L’entretien a été réalisé après la treizième Convention nationale [Congrès] du Bloc de gauche, qui s’est tenue à Lisbonne du 26 au 28 mai derniers. Pour déterminer le travail du Bloc au cours des deux prochaines années, les 658 délégué.es de la convention (représentant un peu moins de 10 000 membres) ont dû choisir entre deux perspectives politiques différentes, présentées comme la motion A et la motion E. La motion A, soutenue par Costa, a obtenu le soutien de 83 % des délégués de la convention, tandis que la motion E a recueilli 15 % de soutien (2 % d’abstentions).
Lors du vote pour le Conseil national de 80 membres - la direction du Bloc entre les conventions - les partisans de la motion A ont obtenu 67 sièges et les partisans de la motion E, 13 sièges. Le Bureau national a élu les 21 membres de la commission politique du Bloc, au sein de laquelle les partisans de la motion A (y compris Costa) ont 17 sièges et les partisans de la motion E en ont 4. La convention a été marquée par l’élection de Mariana Mortagua en tant que nouvelle coordinatrice du Bloc, en remplacement de Catarina Martins, qui s’est retirée après 11 ans à la tête de l’organisation.
Vous trouverez une couverture complète de la convention (en portugais) sur le site web du Bloc de Gauche [1].
Jorge Costa a été interviewé par Dick Nichols pour LINKS International Journal of Socialist Renewal.
Le Bloc de Gauche et le gouvernement du Parti socialiste du Premier ministre António Costa
Dick Nichols - Le Bloc de gauche a perdu la moitié de son soutien électoral depuis 2017, à commencer par la perte de ses deux représentants à l’assemblée régionale de l’île de Madère cette année-là. Lors des élections législatives de 2019, il a conservé ses 19 sièges au parlement national, mais avec un nombre de voix réduit, puis a perdu 65 % de ses voix lors des élections présidentielles de 2021 et deux tiers de ses 12 conseillers locaux lors des élections locales de la même année, avant de perdre 14 de ses 19 sièges parlementaires lors des élections générales anticipées de janvier 2022. Quelle est la part de facteurs indépendants de la volonté du Bloc de gauche dans cette dégringolade et quelle est la part de ses propres faiblesses ?
Jorge Costa - L’accord entre le Parti socialiste (PS) et le Bloc de gauche qui a permis au Bloc de gauche de soutenir un gouvernement PS a été signé en 2015. A l’époque, le PS était arrivé deuxième aux élections législatives et l’enjeu était d’empêcher la droite de continuer à gouverner et à faire des ravages avec ses mesures d’austérité sans précédent. Lors des élections de 2019, à la fin du mandat de quatre ans des socialistes, et alors que l’accord avait été respecté, le Bloc de gauche a obtenu 10 % des voix (un demi-million de voix), soit presque le même résultat que quatre ans auparavant (notre meilleur résultat à ce jour). Ainsi, l’explication de notre résultat de janvier 2022 ne se trouve pas dans un continuum de mauvais résultats électoraux progressifs. Au contraire, nous avons chuté brutalement, n’obtenant plus que la moitié des voix et un quart des députés par rapport à octobre 2019.
La raison en est notre refus, pris après les négociations, de voter le budget du gouvernement PS. Lors de ces négociations, nous avons pleinement respecté notre mandat, qui était d’utiliser notre influence pour obtenir des gains importants pour la classe ouvrière et la majorité de la population : premièrement, en ce qui concerne la législation du travail - en particulier la fin des lois sur le travail de la période de la Troïka [2] et, deuxièmement, en ce qui concerne les investissements dans le Service national de santé (SNS). Cependant, nous n’avons pas été en mesure de parvenir à un accord avec le PS qui permettrait d’atteindre ces objectifs.
Nous n’avions donc pas de raison de voter en faveur du budget national. Cette décision, une décision d’indépendance stratégique par rapport au PS, n’a pas été suivie par une grande partie des électeurs du Bloc de gauche. Mais nous n’avons pas utilisé leurs critères pour décider de notre vote : nous avons utilisé des critères stratégiques, ceux de notre projet politique indépendant.
Dans les jours qui ont précédé l’élection, un deuxième facteur est apparu, qui a lui aussi largement contribué aux mauvais résultats du Bloc de Gauche : des sondages nationaux ont montré que les partis de droite, pris ensemble, faisaient jeu égal avec le vote PS. Ces sondages, qui annonçaient également une victoire de la droite avec le vote d’extrême droite, ont créé une vague de peur qui a mobilisé une partie de la gauche vers le PS.
Finalement, la victoire redoutée de la droite ne s’est pas produite et le PS a obtenu la majorité absolue au Parlement. Ainsi, soit les sondages étaient erronés, soit ils ont contribué directement, dans les derniers jours, à un changement dans les intentions de vote. Dans les deux cas, ces derniers sondages ont également été très importants pour mobiliser les électeurs de gauche vers le PS. Ce sont ces deux facteurs qui expliquent nos mauvais résultats en 2022.
Le mauvais résultat du Bloc de gauche (et du PCP) montre-t-il que le sous-financement du SNS n’était pas - à ce moment-là - la question la plus importante pour une grande partie du « peuple de gauche » ? Le Bloc de gauche a-t-il mal interprété l’état d’esprit populaire ?
