Le 17 juillet, le Bureau national des statistiques (BNS) a annoncé une croissance de 0,8 % du Produit intérieur brut au second trimestre de 2024. Un chiffre inférieur aux attentes des analystes occidentaux, qui leur fait penser que la Chine risque fort de ne pas atteindre son objectif d’une croissance « d’environ 5 % » pour 2023.
Autre indicateur alarmant, le chômage des 16-24 ans continue de grimper. Il a battu en juin un record inédit à 21,3 %, alors que la consommation des ménages a, elle aussi, connu un nouveau tassement à seulement + 3,1 %. Les autorités ont fait savoir qu’elle s’attendaient à une poursuite de la hausse du chômage des jeunes dont les conséquences sociales sont multiples et profondes.
À cela s’ajoute des exportations en recul (- 8,3 % en juin sur un an), un secteur immobilier très lourdement endetté qui ne repart pas, une fuite des capitaux sur laquelle aucun chiffre officiel n’est donné mais que certains observateurs pensent gigantesque et la poursuite du désengagement des investisseurs étrangers qui sont légion à faire leurs valises pour s’établir dans des pays jugés plus sûrs.
« DÉCEPTION FORTE »
Outre le fait que ces données officielles sont à prendre avec des pincettes et cachent la réalité, comme de coutume dans un pays opaque comme la Chine, ce chiffre de 6,3 %, en apparence encourageant, est trompeur. Car la comparaison se fait avec la même période en 2022, une annus horribilis pour la Chine qui avait enregistré une croissance de 0,4 % au deuxième trimestre. La Chine avait dégagé une croissance de 3 % cette année-là, un plancher record depuis plus de quarante ans.
Le seul indicateur réellement positif a été la production industrielle qui affiche une croissance de 4,4 %. Le véritable constat est le suivant : le régime communiste qui, avec à sa tête le président Xi Jinping, escomptait un fort rebond après l’abandon brutal et inattendu de sa politique « zéro-Covid » à l’automne dernier, doit bien constater que ce n’est pas le cas. L’économie nationale, l’une des principales victimes de cette politique catastrophique, reste enlisée dans un marasme inquiétant.
Tout cela conduit les autorités chinoises à tirer elles-mêmes la sonnette d’alarme. L’économie chinoise fait face « à une conjoncture internationale complexe et difficile, et à des tâches ardues pour la réforme, le développement et la stabilité », a ainsi admis devant la presse un porte-parole du BNS, Fu Linghui. Le Premier ministre Li Qiang lui-même a reconnu que l’objectif de croissance de 5 % en 2023 paraissait désormais « difficile » à atteindre.
Il faut « faire preuve de scepticisme à l’égard des adonnées officielles », rappelle SinoInsider, un cabinet spécialisé sur la Chine basé aux États-Unis pour qui il faut « se préparer psychologiquement à voir d’autres signes de grave détérioration de l’économie chinoise ». Pour Alicia Garcia Herrero, chef économiste à la banque Natixis, citée par Le Figaro, « il n’y a pas de demande intérieure ! C’est le cœur du problème. La Chine se retrouve avec des surcapacités comme en 2015. Et elle est proche de la situation du Japon dans les années 1980. » Même inquiétude chez Harry Murphy Cruise, économiste chez Moody’s Analytics, cité par le média japonais Nikkei Asia : « La reprise de la Chine va de mal en pis. » Selon lui, le défi le plus grave est une crise de confiance des consommateurs et l’attitude attentiste des milieux d’affaires qui se gardent d’investir en attendant de voir la suite des événements.
« La déception est particulièrement forte s’agissant des ventes de détail et des investissements dans l’immobilier, estime, quant à elle, Qian Wang, cheffe économiste pour l’Asie-Pacifique chez le cabinet de conseil et fonds d’investissement américain Vanguard, cité par la BBC. Associé aux indicateurs antérieurs sur le commerce, l’inflation et le crédit, tout ceci conforte notre opinion sur le fait que la dynamique de croissance est encore très faible. »
CONTRE-FEUX
S’agissant de l’immobilier, le géant Evergrande qui en 2021 s’était déclaré incapable de rembourser ses dettes monumentales, a annoncé le 18 juillet des pertes cumulées de 81 milliards de dollars sur une période de deux ans (2021-2022), donnant ainsi pour la première fois une indication précise sur sa santé financière précaire alors qu’il est encore en train de tenter de restructurer ses dettes.
