continent indien. Des conquêtes d’Alexandre le Grand en 327 av. J.-C. à son rattachement à l’Empire maurya sous le règne d’Ashoka, la civilisation du Gandhara émerge donc comme un creuset de cultures helléniques, perses et indiennes.
C’est au IIIe siècle av. J.-C., sous l’impulsion d’Ashoka, que la région se convertit au bouddhisme. Rapidement, le Gandhara devient un haut lieu de développement et de diffusion de cette religion en Asie, qui fait de cette région “la deuxième terre sainte du bouddhisme indien”, selon l’archéologue français Alfred Foucher.
En quelques décennies, plus de 1 400 stupas (sépultures renfermant des reliques de moines) et monastères fleurissent dans la région, et une université est fondée à Taxila, ville située à une trentaine de kilomètres de l’actuelle capitale, Islamabad. Des philosophes et des théologiens venus de Chine ou du Sri Lanka y sont formés, aux côtés de missionnaires exportant le bouddhisme jusqu’en Corée et au Japon. C’est également au cœur du Gandhara, dans la vallée de Swat, que naît Guru Rinpoché, considéré au Tibet et au Népal comme le “second Bouddha”.
Des représentations étonnantes de Bouddha
L’invasion des Huns blancs au Ve siècle marque le déclin progressif de la région en tant qu’épicentre du bouddhisme. Les conquêtes des Shahis hindous, puis l’islamisation de la région sous la dynastie ghaznavide au XIe siècle, achèvent de faire disparaître la civilisation gandharienne.
Tombés dans l’oubli, les principaux sites ne sont mis au jour qu’à la fin du XIXe siècle lors des premières fouilles britanniques : l’université de Taxila, le monastère de Takht-i-Bahi et des dizaines de stupas. Les archéologues exhument alors des milliers d’objets, de sculptures, de bas-reliefs, qui sont progressivement exposés au public. À Peshawar, capitale originelle du Gandhara, une salle de bal prisée des Anglais est transformée en musée en 1906 pour accueillir les vestiges de cette civilisation.
Très vite, archéologues et historiens découvrent un style unique en son genre : l’art du Gandhara. Cet art religieux, qui émerge au Ier siècle, et dont le style reflète un syncrétisme – un système philosophique ou religieux qui tend à faire fusionner plusieurs doctrines différentes – entre les influences grecques et perses et les cultures bouddhiste et indienne.
Au pied des montagnes de l’Hindou Kouch, le musée de Peshawar recèle l’une des plus grandes collections de cette époque. “Nous avons ici plus de 4 000 œuvres d’art gandhariennes et nous n’en exposons que 900. Ce qui nous a été transmis de cette civilisation est impressionnant tant par la quantité que par la qualité”, explique Mohammad Asif Raza, l’actuel directeur du musée. Dans les salles tamisées du rez-de-chaussée, le visiteur se retrouve nez à nez avec des représentations étonnantes de Bouddha, avec des traits précis, sculpté debout à la manière de statues grecques. Face à ces collections uniques et ces vestiges bien conservés, le Pakistan souhaite faire du Gandhara un argument touristique.
Tourisme religieux
“Le Pakistan abrite certains des sites bouddhistes les plus sacrés du monde. Il y a un énorme potentiel touristique pour l’avenir”, se félicite Sabag Hani, rédactrice pour un site Internet spécialisé dans le tourisme. Le bouddhisme rassemble plus de 500 millions d’adeptes dans le monde, dont 244 millions chez le voisin chinois : les perspectives économiques liées au tourisme religieux intéressent donc particulièrement les autorités.
À Takht-i-Bahi, l’un des sites majeurs du Gandhara, classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 1980, les touristes sont de plus en plus nombreux. “Takht-i-Bahi est la perle du Gandhara. Nous avons beaucoup progressé dans la compréhension de cette civilisation et dans sa mise en valeur pour les visiteurs”, souligne Arshed, un des archéologues responsables du site. “Il faut que l’État continue à investir, car de nombreuses sections du site n’ont pas encore été fouillées, faute de moyens”, poursuit ce passionné.
Mais, pendant des années, les problèmes sécuritaires ont retardé le développement du tourisme dans la région. La prise de contrôle par les talibans de la vallée de Swat en 2008 a fait disparaître le tourisme de l’ancien Gandhara. Menacé par les combats, le musée de Swat a dû organiser l’évacuation des œuvres gandhariennes, tandis qu’à Jehanabad une sculpture de Bouddha taillée dans la roche a été la cible de tirs de talibans.
Dix ans après, la région se remet de ces années noires. Ici, tous veulent croire au slogan “From terrorism to tourism”. Dans cette vallée surnommée “la Suisse du Pakistan”, de nouveaux hôtels ont ouvert à Mingora, où un nouveau musée a vu le jour en 2014. À Amluk-Dara, une vallée encaissée, un nouveau panneau indique en ourdou, en anglais et en chinois la présence d’un stupa du Gandhara.
Bastien Massa
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