Daniel Ortega et ce qui reste du Front Sandiniste se présentent comme étant de gauche et anti-impérialistes, mais, loin de ce discours proclamé, ils ont abandonné depuis déjà de nombreuses années leurs principes, à travers la corruption, les alliances avec la droite la plus extrême du pays, le renforcement d’un modèle néolibéral qui a accentué les inégalités et la misère, déjà considérables, de la population, et la concentration du pouvoir politique et économique entre les mains de la famille (Ortega-Murillo) et de ses proches collaborateurs.
En avril 2018, après que des forces de choc aient agressé des personnes âgées qui manifestaient contre les réformes de la sécurité sociale, des groupes d’étudiants universitaires qui étaient descendus dans les rues et avaient occupé les campus universitaires, furent réprimés par balles par la police qui, en trois jours, assassina 56 personnes, des crimes confirmés par des organismes de défense des droits humains arrivés dans le pays au mois de mai, les premiers depuis le retour au pouvoir de Daniel Ortega en 2007.
Les manifestant·e·s se mobilisèrent en masse, pour exiger la démocratie, la justice, des réformes électorales et la destitution de Daniel Ortega et de son épouse, la vice-présidente Rosario Murillo. Il·elle·s érigèrent des barricades et des barrages routiers, qui furent rasés quelques semaines plus tard par la police et les forces paramilitaires dans le cadre de l’opération dite de « nettoyage ». La CIDH a rapporté que ces opérations avaient fait 355 morts, et qu’il y avait eu 2 000 blessés, 770 prisonniers faisant l’objet d’une procédure judiciaire sans garanties et plus de 200 000 réfugiés.
La thèse du gouvernement selon laquelle tout cela n’était qu’un « coup d’État manqué financé par l’impérialisme des États-Unis » est démentie par des rapports irréfutables d’organisations internationales, qui ont documenté et dénoncé les innombrables violations des droits humains et les crimes contre l’humanité commis par les autorités nicaraguayennes, rapports récemment ratifiés par le groupe d’experts nommé par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU (voir le rapport) [1].
Depuis, le Nicaragua se trouve de facto en état de siège, sans liberté de mouvement, de réunion, d’organisation, d’expression, d’information ou d’association. Tous les partis politiques d’opposition, les médias indépendants, plus de 4 300 organisations de la société civile qui défendent différents droits (féministes, environnementaux, syndicaux, de la diversité sexuelle, des enfants, des communautés ainsi que des centres pour les personnes âgées et les handicapé·e·s) ont été dissous.
De nombreux centres ont été occupés, reconvertis en locaux gouvernementaux et leurs biens confisqués, y compris l’immeuble de La Prensa, un journal vieux de 96 ans qui a résisté à l’ancienne dictature. L’Académie nicaraguayenne des langues, l’Académie nicaraguayenne des sciences et même la Croix-Rouge nicaraguayenne ont été dissoutes.
En 2019, suite à une loi d’amnistie (qui a laissé de nombreux crimes commis par l’État dans l’impunité), un grand nombre de prisonnier·ère·s politiques ont été libéré·e·s. Cela a suscité l’espoir qu’en 2021, année électorale, les accords conclus lors du dialogue de 2019 seraient respectés, qu’un conseil électoral indépendant serait formé et que des élections seraient organisées dans de bonnes conditions.
En juin 2021, le régime a ordonné l’arrestation de tou·te·s les candidat·e·s de l’opposition et de dizaines de dirigeant·e·s politiques et sociaux, de commentateur·rice·s et de journalistes. Pour se maintenir au pouvoir, Ortega a eu recours à la tactique somoziste, en éliminant l’opposition et en ridiculisant ceux et celles qui acceptèrent de jouer le jeu. Ainsi, en 2021, il a proclamé qu’il était élu pour la troisième fois consécutive, avec 75% des voix, et en 2022, il a raflé 100% des mairies. Des organismes spécialisés ont estimé le taux d’abstention à plus de 80%.
En 2022, l’État policier s’est encore renforcé dans le pays et les plus de 300 prisonnier·ère·s politiques ont été soumis·e·s à des conditions de violation de leurs droits fondamentaux et à la torture : au secret, sans visites régulières, sans pouvoir lire, écrire ou se distraire de quelque manière que ce soit. Des conditions extrêmes d’isolement ont été appliquées à l’héroïne Dora María Téllez et à la féministe Tamara Dávila. Des prêtres et l’évêque Rolando Álvarez ont également été emprisonnés. Le général à la retraite Hugo Torres, héros de la lutte sandiniste, est mort en tant que prisonnier politique.