La quasi-faillite d’Evergrande, sauvé in extremis du naufrage par des aides de l’État toujours restées opaques, avait semé un vent de panique dans le secteur en Chine. Elle avait aussi mis en lumière ses faiblesses : un endettement considérable généré par des programmes de construction pharaoniques souvent fondés sur la spéculation et qui se sont heurtés à une demande en chute libre. Une bonne dizaine de ces groupes avaient par la suite fait état de situations de faillite comparables.
Prenons maintenant la hausse du chômage des jeunes. Elle au plus haut depuis que ces statistiques ont commencé à être publiées en 2018. Et elle est d’autant plus grave que ces jeunes ne craignent pas comme leurs aînés de manifester leur colère et leurs inquiétudes sur la place publique. « Leur expression de colère sur la situation actuelle pourrait bien susciter un recul plus large de la confiance dans l’économie », avertit encore Qian Wang.
Les médias officiels à Pékin ont déjà allumé des contre-feux pour affirmer à l’unisson que l’économie chinoise n’était certainement pas sur le point de s’effondrer et que la Chine continuait de bénéficier de la confiance des milieux d’affaires occidentaux. « Voici de retour des mêmes vieux cliché éculés : lorsque les résultats de l’économie chinoise sont en deçà des prévisions, les inquiétudes sur le développement de la Chine grimpent, expliquait ainsi le 14 juillet Xin Ping, commentateur habituel de l’agence Chine Nouvelle (Xinhua) pour les questions économiques. Cela démontre en fait à quel point la deuxième économie mondiale est importante pour tous puisque chaque petite inflexion est en mesure d’affecter l’économie mondiale. Cependant, nous devons admettre que pour certains « experts », c’est là une bonne occasion d’organiser un battage publicitaire sur une économie chinoise « faible » et de donner des leçons à l’opinion publique en prédisant « l’effondrement de la Chine ». » Et de citer le PDG du constructeur automobile américain Tesla, Elon Musk, récemment reçu en grande pompe par Xi Jinping, qui a récemment déclaré : « J’encourage tout le monde à venir en Chine pour voir par soi-même. »
Il est vrai que la Banque Mondiale tablait encore en juin sur une croissance du PIB chinois de 5,6 % en 2023. Au printemps dernier, le Fonds monétaire international (FMI) s’attendait lui à une croissance de 5,2 % cette année en Chine, pays qui, selon cette institution, contribue encore pour un tiers de la croissance mondiale.
« RESSENTI COMME UNE RÉCESSION »
Certes, aucun observateur étranger sérieux ne prédit un effondrement brutal de l’économie chinoise. La Chine conserve d’importants réservoirs de puissance. Mais les faits sont têtus : après plus de trente ans de croissance à deux chiffres, l’économie chinoise a amorcé un ralentissement notable il y a quelque cinq ans et s’est mise à dégringoler avec la pandémie du Covid-19, étouffée par les contraintes sanitaires imposées dans le pays pendant près de trois ans et qui ont durablement paralysé les chaînes d’approvisionnement puis douché les investisseurs étrangers.
De plus, le net raidissement idéologique et politique imposé par son président depuis le XXe Congrès du Parti à l’automne dernier de même que la hausse des coûts de production et une main-d’œuvre devenue plus chère qu’ailleurs, rendent la Chine moins compétitive que d’autres pays comme le Vietnam ou l’Inde.
Tout ceci entraîne naturellement une remise en question des investisseurs étrangers. Ces derniers, tout naturellement aussi, établissent un bilan bénéfices-risques : beaucoup d’entre eux, lassés pas un marché chinois devenu trop difficile et risqué, ils décident de quitter la Chine. Les exemples de départs de majors de l’industrie mondiale de Chine sont légion. Parmi eux, le géant américain de l’électronique grand public Apple, le constructeur automobile français Stellantis et, l’annonce en été faite le 17 juillet, l’autre mammouth de l’électronique américain HP (Hewlett-Packard).