Comme je l’ai dit, nous avons utilisé notre mandat pour exercer une pression sur des questions stratégiques pour la classe ouvrière, comme la législation du travail, le financement du SNS et la lutte contre la précarisation. Nous refuserons toujours d’être un appendice du PS, d’être la cinquième roue du carrosse du gouvernement. Ainsi, dans les circonstances de l’époque, nous devions faire un choix : l’autonomie ou la subordination au PS. Nous avons choisi l’autonomie et nous avons reculé après les résultats des élections nationales. C’est vrai. Nous avons perdu beaucoup de poids, mais nous avons gardé notre colonne vertébrale intacte et nous sommes maintenant capables de riposter, et c’est ce que nous faisons.
Nous affrontons la majorité absolue du PS avec un groupe parlementaire beaucoup plus restreint qu’auparavant, mais avec une relation directe et cohérente avec les mouvements populaires qui émergent contre l’arrogance des socialistes et leur incapacité à répondre aux grandes questions qui se posent aujourd’hui au Portugal.
Contrairement à la geringonça (« bricolage ») 2015-2019 – à savoir la période durant laquelle le gouvernement PS a été soutenu de l’extérieur par le Bloc de gauche, le PCP et d’autres sur la base d’un ensemble d’engagements spécifiques – le gouvernement majoritaire PS actuel a tiré sa stabilité de pactes avec le grand capital portugais combinés avec, au mieux, des mesures cosmétiques de dernière minute pour répondre aux multiples crises sociales dont souffre le pays. Il semble aujourd’hui en payer le prix fort, avec une moyenne de 29 % dans les derniers sondages [3] - à égalité avec le Parti social-démocrate (PSD) de l’opposition - et bien en deçà de son résultat de 41,4 % dans le sondage de janvier 2022. Des sondages récents montrent également que le Bloc de gauche retrouve un soutien de 8 à 10 %. Comment expliquer ces changements ?
Il existe aujourd’hui de nombreux sondages différents et ils reflètent des attitudes électorales différentes. Il est également vrai que certains indiquent que le Bloc de gauche se rétablira lors des prochaines élections ou obtiendrait de bien meilleurs résultats si les élections avaient lieu aujourd’hui.
La politique de la majorité absolue du PS est marquée non seulement par une grande arrogance – refus de répondre aux partis d’opposition, refus de venir au parlement pour rendre compte de leurs erreurs – mais aussi par le délitement du gouvernement, avec la chute de nombreux de ses membres (13 à ce jour) pour cause de scandales, petits et grands, de conflits d’intérêts, de promiscuité entre le monde des affaires et la sphère publique.
Mais c’est surtout par manque de perspectives, de réponses à la crise sociale et au cycle d’inflation. Les citoyens subissent la pression de la stagnation des salaires, conséquence du pacte gouvernement-patrons, et de l’effet combiné de l’inflation et des hausses de taux d’intérêt décidées par la Banque centrale européenne (BCE). Le Portugal est confronté à une crise massive du logement, avec de nombreuses personnes incapables de payer une maison et cherchant sans cesse un logement. Nous sommes également confrontés à d’énormes difficultés dans le fonctionnement normal des services publics, principalement l’éducation et la santé : tout au long de l’année 2022, nous avons connu la plus grande vague de grèves jamais observée dans l’éducation et des grèves très importantes dans les services de santé publique, parce que le gouvernement a continué à refuser les demandes minimales des médecins, des infirmières et des enseignants.
Le Portugal a également un modèle de développement basé sur un tourisme massif et non durable. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles la croissance du produit intérieur brut (PIB) n’entraîne pas une augmentation correspondante du niveau de vie. Au contraire, les gens s’appauvrissent, ils sont perdants, car la part des salaires dans la distribution de la richesse du pays diminue. Mais les socialistes sont trop déconnectés de la population et pensent que les gens qui s’appauvrissent seront heureux de voir de gros chiffres de croissance du PIB.
Cette croissance du PIB va aux secteurs économiques et financiers protégés qui bénéficient du modèle de développement portugais et des règles de l’Union européenne, qui interdisent les investissements publics et les politiques favorables aux travailleurs tout en facilitant les opérations financières spéculatives. C’est pourquoi, selon les statistiques de la BCE et du Fonds monétaire international, la moitié du taux d’inflation s’explique par la croissance des bénéfices.
Dans une interview publiée le 26 mai dans le Diário de Notícias, l’ancien coordinateur du Bloc de gauche, Francisco Louçã, a déclaré que le gouvernement socialiste avait « abandonné le SNS ». Il a également qualifié le projet de privatisation de la compagnie aérienne publique TAP-Air Portugal d’« insensé du point de vue de la stratégie économique du pays ». Pourquoi le gouvernement PS, contrairement au gouvernement espagnol du Parti socialiste ouvrier (PSOE), poursuit-il cette approche ? N’est-ce pas saper la base de soutien du PS ?
Le Portugal et l’Espagne sont soumis à la même structure de pouvoir, celle des institutions européennes, de la Commission européenne, de la BCE, du Conseil européen et de l’Eurogroupe [des ministres des finances de la zone euro]. Ainsi, les principales caractéristiques des deux gouvernements – malgré la participation, dans le cas de l’Espagne, de partis de gauche dotés de ministères –- ne sont pas si différentes : ils acceptent tous deux les règles européennes.