Aucun·e prisonnier·ère politique n’a cédé à la coercition et au chantage. La pression nationale et internationale pour leur libération a été décisive et a conduit Ortega et Murillo à libérer, le 9 février 2023, 222 personnes et à les expulser aux États-Unis. Le même jour, ces personnes étaient déchues de leur nationalité selon une procédure anticonstitutionnelle et néofasciste. Le lendemain, après avoir refusé d’être exilé, Mgr Álvarez a été condamné à 26 ans de prison et enfermé dans une cellule réservée aux détenus les plus dangereux.
Six jours plus tard, 9 autres Nicaraguayen·ne·s furent déchu·e·s de leur nationalité et de leurs droits politiques, déclaré·e·s traîtres envers leur pays et fugitif·ve·s, et privé·e·s de leurs biens et de leurs pensions, parmi eux.elles des écrivain·e·s comme Sergio Ramírez et Gioconda Belli, des journalistes comme Carlos Fernando Chamorro, l’évêque Silvio Baez, des défenseur·euse·s des droits humains comme Vilma Núñez, d’ancien·ne·s commandant·e·s comme Luis Carrión et Mónica Baltodano et des féministes comme Sofía Montenegro.
La répression contre l’Église catholique est démentielle et montre que l’objectif est de la faire disparaître du Nicaragua. Elle s’est traduite par l’exil de dizaines de prêtres, dont 18 ont été déchus de leur nationalité. Les autorités ont confisqué tous leurs biens et moyens de communication, dissous leurs organisations de soutien social, expulsé les ordres religieux et occupé les écoles paroissiales. En plus de les espionner, elles ont interdit toute célébration et bloqué les comptes bancaires de tous les diocèses.
Cinq ans plus tard, la thèse mensongère de la « tentative de coup d’État » utilisée par Ortega et Murillo ne tient plus la route. Ortega est le pire des dictateurs néolibéraux. À travers leurs politiques et leurs agressions, ils cherchent à se maintenir au pouvoir et à le transmettre à leurs enfants, comme l’ont fait les Somozas. Rien ne justifie de continuer à subir leur répression.
C’est pourquoi nous demandons aux partis et aux organisations qui composent le Forum de São Paulo de dénoncer et de condamner le régime de terreur qui sévit au Nicaragua, incompatible avec les principes d’une gauche qui se veut une alternative aux injustices du monde dans lequel nous vivons. On ne peut pas être anti-impérialiste lorsqu’on élimine l’ensemble de la société civile et qu’on supprime toutes les libertés. Nous vous demandons seulement d’élever la voix en faveur des droits humains au Nicaragua et des 70 prisonnier·ère·s politiques qui restent, et que ceux et celles qui gouvernent le fassent également dans les instances où il·elle·s ont des représentant·e·s, comme les Nations unies, l’OEA et la CELAC.
Nous, soussigné·e·s, faisons partie des prisonnier·ère·s politiques qui ont passé près de deux ans en prison, nous faisons partie de ceux et celles qui ont été exilé·e·s, déchu·e·s de leur nationalité et victimes de la répression du régime Ortega pour avoir dénoncé ses atrocités.
10 juin 2023. Signataires depuis l’exil
Sergio Ramírez Mercado, Ancien vice-président de la République. Écrivain. Déchu de sa nationalité.
Gioconda Belli, Poétesse. Déchue de sa nationalité.
Dora María Téllez, Ex-commandante Guérillera. Historienne. Ex-prisonnière. Déchue de sa nationalité.
Luis Carrión Cruz, Ex-commandant de la Révolution. Economiste. Déchu de sa nationalité.
Mónica Baltodano, Ex-commandante Guérillera. Chercheuse en sciences sociales. Déchue de sa nationalité.
Ernesto Medina, Ex-président de l’université (UNAN) de León. Déchu de sa nationalité.
Carlos Fernando Chamorro, Journaliste. Directeur de Confidencial. Déchu de sa nationalité.
Sofía Montenegro, Journaliste. Déchue de sa nationalité.
Oscar René Vargas, Ecrivain, sociologue et économiste. Ex-prisonnier. Déchu de sa nationalité.
Julio C López Campos, Ex-directeur des relations internationales du FSLN, politologue. Déchu de sa nationalité.
Azahalea Solís, Avocate spécialisée en droit constitutionnel. Féministe. Déchue de sa nationalité.
Irving Larios , Ex-prisonnier. Economiste. Déchu de sa nationalité.
Héctor Mairena, Avocat. Déchu de sa nationalité.
Patricia Orozco, Journaliste et féministe. Déchu de sa nationalité.
Haydée Castillo, Chercheuse en sciences sociales. Déchue de sa nationalité.