Le fait avéré que la reprise espérée avec la fin de la politique « zéro-Covid » et la sortie de la pandémie n’est pas au rendez-vous conduit bien des économistes à penser que la perspective pour la Chine de devenir la première économie du monde annoncée pour autour de 2027 et rabâchée par des « experts » internationaux parfois auto-proclamés, s’éloigne d’autant et peut-être pour longtemps.
Les États-Unis restent encore largement en tête avec un PIB de 24 000 milliards d’euros en 2022, contre 17 175 milliards d’euros pour la Chine, pour un PIB par habitant de respectivement 72 710 euros et 12 159 euros. S’il y a encore deux ans les courbes semblaient effectivement devoir se croiser à l’horizon 2030, rien n’est moins sûr aujourd’hui. « Il est peu probable que l’économie chinoise dépasse celle des États-Unis au cours de la prochaine ou des deux prochaines décennies », estime Desmond Lachman, chercheur senior au American Institute, cité par Reuters. La croissance du PIB chinois va stagner autour de 3 % l’an, ce qui « sera ressenti comme une récession » par la population chinoise, ajoute-t-il : « Ce n’est pas bon pour le reste du monde » non plus.
Par ailleurs, si une récession n’est certes guère probable à court et moyen terme, pour certains économistes le danger est aujourd’hui l’entrée de la deuxième économie mondiale dans un cycle potentiellement dangereux de stagflation. Le terme « stagflation », né de la contraction des mots stagnation et inflation, désigne un contexte dans lequel une faible croissance cohabite avec une importante hausse des prix et un taux de chômage élevé pendant plusieurs trimestres. Une fois installée, la stagflation a pour danger de susciter une spirale dans laquelle l’économie est prise dans un engrenage auto-alimenté par une perte de confiance qui s’accroit avec une inflation galopante avec l’essoufflement de la croissance.Or si en Chine, l’inflation reste maîtrisée, la confiance des consommateurs est devenue médiocre, sinon franchement mauvaise. Dans un tel cycle de stagflation, ces mêmes consommateurs pourraient encore davantage différer leurs achats de biens durables en anticipant une baisse des prix, dans un pays où la coutume bien ancrée dans les habitudes est traditionnellement l’épargne. En Chine, le taux d’épargne est en effet évalué à 46,1 % de la richesse nationale contre 18 % aux États-Unis.
PAS DE « BAZOOKA ÉCONOMIQUE »
En outre, avec le spectre du chômage des jeunes qui s’amplifie, la réaction naturelle des foyers chinois est de moins dépenser. Résultat : si les restaurants sont à nouveau fréquentés par la classe moyenne, celle-ci reporte ses achats de biens durables. L’immobilier qui, à lui tout seul, représente 25 % du PIB mais qui est en crise depuis plusieurs années, a enregistré un recul des ventes 7,9 % au premier semestre.
En outre, si les autorités sont désormais mutiques sur le sujet explosif du poids écrasant de la dette publique, celle-ci est estimée par les analystes occidentaux à autour de 8 160 milliards de dollars, soit l’équivalent de presque 50 % du PIB, un seuil d’alerte donc largement dépassé. Ceci avec pour conséquence un tour de vis donné par Pékin aux programmes immobiliers et aux projets de développement des régions, qui, lui-même, se traduira par un ralentissement de l’activité et, par contagion, de la croissance économique. L’autre conséquence est une prudence redoublée dans le lancement de grands projets nationaux en mesure de tirer la croissance vers le haut mais devenus trop couteux.
Pour stimuler l’activité, la banque centrale a procédé ces dernières semaines à plusieurs réductions des taux directeurs qui sont restés sans effet. Les économistes occidentaux plaident pour un plan de relance musclé, un « bazooka économique ». Le gouvernement chinois a promis des mesures supplémentaires, mais confrontées à cette dette publique, les autorités semblent privilégier des mesures ciblées.
Autre sujet de profonde inquiétude à Pékin, la dégringolade abyssale de la démographie. Selon le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), l’Inde détrônera la Chine d’ici le milieu de 2023, avec alors 1,4286 milliard d’habitants contre 1,4257 milliard pour la Chine. Outre le fait qu’une démographie en berne mettra automatiquement à mal l’image de la Chine comme un eldorado pour les hommes d’affaires étrangers, avec le vieillissement rapide de sa population – qui pourrait baisser à 1,2 milliard d’habitants en 2075 selon les scénarios), le nombre d’actifs va chuter d’autant, avec pour conséquence un manque de bras à venir pour les entreprises et des tensions qui vont s’aggraver pour le financement déjà compliqué des retraites.