Il est vrai qu’en tant que petit pays, le Portugal a moins de pouvoir de négociation dans les conclaves européens. Nous avons également des formes de subordination et d’application des règles européennes et des politiques monétaires de l’euro plus strictes et plus toxiques, qui sont l’une des principales causes de notre stagnation.
Mais lorsque nous assistons à la visite à Lisbonne de la présidente de la BCE, Christine Lagarde, nous comprenons l’énorme arrogance de ce pouvoir, qui ne cesse d’augmenter les taux d’intérêt sur les prêts hypothécaires à l’habitat. Elle vient dans un pays comme le Portugal, où une grande partie de la population a des prêts hypothécaires à taux d’intérêt variable et doit faire face à une augmentation énorme de ses remboursements hypothécaires, et dit « c’est la vie, vous devez juste vous en accommoder. À la BCE, nous continuerons à augmenter les taux d’intérêt », comme si l’inflation était due au fait que les travailleurs consomment trop.
Ce n’est pas vrai. Il s’agit d’un faux récit. Il s’agit d’une guerre de classe contre les travailleurs et les pauvres, et Lagarde et les institutions européennes prennent parti dans cette guerre et s’organisent pour qu’elle soit gagnée par les bourgeoisies des pays européens.
Dans une interview accordée le 14 juin au Jornal de Noticias, Mariana Mortagua, coordinatrice nouvellement élue du Bloc de gauche, a décrit la situation politique portugaise actuelle comme un « bourbier » et a déclaré : « En 2019, le PS, en rejetant la deuxième geringonça, un deuxième accord écrit et la possibilité d’ouvrir de nouvelles politiques à la gauche, a dit au pays qu’il n’y aurait pas de politiques de gauche... Le choix, à partir de ce moment-là, était entre le mauvais – le PS gouvernant avec sa majorité absolue – et le pire – un gouvernement de droite. » Quelle est la stabilité du gouvernement PS ? À plus de deux ans des prochaines élections, le Bloc de gauche, associé aux autres forces de gauche du PS, peut-il imposer un changement de ligne à M. Costa ? Ou est-il tout simplement trop tard pour une geringonça 2.0 ?
Les socialistes ont la majorité absolue : ils n’ont pas besoin de voix supplémentaires pour changer de politique. Nous comprenons que pour obtenir des changements, nous devons descendre dans la rue. Le Bloc de gauche est donc très engagé dans l’organisation des mouvements sociaux et des travailleurs et leur donne une référence politique solide.
Comme je l’ai dit, nous avons assisté ces dernières années à des mouvements de protestation très importants. Par exemple, les plus grandes manifestations jamais organisées par les enseignants des écoles publiques, les grèves répétées des médecins et des infirmières, et les grèves des transports publics qui durent depuis longtemps.
Il y a un refus continu et général du gouvernement de répondre aux travailleurs en général et surtout aux travailleur.es des services publics qui deviennent de plus en plus âgé.es et épuisé.es, avec des problèmes pour trouver du personnel de remplacement parce que les conditions sont si mauvaises que les jeunes refusent de faire carrière dans ces domaines.
Nous constatons également la politisation des mouvements LGBTIQ+ et féministes et leur résistance aux pressions conservatrices qui accompagnent la montée de l’extrême droite. Ces mouvements et leur politisation ont joué un rôle très important au cours de la dernière période, avec d’énormes manifestations de jeunes. Ils sont une partie cruciale du paysage de la résistance sociale.
Le rôle du Bloc de gauche est donc d’être un point de référence de gauche, d’offrir une politique de gauche à ces mouvements et aux secteurs de masse qu’ils représentent. C’est ce que nous faisons pour affronter le gouvernement et lui arracher un changement politique.
Quelle est la vérité, s’il y en a une, dans le diagnostic de la minorité de la motion E sur les problèmes du Bloc de Gauche (sa dite « perte de cohérence et dilution en tant que projet politique ») comme étant due à « l’accent parlementaire presque exclusif en tant que centre d’initiative politique, la mise à l’écart des luttes populaires et même la distanciation des luttes syndicales sujettes à de fortes attaques de la part du gouvernement » ?
Tous ceux qui ont assisté et suivi les activités de notre Convention nationale peuvent témoigner de l’énorme participation des militants du Bloc de Gauche, de grandes responsabilités qu’ils assument dans la dynamisation des mouvements sociaux au Portugal.
Nous sommes un parti pluriel, nous sommes ouverts à la libre expression de toutes les opinions. Nos congrès sont ouverts aux médias, notre opposition a la garantie statutaire de la liberté d’expression et de la liberté d’organisation au sein du parti.
Mais force est de constater que le type de critique contenu dans la motion E s’exprime moins aujourd’hui que lors de la dernière convention. Il s’agit donc d’un point de vue particulier, respectable et légitime, mais qui représente une petite minorité au sein du Bloc de gauche.
Si l’on regarde depuis 1999, le vote du Bloc de gauche a été l’un des plus volatiles des partis portugais. Le Bloc de gauche peut-il faire quelque chose pour modérer les montagnes russes de son soutien ? Peut-on faire comprendre aux électeurs de gauche qu’ils n’ont pas besoin de voter PS pour arrêter la droite, que ce qui compte, c’est que le vote global de gauche dépasse celui de la droite ?
