La politique des partis de gauche : le MIR
Je voudrais ici évoquer quelques épisodes de la gauche que j’ai connus de l’intérieur, en tant que chercheur-témoin à cette époque-là.
Le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) a été l’aboutissement d’un processus d’unification de 8 organisations révolutionnaires, stimulé par Clotario Blest, fondateur en 1961 du Movimiento « 3 de Noviembre » (M3N) et du Movimiento Fuerzas Revolucionarias en 1962, composé d’organisations qui avaient une longue pratique aux côtés des travailleurs – comme le groupe anarchiste libertaire « 7 de Julio », le Movimiento Social Progresista, dirigé par Julio Stuardo (une scission du Parti radical), le Movimiento de Resistencia Antiimperialista (MRA), dirigé par Luis Reinoso, ancien secrétaire d’organisation du Parti communiste et exclu à cause de ses « déviations militaristes », la revue Polémica, dirigée par Tito Stefoni, l’Oposición Socialista de Izquierda (OSI), de Gonzalo Villalón et Oscar Waiss, et le Parti ouvrier révolutionnaire qui, en 1942, avait présenté Humberto Valenzuela (1909-1977) comme candidat ouvrier à la présidence et qui avait recueilli 5170 voix. Plus tard, le POR a fait élire Luis Vitale comme dirigeant national de la Centrale unique des travailleurs pour la période 1958-1962.
Le processus de regroupement de ces organisations s’est poursuivi et à la fin il n’y en avait plus que deux en 1964 :
a) le Parti socialiste populaire – composé par la majorité des comités régionaux, ayant quitté le PS, des villes de Talca et de Coquimbo avec son principal dirigeant Mario Lobos ; par des jeunes qui avaient rompu avec la Jeunesse socialiste, comme Dantón Chelén Rojas ; par un secteur de pobladores dirigé par Víctor Toro et Herminia Concha ; par une tendance issue du Movimiento de Independientes de Izquierda, dirigée par Enrique Reyes ;
b) Vanguardia Revolucionaria Marxista, dont faisaient partie aussi les « reinosistas » [référence à Luis Reinoso, opposant au sein du PC], comme Martín Salas, le groupe trotskiste PRT, dirigé par Chipo Cereceda, d’anciens membres des Jeunesses communistes, comme Gabriel Smirnow, qui s’étaient séparé du groupe pro-chinois « Spartaco » et qui avaient formé le MRC en 1963, et ERTE, où militaient Miguel Enríquez et Bautista van Schouwen, qui avaient quitté les Jeunesses socialistes.
Les militants qui venaient du PS, du PC, du trotskisme, de la Jeunesse radicale révolutionnaire et quelques anarchistes, avaient des expériences importantes de lutte sociale, tout comme Clotario Blest, président de la Centrale unique des travailleurs pendant 9 ans. Leur présence au congrès fondateur du MIR (15 août 1965) et leur élection à des postes du Comité central invalident la version – diffusée dans l’exil après la mort de Miguel Enríquez [1974] – selon laquelle le MIR aurait été créé par un groupe d’étudiants de Concepción. En effet, 15 jours après sa fondation, le MIR a envoyé 32 délégués au IVe congrès national de la Centrale unique des travailleurs, avec une liste conduite par Humberto Valenzuela, dirigeant national des travailleurs municipaux et de la Centrale unique des travailleurs de la province de Santiago.
La version qui consiste à dire que le MIR est né comme un groupe foquiste [référence au terme foco comme « foyer de guérilla »], avec des jeunes dépourvus de base théorique et armés uniquement par des aspirations de rédemption sociale, est également erronée. Son programme fondateur établissait que le MIR luttait pour le caractère socialiste, permanent et ininterrompu de la révolution, rejetant la théorie de la « révolution par étapes », prônée par le Parti communiste, ainsi que des orientations conjoncturelles pour les différents mouvements sociaux, qui permettraient de progresser dans la tâche centrale : l’activité militante dans les organisations de la classe ouvrière. Par conséquent, il était et il est faux de dire – comme l’a fait la presse bourgeoise dans le but de justifier le coup d’État militaire – que le MIR s’est consacré, dès sa fondation, au terrorisme et à des opérations foquistes armées en marge des luttes des exploités, telle qu’était la pratique générale des courants autoproclamés castristes du début des années 1960, des courants qui n’ont pas compris entièrement les aspects tactiques et stratégiques de la Révolution des « barbus » de Fidel.
