En Iran, l’implication des femmes dans les luttes pour l’émancipation a une longue histoire, et celle-ci est loin d’être terminée.
Contrairement à ce que voudraient faire croire aujourd’hui les proches du ls du Chah, actuel postulant au trône, le monarque en place en janvier 1979 tenait des propos profondément sexistes. Il pratiquait l’exploitation sexuelle de centaines, si ce n’est de milliers de femmes, procurant notamment des prostituées aux chefs d’État en visite. Nombre des lois misogynes actuellement en vigueur en Iran faisaient également partie du système juridique du Chah (1).
UN PASSÉ PROFONDÉMENT MACHISTE
Des millions de femmes ont joué un rôle important dans le renversement du régime royal, lors de la révolution de février 1979. Elles étaient impliquées à tous les niveaux des mobilisations révolutionnaires, les groupes de guérilla, les conseils ouvriers et les comités de grève, ainsi que dans les organisations révolutionnaires.
La vie quotidienne
de la population s’est en grande partie organisée à travers des réseaux de femmes. Les femmes qui avaient envahi les rues se battaient alors pour un changement radical de leur sort et une rupture économique et sociale.
Les femmes révolutionnaires furent les premières à comprendre que le nouveau régime était profondément conservateur, et qu’elles en seraient les premières victimes. Un de leurs slogans est devenu célèbre : « nous n’avons pas fait la révolution pour reculer mais pour avancer ! »
Mais elles ont constaté rapidement une dégradation de leurs droits. La veille du 8 mars (journée internationale des droits des femmes), l’Ayatollah Khomeyni déclara que les femmes devaient porter des vêtements islamiques dans les bâtiments publics.
Pendant six jours, des dizaines de milliers de femmes sont sorties dans les rues pour protester contre ces propos. Elles furent attaquées par des militants islamistes munis d’acide, de lames de rasoir et d’armes à feu.
Après avoir agressé les femmes, le régime commença à attaquer, entre autres, les minorités nationales, les homosexuelLes et les opposantEs politiques.
Quarante-trois ans plus tard, le taux de chômage des femmes reste beaucoup plus élevé que celui des hommes. Pour le même travail, l’écart des salaires entre les femmes et les hommes est conséquent.
Beaucoup de femmes ont à domicile une activité productive destinée au marché qui n’est pas reconnue comme telle, et pour laquelle elles sont surexploitées.
Non seulement la procréation repose sur les femmes, mais nombre d’entre elles effectuent l’essentiel du reste du travail reproductif qui est essentiel à la survie du capitalisme : soin et éducation des enfants, travail ménager, soin aux personnes vulnérables, etc. Simultanément, le Parlement islamique ne compte que 5,6 % de femmes.
DEPUIS LE MEURTRE DE JINA-MASHA AMINI
Depuis le 16 septembre 2022, les Iraniennes se mobilisent, courageusement, au péril de leur vie, en défiant les forces de l’ordre pour dénoncer la violence extrême de la police des mœurs à leur encontre.
Les revendications intersectionnelles se sont ainsi élargies au refus de la dictature des mollahs, à la défense des libertés, des droits des femmes, des minorités ethniques et des personnes LGBTI +. Dans le slogan « femme, vie, liberté », le terme « vie » inclut notamment la vie économique et sociale, et renvoie à la dignité.
Un lien fort existe entre le soulèvement actuel et la crise économique et écologique que traverse le pays, qui rappelle que les femmes souffrent d’injustices allant bien au-delà de la seule question du voile. Les femmes sont les premières victimes de ce système patriarcal. Elles subissent violences physiques et économiques, tortures et précarité. La discrimination contre les femmes est institutionnalisée et organisée, comme le soulignent les lois misogynes qui les placent au rang de citoyennes de seconde zone.
Depuis le début des mobilisations le nombre de femmes incarcérées n’a cessé d’augmenter dans les prisons iraniennes, tristement réputées pour les tortures qui y sont infligées. Les violences exercées contre les femmes ont toujours été d’une grande brutalité. Outre la volonté de domination masculine, le viol systématique des prisonnières est un outil stratégique utilisé pour faire taire la contestation.
Dans le mouvement actuel s’exprime un féminisme révolutionnaire. Brûler son voile, comme manifester pour le droit à l’avortement aux États-Unis, sont deux formes de soulèvement contre le patriarcat et la façon dont ce dernier s’ancre dans le contrôle du corps des femmes.
La contestation actuelle est un mouvement d’émancipation collective de femmes qui ne se limite pas à la défense des leurs intérêts individuels, mais qui recrée du lien social. Elle porte en germe une alternative ayant une dynamique au-delà du capitalisme.
De nombreuses expériences clandestines abondent en ce sens, parfois popularisées sur les réseaux sociaux. Comme lors des premiers mois de la révolution de 1979, des comités locaux de quartiers fleurissent, majoritairement en périphérie des grandes villes. Ces comités constituent des lieux d’échanges. Ils créent des liens permettant de lutter contre l’oppression et l’exploitation. Les femmes s’organisent et jouent ainsi un rôle d’avant-garde dans les luttes d’émancipation des exploitéEs et oppriméEs.
Note :
1. Voir l’article en ligne de Yassamine Mather :
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article65297