« L’agriculture (irrigation, élevage et aquaculture) représente 69 % des prélèvements d’eau annuels dans le monde, ce qui en fait le secteur qui consomme le plus d’eau sur la planète ». (Source ONU, Centre d’information régional pour l’Europe occidentale).
« Qui n’économise pas l’eau et le bois de chauffage n’économise rien ». Ce dicton est une façon populaire d’alerter de la nécessité d’utiliser l’eau de manière durable, il a probablement été forgé par quelqu’un qui avait une notion empirique de la durabilité, sans pour autant connaître le terme « durable ».
Le problème de la rareté de l’eau dans le sud du Portugal et la péninsule Ibérique est une calamité qui découle de l’expansion incontrôlée des cultures d’irrigation intensive et des terrains de golf. Dans des zones où le climat est caractérisé par de faibles précipitations, l’activité humaine dépendante de la disponibilité de l’eau doit être planifiée en fonction des valeurs minimales de précipitations et non en fonction des valeurs médianes.
L’utilisation durable de l’eau doit commencer par une autorisation prudente d’utiliser les terres. Cependant, ce à quoi nous assistons, ce sont les licences incessantes accordées, de manière néfaste pour les intérêts du pays, à de vastes zones d’irrigation et d’autres activités qui impliquent une énorme consommation d’eau. Les entreprises qui recherchent le sud du Portugal pour y installer des activités déprédatrices d’eau sont motivées par la voracité du profit. En soi, aucune entreprise ne va fonder ses investissements sur l’utilisation durable de l’eau, l’imposition de contraintes relevant de la responsabilité des autorités qui sont en charge de la question.
Les entreprises privées ont réussi à étendre les superficies de cultures irriguées à des milliers d’hectares. Contrairement à l’agriculture qui était basée sur l’utilisation durable de l’eau, cette agriculture intensive génère des profits énormes, rapides et faciles, et est pratiquée dans une exploitation de type minier. Lorsque les ressources en eau et en sol sont épuisées, les entreprises quittent la zone et recommencent le cycle ailleurs, ou dans n’importe quel autre pays.
Parmi les cultures irriguées intensives, la production de fruits et légumes sous serre se distingue. En Méditerranée, le summum est atteint dans les immenses étendues de serres d’Almeria [1], si vastes qu’elles ont été nommées « mer de plastique ». Jusque dans les années 1950, la zone était dominée par des sous-bois, des pâturages et quelques petites parcelles de cultures saisonnières. Au Portugal, on a un scénario identique avec les serres d’Odemira, mais le processus s’étend à d’autres parties du pays.
La consommation non durable d’eau dépasse la question des serres. L’olivier millénaire, si respecté pour sa frugalité, pour sa capacité à pousser et à porter des olives dans les collines et les montagnes aux sols squelettiques et caillouteux, avec des pluies rares et des étés torrides, devient méconnaissable. Il fait l’objet d’une culture agricole irriguée intensive, où les arbres majestueux et séculaires n’existent plus, mais ont laissé place à des buissons grotesques alignés en rangées, ridiculement trapus, et qui ont une vie économique courte. Mais il n’y a pas que l’olivier. Il est rejoint par d’autres espèces cultivées en zones arides depuis des siècles et louées pour leur résistance, comme la vigne et l’amandier. Et des expériences pilotes sont déjà en cours en ce qui concerne le chêne-liège avec une irrigation au goutte-à-goutte.
L’industrie (y compris la production d’électricité) est responsable de 19 % de la consommation d’eau et les ménages de 12 %, tout le reste est consommé par le secteur agricole.