Entre 1965 et 1967, le MIR a traversé une période de structuration organique par en bas, d’homogénéisation politique et de croissance dans les secteurs populaires. Dans la Fédération des travailleurs plâtriers, Juan Ramos a été élu membre de la direction, dans la Fédération des travailleurs de la santé, ce fut le cas de Norman Gamboa et Héctor Villalón, dans le secteur du charbon, d’importants militants du MIR ont été élus et Luis Concha a été élu dans la Fédération des travailleurs de la construction. Dans le mouvement étudiant, le MIR s’est développé rapidement, surtout à l’Université de Concepción, où Luciano Cruz Aguayo a été élu président de la Fédération des étudiants du Chili en 1967 et, rapidement, il est devenu le principal dirigeant de masse du MIR. À Santiago aussi, le MIR a progressé dans la Fédération des étudiants du Chili, avec 1260 voix aux élections de 1968, ce qui lui a permis d’avoir, pour la première fois, un membre dans la Fédération des étudiants du Chili, ainsi que les meilleurs scores aux facultés de sociologie, de psychologie et au Centre de médecine, en alliance avec le Parti socialiste. Álvaro Rodas, qui était également un dirigeant des employés de la Cour des Comptes, a joué un rôle important parmi les étudiants en droit.
La libre expression des idées et la pratique quotidienne de la démocratie interne, assurées par son premier secrétaire général, Enrique Sepúlveda, ont permis d’affiner progressivement les positions politiques exprimées dans le journal El Rebelde et la revue théorique Estrategia, même si l’adoption de mesures pratiques accusait un certain retard. La persistance de ces faiblesses a conduit à un changement de direction lors du IIe congrès (décembre 1967), avec l’élection de Miguel Enríquez, soutenu par Bautista Schouwen, Luciano Cruz et de nombreux nouveaux délégués et, en particulier, par ceux qui venaient du trotskysme. Pour sa part, Luis Vitale, proposé lors de ce congrès par le responsable de l’appareil militaire – dont le pseudonyme était Zapata – n’a pas été élu au secrétariat général.
Le MIR n’est pas seulement devenu la principale force étudiante à l’Université de Concepción, avec d’importantes percées à l’Université du Chili et dans d’autres établissements, il s’est également développé dans les secteurs de la classe ouvrière et des populations les plus pauvres. Il a participé avec un nombre important de délégués au Ve congrès national de la Centrale unique des travailleurs, qui s’est tenu en novembre 1968, et aux rencontres de pobladores, dans le contexte de la mobilisation populaire de l’époque. Parmi ses militants, plus de 2000, on comptait principalement des jeunes, non seulement des étudiants mais aussi des ouvriers, des employés et des membres des professions libérales, des pobladores et quelques paysans, ainsi que la génération précédente, plus expérimentée dans la lutte sociale.
Cependant, les possibilités de croissance ont été brutalement interrompues par des actions lancées à la hâte, telles que l’expropriation de banques afin d’obtenir des fonds pour la lutte armée, précisément au moment où la candidature de Salvador Allende suscitait l’enthousiasme de larges secteurs de la population. L’enlèvement du journaliste Osses par un commando du MIR en mai 1969 a été le prétexte utilisé par le gouvernement de la Démocratie chrétienne pour déclencher la persécution du mouvement, ce qui a contraint ses dirigeants à entrer dans la clandestinité.
Le IVe Congrès national, qui devait se tenir le 20 août 1969, mais qui n’a jamais eu lieu, aurait pu permettre de surmonter les divergences apparues. De manière surprenante, lors d’une réunion du Comité central le 27 juillet de cette année-là, le secteur majoritaire, composé de 9 membres, a proposé une division. La minorité, qui comptait 6 représentants, dont plusieurs étaient aussi jeunes que ceux de la majorité, s’y est opposée en soulignant que c’était une grave erreur de se séparer sans qu’il existe de grandes différences politiques et que l’important était de soutenir, bien que de manière critique, la candidature populaire de Salvador Allende. La tendance majoritaire a insisté sur la nécessité de « purger » le parti des dirigeants qui s’opposaient aux actions armées, en sachant que la minorité n’y avait pas renoncé dans la mesure où celles-ci étaient liées aux luttes des opprimés, et en précisant que les premières armes dont a disposé le MIR provenaient de l’expropriation d’une armurerie par un commando trotskyste, dirigé par « Mondiola ». La majorité refusait de participer au processus électoral, et a lancé le slogan du boycott : « Non aux élections ». En bref, le fait de ne pas avoir soutenu alors Salvador Allende a été, à mon avis, la principale erreur politique commise par le MIR dans toute son histoire.