Ces montagnes russes ne nous rendent pas nerveux ! Les élections sont un miroir déformé de l’environnement social du pays et du rapport de forces dans la lutte des classes. Ainsi, quiconque espère une croissance électorale régulière comme stratégie de changement social sera déçu. Et je pense que c’est vrai partout. Il suffit de regarder la France et les récents développements politiques dans ce pays, des développements positifs dans les rues, mais aussi dans les urnes avec la montée de la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Ainsi, pour survivre à long terme, la gauche doit également être prête à des changements politiques rapides et être prête à intervenir et à prendre des initiatives dans des contextes politiques instables.
Nous devons être cohérents et indépendants du camp social-libéral, comme les partis travaillistes [ouvriers ?] ou les partis socialistes tels que nous les avons ici au Portugal ; des partis qui ont abandonné une perspective de gauche sur l’économie. Les travailleurs n’ont pas besoin de la gauche si elle ne fait que leur expliquer qu’ils doivent s’appauvrir. Lors des élections, il y aura de bons et de mauvais moments, des hauts et des bas, et souvent les résultats électoraux, bons ou mauvais, ne révèlent pas la qualité des choix stratégiques.
L’important est de rester du côté des exploités et de toujours agir en conséquence, dans la lutte de rue et au parlement.
Les prochaines élections au Portugal concernent l’assemblée régionale de Madère. Quelles sont les chances du Bloc de gauche de retrouver une présence dans cette assemblée régionale ?
Nous avons perdu notre représentation en 2017 à quelques voix près. Madère est un archipel de deux îles avec 150 000 électeurs au total. C’est une région dotée d’un gouvernement autonome. Les sondages indiquent maintenant que nous avons de grandes chances de revenir au parlement et c’est pour cela que nous nous battons en ce moment à Madère.
L’émergence de Chega
Chega (Assez) est arrivé tardivement dans la vague de réactions d’extrême droite en Europe et a surgi au moment où certains d’entre nous disaient que, contrairement à l’Espagne, il n’y avait pas d’extrême droite au Portugal en raison de la révolution des œillets du 25 avril 1974 ! Quelle caractéristique partage-t-elle avec les autres forces d’extrême droite en Europe ? Quelle est sa spécificité portugaise ? Pourquoi est-elle apparue si tardivement ? A-t-il le même degré de soutien dans l’appareil d’État, le système judiciaire, les forces armées et la police que Vox, par exemple, dans l’État espagnol ?
Pendant de nombreuses années, il y a eu un parti, le Parti du centre démocratique et social – Parti populaire (CDS-PP), qui était une sorte de rassemblement des restes de la dictature, du personnel politique de ses dernières années, avec des liens étroits avec l’église et des sections de la bourgeoisie, des sections de la confédération patronale, etc. À son apogée électoral, le CDS-PP a obtenu le même score que Chega aujourd’hui, soit environ 12 %. Le CDS-PP a disparu du paysage politique et ses cadres sont aujourd’hui orphelins. Ils ne sont pas à Chega – ils ne sont pas devenus des politiciens d’extrême droite. Mais l’extrême droite a absorbé le vote populaire que ce parti avait, vous pouvez donc voir cela comme une sorte d’aggiornamento [mise à jour] de la base de l’aile droite, de sa base électorale.
Lorsque vous observez le personnel politique de ces nouveaux partis politiques d’ultra-droite – non seulement Chega, mais aussi Iniciativa Liberal (IL, Initiative libérale) –, vous constatez qu’il est issu des cadres moyens des partis de droite traditionnels. Ainsi, plutôt que de voir des groupes nazis et fascistes obtenir une représentation parlementaire et se développer, nous avons des secteurs des formations de droite existantes qui se fragmentent et se réorganisent, adoptant des éléments de la droite radicalisée – de Trump et d’Orban, mais aussi de la droite ultra-libérale de toute l’Europe.
Dans le cas de Chega, il convient également de noter sa fragilité organique. Par exemple, un tiers de ses membres élus au sein des exécutifs des conseils locaux ont démissionné du parti l’année dernière. Non pas en raison de divergences politiques spécifiques, mais à cause de personnalités et d’ambitions personnelles opposées. Par ailleurs, les derniers congrès du parti ont été jugés irréguliers par la Cour constitutionnelle.
Il s’agit donc d’une organisation encore très faible, dont les représentants et les candidats sont toujours choisis par des personnes ayant des liens très lâches avec le parti lui-même, ce qui reflète son manque de présence sociale réelle. Oui, Chega est très visible au Parlement. Elle a un leader très charismatique, André Ventura (qui vient du PSD), mais c’est une organisation très lâche avec très peu de capacité de mobilisation dans la rue.
La police est le seul secteur où l’influence de l’extrême droite est réelle dans ses rangs organisés. Dans aucun autre secteur, dans aucune autre expression de protestation, la Chega n’a quelque chose de comparable, pas même dans les secteurs massivement mobilisés, comme les enseignants et les infirmières. Nulle part ailleurs, l’extrême droite n’a de capacité de mobilisation.
Néanmoins, l’extrême droite reste liée aux thèmes traditionnels de la droite portugaise : le racisme anti-Roms, la nostalgie coloniale et le salazarisme, la normalisation de la dictature fasciste et la guerre coloniale considérée comme une épopée héroïque. Le tout accompagné d’une nostalgie machiste et d’un rejet très fort du féminisme. Telles sont les principales caractéristiques du récit de l’extrême droite portugaise, telle que représentée par Chega.