« Le problème démographique, l’atterrissage forcé du secteur immobilier, la dette des régions, le pessimisme du secteur privé et les tensions sino-américaines ne nous permettent pas de maintenir une opinion optimiste sur la croissance [chinoise] à moyen et long terme », juge Wang Jun, chef économiste à la société Huatai Asset Management, une société de courtage basée en Chine, cité par Reuters. « Si le peuple chinois ne réalise pas son rêve chinois, il se pourrait bien qu’il y ait 1,4 milliard de Chinois qui ne soient pas très heureux, ce qui pourrait se révéler plutôt déstabilisant », craint de son côté Richard Koo, chef économiste au Nomura Research Institute, dans une allusion au « rêve chinois » (中国梦), slogan politique lancé par Xi Jinping peu après son arrivée au pouvoir en 2012 et repris en de nombreuses occasions.
Enfin, dernier élément et non des moindres : les fortes turbulences que traverse l’économie chinoise coïncident avec un environnement international de plus en plus rétif sinon même hostile à la Chine. L’Union européenne notamment, longtemps prudente dans ses critiques de la Chine, a considérablement durci son langage à l’égard de Pékin ces derniers mois, semblant ainsi se rapprocher du discours ferme des États-Unis. Le Japon, la Corée du Sud et l’Australie ne sont pas en reste sur ce sujet.
« IMPOSSIBLE DE CONTENIR LA CHINE »
Revenons un instant sur les deux derniers actes du ballet diplomatique sinon-américain à Pékin. À commencer par l’émissaire de Joe Biden pour le Climat John Kerry, qui a rencontré le 17 juillet son homologue Xie Zhenhua et plusieurs autres responsables chinois. « Nous (Américains) espérons que cette rencontre marquera le début d’une nouvelle définition de la coopération [en matière de climat] et de la capacité à résoudre les différends qui nous opposent », a déclaré John Kerry, reçu le 18 juillet par Wang Yi, le plus haut responsable chinois chargé des relations internationales. « La coopération sur le changement climatique progresse entre la Chine et les États-Unis, et nous avons donc besoin du soutien conjoint des peuples des deux pays, a pour sa part affirmé Wang Yi. Il faut une relation saine, stable et durable entre la Chine et les États-Unis. » L’ancien secrétaire d’État était le troisième responsable politique américain à se rendre à Pékin en l’espace de quelques semaines après le secrétaire d’Etat Anthony Blinken et la secrétaire au Trésor Janet Yellen, ceci après une longue période de gel entre les deux superpuissances de la planète.
Mais en vérité, que pouvait-on attendre de vraiment concret de cette visite de la part des deux plus grands pollueurs du monde. Du fait même de ses difficultés économiques, la Chine, responsable à elle seule de plus de 33 % des émissions de gaz à effet de serre de la planète, continue de construire à un rythme encore accéléré des centrales à charbon sur son sol, de même d’ailleurs que dans des pays émergents. À peine deux jours après la visite de John Kerry, Xi Jinping a lui-même mis les choses au point : dans le domaine de la réduction des émissions à effet de serre, la Chine progressera à son rythme et selon son gré. La Chine ne cèdera pas « à des pressions venus d’ailleurs ».
Ce mercredi 19 juillet, recevant l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger, aujourd’hui centenaire, le même Wang Yi a, là aussi, voulu mettre les points sur les i : « Le développement de la Chine a une forte dynamique endogène et une logique historique inévitable. Il est impossible d’essayer de transformer la Chine, et il est encore plus impossible de l’encercler et de la contenir. » Henry Kissinger, celui qui lors d’une visite secrète à Pékin en 1971 avait été l’artisan de la normalisation des relations diplomatiques entre les États-Unis et la Chine, a également été reçu par Xi Jinping, comme à chacune de ses visites régulières en Chine où il est resté une icône. En reconnaissant la Chine communiste en 1979, l’administration américaine espérait que son développement économique conduirait ce pays vers la démocratie. À l’heure du bilan près de 45 ans plus tard, cette illusion longtemps nourrie à Washington est aujourd’hui perdue.
Pierre-Antoine Donnet