De l’opposition parlementaire à la conspiration
Les partis conservateur et libéral sont passés d’une politique attentiste, avec leur soutien à Frei, à une politique d’affrontement : donc aller frapper aux portes des casernes.
Un secteur du Parti radical est passé à droite lorsque, pendant la Convention Nationale de 1965, le secteur de centre-gauche dirigé par Luis Bossay a battu Julio Durán. Celui-ci a quitté le parti avec Raúl Rettig, Pedro Enrique Alfonso, Edwin Lathrop et d’autres militants de longue date qui, plus tard, ont formé le parti Démocratie radicale avec d’autres exclus en 1969 : Ángel Faivovich, Germán Picó, Jaime Tormo, Campos, Mercado et Señoret [1].
Pendant les premières années, ces deux partis ont mené une campagne aux relents de terrorisme idéologique, basée sur des rumeurs et des spéculations visant à alerter les entrepreneurs sur les projets gouvernementaux susceptibles de remettre en cause les droits de propriété, ainsi que sur la possible mise en place d’impôts élevés sur le capital.
Les parlementaires des partis conservateur et libéral se sont opposés à l’intervention du gouvernement au moment où des événements survenus à Colonia Dignidad [communauté sectaire créée en 1961, issue d’une secte originaire de Rhénanie ; un de ses animateurs est un ex-pilote de l’air de l’armée du III Reich ; en 1966 éclate le scandale mentionné ci-dessous ; sous Pinochet, la colonie servira de camp de torture pour la police politique] ont été dénoncés, comme, par exemple, l’évasion du colon Wolfgang Müller, persécuté par les dirigeants nazis pour avoir été le premier à dénoncer des pratiques brutales de viol sur des mineurs, des enlèvements de personnes et des meurtres. En revanche, l’intervention de la droite dans le « Plan Camelot », dénoncé par le sociologue Hugo Nuttini, un Américain nationalisé chilien, dont le but était d’obtenir des informations sur des actes terroristes présumés de la gauche, n’a jamais pu être prouvée. Comme le souligne Dooner dans le livre cité plus haut, p. 71 : « On a découvert que le projet, appelé Plan Camelot, était parrainé par le Pentagone [dès 1963] ».
Dans un premier temps, El Mercurio a soutenu le gouvernement, bien qu’avec des réserves, mais il lui a progressivement retiré son soutien, notamment après la promulgation de la loi de réforme agraire et l’augmentation de la fiscalité : « Au cours des trois dernières années, l’augmentation des impôts a été la plus importante de toute la période depuis 1940. Les impôts sont passés de 3460 millions d’escudos à 5979 millions d’escudos [monnaie chilienne entre 1960 et 1975] de sorte que, entre 1964 et 1967, la charge fiscale a augmenté à un rythme de 222% plus rapide que celui des revenus » [2]. La Sociedad de Fomento Fabril a renchéri en parlant d’« une charge fiscale asphyxiante » [3], et a critiqué également la politique salariale de Frei lors de meetings publics qu’elle a organisés pour critiquer le gouvernement, comme l’a fait aussi la Société nationale d’agriculture, qui exigeait la libéralisation des prix à la consommation.
La politique de conspiration de la droite a alors commencé, à un point tel que le ministre de l’Intérieur, Bernardo Leighton, a dû ordonner l’emprisonnement et le procès de Víctor García Garcena, président du tout nouveau Parti National, dirigé par Sergio Onofre Jarpa [il sera ministre de l’Intérieur d’août 1983 à février 1985 sous Pinochet], et qui rassemblait des partisans de Jorge Prat, aux tendances autoritaires et adepte d’un corporatisme de type mussolinien.
Dans une interview avec Jarpa, un journaliste lui a demandé : « Vous avez été accusés de putchisme lorsque Leighton a arrêté la direction de votre parti. Depuis ce moment-là et à plusieurs reprises, on a insisté sur le fait qu’il y avait eu des bruits de bottes ». Jarpa a donné la réponse suivante : « L’accusation de putschisme contre le Parti national était une farce montée par l’ancien ministre Leighton » [4]. À la fin du gouvernement démocrate-chrétien, Jarpa est allé jusqu’à affirmer que « le Chili traverse une étape de décadence » [5].