Il y a ensuite IL, un autre parti radicalisé de la droite, mais qui est très différent. IL est un parti ultra-libéral, d’inspiration hayékiste, l’un des nombreux partis européens de ce type. C’est un parti libéral extrémiste, antimarxiste, mais pas ultraconservateur, dont le programme est axé sur des questions économiques telles que la réduction des taux d’imposition.
L’IL dispose d’une base de soutien dans la population aux revenus élevés et est beaucoup plus concentré dans les milieux aisés des centres-villes. Son électeur type est plus jeune et plus éduqué. Il n’exprime pas ouvertement ses idées xénophobes et racistes et refuse de les intégrer dans son programme.
Comme le gouvernement du PSOE à l’égard de Vox, Antonio Costa [Premier ministre depuis 2015] estime qu’il est toujours politiquement avantageux de présenter le PS comme le meilleur rempart anti-Chega de la démocratie portugaise et de souligner la complicité du PSD avec l’extrême droite. La tactique est de construire le vote PS en divisant la droite et en effrayant les électrices et électeurs de gauche pour qu’iles se réfugient auprès d’elle. Comment le Bloc de gauche peut-il contrer cette tactique, qui prétend que le PS est la seule véritable force antifasciste ?
La principale façon pour le Bloc de gauche de répondre à cette question est d’expliquer que Chega est une « fédération du mécontentement » - le mécontentement face à la politique néolibérale et à ses résultats en matière de salaires, de santé, d’éducation, etc. Tout cela malgré l’absence de politiques répondant à ces besoins, ou même d’une version plus radicale des politiques néolibérales.
C’est le résultat direct de la mauvaise politique du gouvernement socialiste, qui refuse les politiques de gauche. Nous répondons donc à l’extrême droite en trouvant la plus grande unité dans les mouvements qui résistent au fascisme, au racisme, à la misogynie, à l’homophobie ou à la transphobie, mais aussi en soulignant notre opposition au néolibéralisme du PS et en répondant sur le terrain d’une politique économique et sociale alternative.
Cette orientation coïncide avec la façon dont la protestation s’est développée au cours de la première année et demie de la majorité absolue du PS. Toutes les manifestations qui ont vu le jour sont accompagnées de revendications de gauche : celles des enseignant.es, des travailleur.es de la santé, des travailleur.es du système judiciaire ; les revendications des féministes, celles du mouvement LGBTIQ+, celles des jeunes qui se battent pour le logement.
Ils sont tous liés à la gauche et à nos revendications de gauche. Elles n’ont aucun lien avec l’extrême droite et celle-ci n’est pas présente dans ces manifestations. C’est très, très important, car l’opposition de la rue au gouvernement Costa n’est pas du tout une opposition d’extrême droite. Elle est principalement menée par des mouvements sociaux et des syndicats, qui sont directement liés aux partis de gauche et à l’opposition de gauche, que ce soit le PCP ou le Bloc de gauche.
Regardez la France, un pays où vous avez un centre gouvernant très proche du PS portugais, celui d’Emmanuel Macron. Et là, vous avez une extrême droite forte d’un côté et une gauche forte de l’autre, menée par la France Insoumise. Il est vrai que l’extrême droite monte en Italie, en Grèce et en Espagne, et qu’elle est très forte aussi en France, mais la performance de la gauche française montre – ses résultats électoraux le montrent – qu’il y a de la place pour un autre type d’opposition de gauche, à condition qu’elle soit cohérente et indépendante.
C’est ainsi que nous pourrons créer un pôle d’attraction de gauche capable de gagner les secteurs sociaux de la classe ouvrière qui sont sous le choc des politiques néolibérales du PS et qui pourraient être plus vulnérables à la démagogie de l’extrême droite.
Dans l’État espagnol, une partie du vote pour Vox, qui provient principalement des banlieues riches et très riches, est également concentrée dans les régions les plus pauvres le long de la côte méditerranéenne, où il y a beaucoup de travailleurs nord-africains et subsahariens. Ici, le racisme et l’islamophobie de Vox trouvent un soutien dans les quartiers populaires hispanophones les plus abandonnés. La situation portugaise est-elle similaire ? Si oui, que propose le Bloc de gauche pour contrer l’influence de Chega ?
Les caractéristiques de l’immigration au Portugal sont très différentes de celles de l’Espagne. Ici, Chega est étroitement liée aux intérêts, aux patrons, de notre monoculture intensive dans l’agriculture, qui dépend fortement de la main-d’œuvre immigrée. Chega a donc davantage axé son message sur des thèmes tels que la romanophobie, la corruption dans la politique, l’ultra-conservatisme concernant les LGBTIQ+ et les préoccupations féministes, ainsi que l’opposition à l’euthanasie et à l’avortement. Il s’agit là des principales questions, des lignes sur lesquelles l’extrême droite tente de construire son identité, plus que d’une position raciste et anti-immigration pure et simple. Une telle position se heurterait, à un moment donné, aux intérêts de certains de ses propres partisans et financiers, les patrons de l’agriculture intensive du Sud.
Par ailleurs, les électeurs de Chega sont différents de leurs homologues de Vox. L’électeur type de Chega est un homme, d’âge moyen ou âgé, issu des classes populaires. Comme je l’ai dit, l’électeur de droite plus éduqué et plus urbain qui pourrait voter Vox en Espagne a tendance à voter IL au Portugal.