Sous ces milliers « d’arbres » transformés en haies par des engins énergivores, se cachent des kilomètres de canalisations en plastique et des gouttières qui drainent d’innombrables mètres cubes en provenance de réservoirs qui ne sont alimentées que par l’eau de pluie. Pour aggraver le manque d’eau estival, de nombreuses réserves d’eau voient leurs berges plantées d’eucalyptus, un arbre que l’évolution naturelle a doté d’une physiologie et d’une architecture racinaires capables de puiser l’eau à des profondeurs inégalées en comparaison des espèces indigènes méditerranéennes. Les barrages de l’Alentejo et de l’Algarve ont été construits pour compléter les cultures en zones arides. Les barrages qui, ces dernières années, ont rencontré le plus de problèmes sont situés sur les cours des rivières Sado, Mira, Odelouca, Arade et les affluents terminaux du Guadiana. Tous ces cours d’eau prennent leur source dans les montagnes de l’Algarve, couvertes d’eucalyptus, qui ont supplanté les chênes-lièges, les pâturages des terres arides et les autres usages séculaires de ces terres.
Cette consommation insoutenable de l’eau est un tabou que personne n’aborde, qu’ils s’agisse des politiques ou des techniciens du secteur. Tous les discours politiques et techniques, ressassés par les médias, accusent la SÉCHERESSE. Lorsque le problème prend des dimensions dramatiques, on commence le ravaudage,-soit des mesures en aval telles que l’augmentation du prix de l’eau et l’appel à la réduction de la consommation domestique. Il s’agit de palliatifs visant à masquer les responsabilités et le cœur du problème. Les médias font fait passer le message que les citadins peuvent contribuer à atténuer le problème en ouvrant moins les robinets de leurs maisons. Lorsque le niveau d’eau dans les réservoirs devient critique, il est certain que cela devient impératif jusqu’à la prochaine saison des pluies. Mais faire passer le message que l’usage familial fait partie du problème et inculquer cette idée à des citoyens naïfs est profondément malhonnête, surtout quand on sait que la consommation domestique représente un peu plus de 10 % de la consommation totale d’eau.
Transférer la responsabilité au niveau personnel et culpabiliser le citoyen revient à obscurcir sa capacité à remettre en question les causes structurelles et pourquoi elles sont omises.
Les peuples méditerranéens, à savoir le sud du Portugal, font face à une sécheresse estivale prolongée depuis des millénaires. Les Romains, en revanche, avaient construit des barrages dans le sud-ouest de l’Espagne, comme le réservoir de Proserpina, près de Mérida, qui a été entretenu et fonctionne encore aujourd’hui. Les systèmes d’irrigation que les Arabes ont apportés dans la péninsule ibérique sont là aussi un dispositif permettant l’utilisation judicieuse de l’eau. Les Égyptiens utilisaient des nilomètres pour mesurer le niveau des crues du Nil et prévoir leurs récoltes en conséquence. Les cycles pluie/sécheresse sont déjà décrits dans la Bible, Genèse 41 : « Alors les sept années d’abondance qui furent dans le pays d’Égypte prirent fin. Et, comme Joseph l’avait prédit, les sept années de famine commencèrent à venir. Il y avait disette et famine dans tous les pays voisins, mais dans toute l’Égypte il y avait de la nourriture… Et Joseph conclut : « Maintenant donc, que Pharaon choisisse un homme intelligent et sage et l’établisse sur tout le pays d’Égypte. Puisse Pharaon agir et mettre en place des fonctionnaires de supervision dans le pays pour collecter un cinquième de la récolte de l’Égypte au cours des sept prochaines années d’abondance. Ils rassembleront toutes les provisions qu’ils pourront de ces bonnes années à venir, et accumuleront des réserves de blé qui, sous le contrôle de Pharaon, seront stockées dans les villes et serviront de réserve spéciale pour les sept années de famine qui frapperont l’Égypte, afin que la terre ne soit pas anéantie et que le peuple ne meure pas de faim ! »
Les cycles alternant pluie généreuse et sécheresse ont toujours existé. Ils surviennent de façon erratique et font partie du climat normal de chaque région. Vivre avec la moyenne est tout à fait possible, l’ingéniosité consiste à savoir vivre avec le minimum. Mais il n’existe aucune technique, si sophistiquée soit-elle, qui nous permette de gaspiller plus d’eau que les réservoirs ne peuvent en stocker avec les précipitations que nous offre le ciel.
16 juin 2023
Maria Carolina Varela