Le groupe Fiducia, qui en 1967 avait adopté le nom de Société chilienne pour la défense de la tradition, de la famille et de la propriété, s’est opposé frontalement à la réforme agraire par le biais de deux publications : Manifiesto à la Nación chilena et ¿Es lícito a los católicos discordar del proyecto de Reforma Agraria del Presidente Frei ?. Il qualifiait ce projet de « dirigisme étatique » et de « persécution socialiste et confiscatoire », contraire au « droit naturel et au droit divin » [6].
La droite accusait Frei d’ouvrir la voie au communisme, le qualifiant même de « Kerensky chilien » en raison du rôle que ce dirigeant russe a joué entre février et octobre 1917, avant que n’éclate la Révolution des Soviets, menée par le parti bolchevique de Lénine et Trotsky. Ce n’est pas un hasard si la droite s’est chargée de distribuer au Chili le livre intitulé Frei, el Kerensky chileno, du Brésilien Fabio Vidigal Xabier Da Silveira, dont le titre original en portugais était Frei, o Kerensky chileno. Le titre du livre a été donné par la maison d’édition argentine Cruzada, dont les éditions, de la première en 1967 à la cinquième en juin 1968, ont totalisé 23 000 exemplaires. Beaucoup d’entre eux ont été distribués au Chili par des filières contrôlées par la droite.
Tout le monde savait à l’époque que la droite était en contact avec les casernes par l’intermédiaire du « marquis Bulnes » [Francisco Enrique Bulnes, sénateur du Parti conservateur], lequel n’hésitait pas à proclamer « le droit » à un coup d’État. Cette idéologie avait été nourrie par les idées totalitaires de González von Marées, du « buraliste » [du nom du groupe de bourgeois commerçants – ayant le monopole de la vente de tabac, de thé et de liqueurs –très conservateurs né en 1824 autour de Diego Portales] Jorge Prat et de Ramón Callís du Movimiento Revolucionario Nacional Sindicalista. En 1963, un secteur a envisagé de proposer la candidature de Jorge Prat Echaurren à la présidence de la République, sur la base d’un « nouvel État », rappelant ainsi la tradition portalienne. Cette candidature a été retirée et Jorge Prat s’est à nouveau présenté sans succès au Sénat, aux côtés de Hugo Gálvez, lors des élections législatives de 1965.
En août 1966, le fasciste Sergio Miranda Carrington, lors d’un meeting au Club Audax Italiano, a déclaré sur un ton apocalyptique : « Le temps de l’action est arrivé », des propos repris en chœur par une centaine de personnes qui se sont levées et ont fait le salut nazi. L’année suivante, le Parti ouvrier national-socialiste est fondé, dirigé par Franz Pfeiffer, nazi avoué et autoproclamé « chancelier du gouvernement de Dantzig en exil » [7]. Cette année-là, le groupe ultraconservateur appelé « Tizona » s’est formé à Valparaíso, il était dirigé par Gonzalo Santa María et Juan Antonio Widow, dont le frère Andrés sera plus tard impliqué dans l’assassinat du général Schneider. En même temps, il s’est produit un renouveau de la droite avec l’insurrection du Movimiento Gremialista à l’Université catholique, dirigée par Jaime Guzmán, après la crise de 1967.
Dans la presse on pouvait lire des commentaires sur la possibilité d’un coup d’État et d’un auto-coup d’État, suggéré de manière à peine voilée par El Mercurio. Face à la crise du Parlement avec le « pouvoir de facto » des militaires, le président Frei a envisagé l’idée d’intégrer de nouveaux membres des forces armées dans son cabinet. Sa décision de créer le Comité supérieur de la sécurité nationale, composée du ministre de la Défense et des commandants en chef des trois armées, légalisait la participation des militaires dans la vie politique.
La tentative de coup d’État du général Viaux
Cette tentative de coup d’État a eu lieu dans un contexte latino-américain bien particulier, dont l’une des caractéristiques était la présence de gouvernements militaires dans le Cône Sud : Brésil, Argentine, Paraguay, Pérou et Bolivie, soutenus par la réunion des commandants en chef latino-américains, une instance promue par le chef d’état-major de l’armée étasunienne. Lors de la session qui s’est tenue en 1968, celui-ci a déclaré que la seule façon d’arrêter l’avancée du communisme en Amérique latine était l’établissement de gouvernements dirigés par des militaires. Le général chilien Sergio Castillo Aránguiz a participé à cette réunion.