Renforcer la justice sociale, la résistance sociale et la politique alternative
La motion A, devenue la politique du Bloc de gauche, exprime l’aspiration qui anime le Bloc de gauche : « Une bonne vie pour toutes les personnes » et la résume comme suit : « un logement confortable, un travail assorti de droits, des services publics de qualité, du temps pour profiter de la vie sur une planète habitable, l’accès à la culture, le bien-être individuel et collectif . Bien vivre requiert les conditions matérielles d’une existence digne, mais c’est plus que cela : c’est l’autodétermination de ce que nous voulons être, c’est la liberté et le respect de nos choix. C’est l’attention et l’interdépendance. C’est la sécurité de l’avenir, d’un salaire et de pensions. C’est la paix d’une place dans le monde qui ne dépend pas de la compétition avec les autres ou de la tyrannie du marché. C’est le partage des biens communs et la démocratie qui décide ; l’essence du socialisme ». Pourquoi cette reformulation était-elle nécessaire ?
Il ne s’agit pas d’une innovation théorique. Nous avons essayé de donner une définition simple à une idée très simple. L’accès aux biens et services essentiels est refusé à des secteurs de plus en plus larges de la société, au fur et à mesure que les inégalités se creusent et que les politiques néolibérales font des ravages. Ainsi, lorsque nous parlons de la lutte pour une bonne vie, nous parlons de l’ensemble des revendications que tout le monde trouve justes et considère comme des droits essentiels – le logement, un salaire équitable, l’éducation, les soins de santé, la culture – mais qui ne sont réalisables dans le contexte actuel qu’à travers des politiques socialistes du type de celles que propose le Bloc de Gauche. Je suppose donc que partout la gauche devrait faire ses devoirs et essayer de trouver des moyens et des mots efficaces pour faire passer son point de vue écosocialiste. Lorsque nous parlons de la bonne vie, nous nous inspirons également de cette idée qui nous vient des peuples indigènes d’Amérique du Sud.
Nous essayons d’exprimer l’idée très simple de ce qu’est un droit humain essentiel, de ce qui est juste, de ce que tout le monde devrait avoir, de ce qui doit être garanti et ne pas être mis en danger comme c’est le cas aujourd’hui. S’il n’y avait pas de risque, nous aurions une bonne vie. Je pense que cela résume notre façon de présenter notre proposition politique.
Les deux motions présentées à la convention font état des grandes manifestations de travailleurs migrants et de lutte contre le racisme qui ont eu lieu au Portugal. Comment le Bloc de Gauche entend-il renforcer son soutien et son implantation parmi les travailleur.es migrant.es qui, comme dans les pays méditerranéens, sont largement concentré.es dans des emplois occasionnels faiblement rémunérés dans le nettoyage, l’hôtellerie, les soins aux personnes âgées et le tourisme ?
Les militants du Bloc de gauche sont présents sur les deux fronts les plus importants où la gauche traite avec les immigrés. Le premier est l’agriculture intensive dans le Sud, où se concentre une main-d’œuvre immigrée. Nous essayons d’entrer en contact avec ces travailleur.es par le biais de leurs réseaux d’associations, afin de lutter pour ceux qui travaillent « illégalement » (sans papiers de résidence) et qui survivent dans des logements épouvantablement inadéquats – une existence très cruelle pour les travailleurs de l’agriculture intensive. Nous sommes au centre des efforts pour dénoncer ces conditions, qui échappent trop souvent à l’attention des municipalités, même dirigées par le PCP, où cette agriculture est implantée. Ainsi, à gauche, nous sommes la principale force qui s’occupe des sous-paiements, de mauvaises conditions de travail et des logements misérables de cette main-d’œuvre.
Le deuxième front concerne les plateformes numériques des entreprises de livraison qui emploient une grande masse de travailleur.es immigré.es – Brésiliens, Asiatiques, Africains – qui, une fois embauché.es par ces plateformes numériques, finissent par être surexploité.es et sous-payé.es. Ici, nous avons également une intervention en cours de développement, une expérience très difficile et nouvelle pour nous. Nous essayons de développer cette expérience en engageant ces communautés dans des réseaux de solidarité et d’entraide.
Cette expérience est très importante. Pas plus tard qu’à la mi-juin, nous avons pu faire adopter par le parlement une nouvelle loi contre la précarisation dans ces secteurs « ubérisés », lançant un processus d’inspection publique des conditions de travail et des contrats de travail des travailleurs de ces plates-formes. Avec les travailleurs organisés de ce secteur, nous suivons le processus de très près afin de changer les conditions brutales qui prévalent dans ce secteur.
Enfin, nous avons une très grande communauté portugaise qui est victime de racisme et qui est principalement composée de petits-enfants et d’arrière-petits-enfants d’immigré.es des anciennes colonies portugaises. Nous essayons d’établir des liens avec ces personnes et de les rallier au mouvement antiraciste et à la lutte pour donner de la visibilité à l’oppression de cette communauté catégorisée par la race. Nous le faisons en participant au mouvement antiraciste, au mouvement des Noirs et à notre pratique au sein du parti.
