Les syndicats ne bénéficient d’aucun statut juridique en Iran. Leurs membres peuvent être à tout moment licenciéEs, arrêtéEs et jetéEs en prison.
Parmi les organisations reconnues figure la « Maison des Travailleurs » (MT) (1) dont le secrétaire général a été élu vice-président de la FSM (Fédération syndicale mondiale) en 2022.
Nous avons posé quelques questions à ce sujet à Sara Salemi. Exilée iranienne et militante de SSTI (2). Elle a été invitée au dernier congrès confédéral de la CGT, où son intervention a été fortement applaudie.(3)
Crédit Photo. Sara Salemi au congrès de la CGT. © CGT
L’Anticapitaliste : Quelle est la position de la MT face à la politique répressive du pouvoir ?
Sara Salemi : Non seulement elle ne la combat pas, mais elle en est un rouage.
Elle fournit aux services de sécurité les renseignements dont ils ont besoin pour réprimer les salariéEs et en particulier les militantEs.
Son activité essentielle est d’empêcher des organisations syndicales indépendantes de l’État de voir le jour ou d’être en mesure de fonctionner.Elle cherche également à empêcher les grèves.
Les travailleurs/ses leur tenant tête sont menacéEs de licenciement. Ils sont la cible d’un harcèlement quotidien, de persécution, d’emprisonnement, de violences physiques, etc. En 2005, par exemple, à la suite de la reconstitution du syndicat indépendant de la régie du transport de Téhéran et sa banlieue (Vahed), les hommes de la MT sur l’ordre de leur chef Alireza Mahjoub, et des forces de sécurité, ont pris d’assaut une réunion du syndicat, battu violemment les syndicalistes et les ont fait arrêter.
La MT défend-t-elle les droits des salariéEs ?
Sara : C’est avec l’acceptation de la MT qu’un contrat d’embauche ultra-précaire a été instauré. Celui-ci permet au patron de licencier le/la salariéE à tout moment et sans justification (93 % des ouvrierEs d’Iran sont embauchéEs sous de tels « contrats »).
Le président de la MT, Alireza Mahjoub, a été durant ses six mandats successifs au Parlement islamique (1996-2020), aux commandes de la Commission des Affaires sociales.
Cette commission a une part active dans le processus d’adoption des lois visant à renforcer les pouvoirs des patrons au détriment des droits de salariéEs, les dérégle- mentations et les privatisations.
En 1990, Alireza Mahjoub a été également promu conseiller et inspecteur spécial du président de la République de l’époque, père du néolibéralisme à l’iranienne.
La MT propage des slogans racistes et xénophobes contre les travailleurs/ses afghanEs réfugiéEs en Iran. Lors de la cérémonie offcielle du 1er mai 2015 à Téhéran organisée par la MT, de grandes banderoles et des centaines de pancartes identiques exigeaient des patrons le renvoi des travailleurs/ses afghanEs pour n’employer que des « IranienNEs ».
La MT est-elle indépendante de l’État et du parti au pouvoir ?
Sara : Depuis 1979, trois personnes dirigent le comité central de la MT. Ils sont étroitement liés à l’appareil d’État de la théocratie :
• Ali Rabi’i, secrétaire général de la MT entre 1979 et 1989 est, entre autres, devenu vice-ministre du Renseignement et de la Sécurité, puis dans plusieurs régions chef des Renseignements des Gardiens de la révolution (Sepah), ministre de la Coopération, du Travail et des Affaires sociales (2013-2018), porte parole du gouvernement (2019-2021).
• Hossein Kamali, actuel secrétaire général du parti au pouvoir a également été député durant trois législatures et promu ministre du Travail des Affaires sociales (1989-2001).
• Alireza Mahjoub occupe, depuis 33 ans, le poste de secrétaire général. Il a été simultanément député durant six législatures. Il a été désigné conseiller du Premier ministre en 1981, ainsi que conseiller et inspecteur général du président de la République en 1990.
Quelle est l’orientation internationale de la MT ?
Sara : Elle se situe d’une dans le sillage de celle de l’État iranien. La MT joue par ailleurs un rôle de premier plan dans la Fédération syndicale mondiale (FSM) – la centrale internationale autrefois dirigée par l’ex-URSS.
En mai 2022, au moment même où était déclenchée une vague massive de répression, Alireza Mahjoub a été élu vice-président de la FSM. Cette promotion contribue à préserver la mainmise de la MT sur le sort des travailleurs/ses d’Iran.
Elle vise également à servir de caution à la politique répressive de la République Islamique d’Iran, notamment envers les salariéEs et les organisations indépendantes du pouvoir.
Propos recueillis par Dominique Lerouge
Son origine remonte à la période monarchique.
Cette institution regroupait des syndicats étatiques et des associations professionnelles inféodées au pouvoir.
Lors de la montée révolutionnaire ayant débouché, en février 1979, sur la chute de la monarchie, des comités de grève et autres structures d’auto-organisation des travailleurs/ses ont vu le jour. À Téhéran, des militantEs ouvrierEs révolutionnaires se sont emparéEs du siège de cet organisme, et l’ont transformé en un lieu de rencontre de militantEs ouvrierEs, d’intellectuelLEs et de révolutionnaires de gauche.
Quatre mois après la proclamation de la « République islamiste d’Iran », des hommes de main du nouveau régime se sont emparés par la violence du siège de la Maison des Travailleurs (MT). Ces assaillants étroitement liés au clergé étaient encadrés par les services de renseignement et de sécurité.
La mission fondamentale confiée à la MT a été de faire face aux protestations des travailleurs/euses, d’empêcher la constitution de syndicats et autres organisations professionnelles indépendantes, afin de réorganiser l’exploitation de la force du travail, et ainsi procéder à la consolidation du nouveau régime.