En avril de la même année, « quelque 80 élèves officiers de l’Académie de Guerre ont présenté simultanément des demandes individuelles de mise à la retraite, ils justifiaient leur demande par leur faible rémunération et l’absence de perspectives de carrière. Ces demandes de démission ont provoqué un bouleversement institutionnel. Le général Miqueles a été remplacé par le général Sergio Castillo Aránguiz ; le ministre de la Défense, Juan de Dios Carmona, a été remplacé par le général à la retraite Tulio Marambio » [8]. Lors du défilé militaire de 1969, le major Arturo Marshall a refusé de défiler devant la tribune présidentielle de Frei.
À ses débuts, le mouvement des casernes avait apparemment un caractère corporatiste, notamment à propos de l’augmentation des salaires et de l’achat d’armements pour protéger la sécurité extérieure du pays, comme l’exprimait son porte-parole, le général Roberto Viaux, alors commandant de la Première division de l’armée à Antofagasta, qui a demandé la démission du général Tulio Marambio, ministre de la Défense. Lorsqu’il a été convoqué à Santiago pour expliquer son attitude, il s’est retranché, le 21 octobre, dans la caserne de Tacna. Le gouvernement a décrété l’état de siège. Dans son but de rassembler des forces au sein de l’armée, Viaux a insisté sur ses revendications apparemment corporatistes, en mettant l’accent sur une augmentation du salaire des militaires.
Mais ses raisons étaient bel et bien d’ordre politique : il critiquait l’incapacité du gouvernement à affronter la mobilisation populaire et à résoudre les frictions inter-bourgeoises à l’approche des élections présidentielles, qui pourraient voir la victoire du socialiste Salvador Allende. Le secteur militaire, dirigé par Viaux, est apparu comme une alternative dans un contexte latino-américain où la tendance à la militarisation était manifeste, notamment après le coup d’État de 1964 contre le président Goulart au Brésil.
Mais Viaux n’a pas reçu le soutien espéré de la part de ses compagnons d’armes et il a été obligé de revoir à la baisse sa tentative de coup d’État en demandant, simplement, au gouvernement de résoudre les problèmes des militaires. Frei a appelé le peuple à défendre la légalité et la constitutionnalité. La Centrale unique des travailleurs, la Fédération des étudiants du Chili, le syndicat des enseignants, la DC et la gauche ont appelé à une grève générale pour défendre le gouvernement. Les militaires mutinés dans la caserne Tacna se sont rendus sans combat. Le gouvernement a accepté une grande partie des revendications économiques des soldats insubordonnés, et la plupart d’entre eux ont été libérés, tandis que d’autres, comme Viaux lui-même, ont été mis à la retraite. Le général René Schneider a été nommé commandant en chef de l’armée.
Le « tacnazo » repoussé, Viaux est devenu un professionnel du coup d’État et, dès le premier jour de la victoire de l’Unité populaire, il a commencé à conspirer pour empêcher Allende d’accéder à la présidence. Il est parfaitement établi que l’assassinat du général Schneider en octobre 1970 a été planifié par Viaux dans le but de provoquer une intervention militaire avant l’entrée en fonction d’Allende, le 4 novembre de la même année. Nous pensons qu’il y a eu une continuité politique entre les objectifs secrets du « tacnazo » et les tentatives de coup d’État visant à empêcher Allende de prendre ses fonctions.
Les derniers mois du gouvernement DC ont été marqués par des élections primaires pour désigner les candidats à la présidence. Alors que la droite choisissait à nouveau Jorge Alessandri et que le secteur progressiste de la DC parvenait à imposer la candidature de Radomiro Tomic, la gauche devait trancher entre cinq noms : Salvador Allende (Parti socialiste), Jacques Chonchol (Mouvement d’action populaire unitaire), Pablo Neruda (Parti communiste), Alberto Baltra (Parti radical) et Rafael Tarud (Action populaire indépendante). Ce processus de sélection s’est achevé le 22 janvier 1970 par la désignation de Salvador Allende comme candidat à la présidence.
Luis Vitale
(A suivre le lundi 5 juin)