Cette approche consiste notamment à mettre en avant la présence de Noir.es et de personnes appartenant à une catégorie raciale au sein de la direction du Left Bloc et sur nos listes électorales. Par exemple, la première femme noire à occuper un poste exécutif au conseil municipal de Lisbonne est notre représentante Beatriz Gomes Diaz [4].
Cependant, il reste un long chemin à parcourir dans ce pays, qui a une histoire impériale et coloniale en Afrique, en Asie et en Amérique latine, ainsi qu’une longue histoire d’esclavage et d’exploitation. Nous rassemblons les demandes et le matériel historique qui permettent aux Noir.es et aux personnes appartenant à des catégories raciales au Portugal de lutter pour la mémoire historique, la dignité et la reconnaissance de la signification de la violence de l’oppression exercée dans les pays qui étaient des colonies portugaises. Cette partie de notre pays paie encore le prix des politiques que la classe dirigeante et le pouvoir en place au Portugal y ont imposées pendant des siècles.
La crise de l’accessibilité au logement, qui est commune à la plupart des pays capitalistes avancés, est particulièrement aiguë au Portugal, où les prix moyens des logements ont doublé en moins de dix ans et où, comme en Espagne, la situation désastreuse est exacerbée par la dépendance économique à l’égard du tourisme. Quelles sont les propositions du Bloc de gauche pour résoudre la crise du logement ?
Aujourd’hui, le Portugal est l’un des pays les plus durement touchés par la dynamique de spéculation et de financiarisation du marché du logement.
Notre énorme crise du logement est le résultat de la gentrification, de l’expulsion des habitants.e des centres-villes vers des périphéries de plus en plus éloignées, ainsi que de l’augmentation de la demande de logements dans les grandes villes – principalement Porto, Lisbonne, l’Algarve, Madère – de la part des non-résidents. C’est l’un des facteurs de l’appauvrissement rapide de la population, avec la hausse des taux d’intérêt hypothécaires des banques.
Dans ces circonstances, les propositions du Bloc de gauche sont les suivantes :
• Premièrement, un investissement massif dans l’augmentation du parc de logements sociaux, à des loyers accessibles.
• Deuxièmement, l’interdiction de vendre des logements aux non-résidents, car dans ce pays, ces logements sont presque entièrement dédiés à la spéculation et aux modes de vie luxueux.
• Troisièmement, la fin du « visa d’or », un mécanisme visant à promouvoir la vente de bons logements à de riches étrangers, principalement des oligarques de Chine, du Brésil, de Russie et d’Ukraine.
• Quatrièmement, un plafonnement des loyers pour empêcher les propriétaires de logements privés d’imposer des loyers exorbitants.
En ce qui concerne les banques, nous demandons une limitation de la part de leurs revenus qu’une famille doit consacrer au paiement de son hypothèque. Avec l’augmentation du taux Euribor, la part du revenu familial consacrée au paiement de l’hypothèque augmente très rapidement et devient très élevée pour un grand nombre de familles.
La différence entre les mensualités des prêts hypothécaires appliqués aujourd’hui et ceux appliqués au moment où les hausses du taux Euribor ont commencé devrait être financée par les bénéfices records des banques – les plus élevés depuis au moins 15 ans.
Le Bloc de gauche est très impliqué dans la campagne pour un financement adéquat du SNS, avec une manifestation nationale le 3 juin présentée à la convention. Comment cette campagne progresse-t-elle ?
Le mouvement de défense du SNS est stratégique. La privatisation des services de santé est en cours depuis plusieurs années et se fait par le biais d’un désinvestissement dans le service public de santé. En conséquence, les gens ont de plus en plus de mal à obtenir un rendez-vous en temps voulu avec leur médecin du SNS et, comme les listes d’attente s’allongent de plus en plus, ils ont également beaucoup de mal à se faire opérer, même en cas d’urgence.
La porte s’ouvre donc aux investissements des entreprises privées dans le domaine de la santé et de l’assurance maladie, car de nombreuses personnes se tournent vers le secteur privé des soins de santé. Or, il se trouve que ces soins sont subventionnés par le budget national par le biais de contrats passés directement par le SNS avec des prestataires privés !
C’est une façon épouvantable de gérer les fonds publics : ils devraient être consacrés à l’expansion de la capacité des services de santé publique afin de les rendre universels, accessibles et opportuns pour tous ceux qui en ont besoin. Cette revendication était au centre d’un nouveau mouvement lancé début juin et qui rassemble non seulement les infirmières, les médecins et le personnel des hôpitaux et des centres de santé, mais aussi les citoyens qui utilisent ces services et veulent les défendre.
Il est essentiel que la société portugaise se mobilise en faveur de la SNS en apportant un soutien citoyen aux revendications des syndicats des professionnels de la santé. Leurs revendications sont simples : de meilleures carrières et de meilleurs salaires afin de pouvoir recruter et retenir les professionnels dont le service a besoin. Aujourd’hui, il existe un énorme problème de personnel professionnel insuffisant, de plus en plus âgé et surmené dans tous les services de santé.
Ces problèmes doivent être résolus, mais les professionnels ne peuvent les résoudre seuls – ils doivent bénéficier de la solidarité active de la communauté. C’est le défi auquel nous sommes confrontés dans le mouvement « Plus de SNS », comme il s’appelle : porter la lutte pour des soins de santé publics nationaux correctement financés au-delà du secteur de la santé et dans la société dans son ensemble.
Le programme du Bloc de Gauche implique un type de budget national très différent, avec un financement accru des services publics et des infrastructures pour la transition écologique, financé par des contributions plus importantes de la part de ceux qui peuvent se permettre de payer. Le Bloc de Gauche a-t-il développé un processus budgétaire alternatif permettant de visualiser ses priorités ?
La visualisation des priorités du budget national a été l’une des principales caractéristiques de la période d’accord entre le PS et les partis de gauche. Le processus de négociation qui a eu lieu à cette époque a relié les mouvements sociaux, la protestation sociale et les syndicats à des négociations concrètes sur chaque nouveau budget.
Ce processus était très visible, dans les médias quotidiens pendant des semaines et des mois, chaque année de ce mandat de quatre ans. Le budget était discuté dans son intégralité, depuis ses principales priorités jusqu’aux détails spécifiques. Cette négociation a été très importante car elle a donné à la discussion sur les options budgétaires un profil très public, le parlement lui-même devenant une sorte d’arène de négociation entre la gauche et le gouvernement socialiste.
La droite a été marginalisée dans ce processus, réduite à se plaindre de la pression de la gauche et des résultats de ces négociations, même si la majeure partie de ces négociations était une bonne nouvelle pour les gens ordinaires. Il a également été très difficile pour la droite d’affirmer un programme social et économique alternatif, puisque les négociations ont apporté des gains aux travailleur.es.
Voilà donc la principale expérience que nous avons vécue, une expérience parlementaire, mais une expérience très publique qui a permis de bien visualiser ce qu’est un processus budgétaire.
Bien sûr, si nous avions fait partie du gouvernement, ces négociations auraient été beaucoup plus discrètes, se seraient déroulées beaucoup plus à l’intérieur et auraient été moins examinées. Alors que dans d’autres pays, les partis de gauche participent à des alliances gouvernementales avec les socialistes, nous ne le faisons pas. Nous soutenions le gouvernement PS de l’extérieur, au parlement, mais nous étions en conflit permanent avec les socialistes au parlement et avec le gouvernement. Il s’agissait d’un processus de négociation permanent et, je pense, d’un processus très formateur pour tous ceux qui y ont participé.
Bien sûr, après 2019, le processus n’était pas assez fort pour faire face à la pression et au chantage de l’aile droite et, comme je l’ai déjà mentionné, il n’était pas facile de voter contre le gouvernement. Mais vous devez prendre en considération le fait que pendant la période de l’accord (entre 2015 et 2019), le Bloc de gauche a pu faire bon usage de ce processus de négociation et a répété son très bon résultat électoral à la fin de l’accord.
Selon vous, dans quelle mesure le Bloc de gauche doit-il encore développer des politiques et concrétiser des projets pour la transition écosocialiste ?
En ce qui concerne la transition écosocialiste, je pense qu’il y a un équilibre à trouver – et c’est ce que le Bloc de Gauche essaie de réaliser – entre le développement d’un programme politique très détaillé et précis pour la transition et la pleine utilisation des opportunités que l’équilibre des forces sociales nous donne pour imposer des changements concrets.
Nous pensons que la transition écosocialiste sera le produit des luttes sociales contre l’injustice climatique. Bien sûr, la gauche doit avoir sa propre proposition, et nous avons la nôtre. Nous l’avons présentée dans le cadre de notre programme national.
La planification écosocialiste est une planification économique déterminée par des critères de justice sociale et climatique. Cela signifie que nous devons réaliser les transitions dans la production et la distribution et faire les choix techniques nécessaires pour produire ces changements, mais le faire d’une manière qui apporte un progrès économique interconnectant deux dimensions : la transition écosocialiste est la création d’une économie juste et durable. Ce processus doit impliquer un débat au sein du mouvement climatique et des syndicats qui développe la conscience générale de la classe ouvrière autour des questions climatiques.
En même temps, bien sûr, nous avons organisé des réunions dans tout le pays avec les personnes qui effectuent le travail technique sur les choix à faire pour éliminer les émissions de carbone.
Relations avec le Parti communiste portugais (PCP)
Dans son interview au Diario de Noticias, Louçã a déclaré que « la relation entre le PCP et le Bloc de gauche converge beaucoup en ce qui concerne les politiques et les mesures nationales concrètes. Elle diverge beaucoup, et de plus en plus, en ce qui concerne l’invasion de l’Ukraine par la Russie ». Pour sa part, la récente résolution du congrès du PCP a manifesté son mépris à l’encontre du Bloc de gauche pour « sa soumission à l’environnement idéologique dominant [et] son alignement sur les objectifs de l’impérialisme".
Comment la perspective du Bloc de Gauche d’une « convergence de tous les secteurs politiques de gauche qui expriment leur rejet des politiques d’inégalité du gouvernement » et d’un « large camp populaire de gauche qui change le rapport de force en faveur de ceux qui travaillent » est-elle possible sans une solution à la rivalité Bloc de Gauche-PCP – soit par un accord stratégique (actuellement inimaginable), soit par la marginalisation du PCP (non envisageable, au moins à court terme) ?
Les relations entre le Bloc de gauche et le Parti communiste ne vont pas se développer par le biais d’un accord stratégique ou d’une marginalisation.
Notre relation avec le PCP consiste à affirmer très clairement nos grandes différences sur les questions internationales et sur les questions de progrès sociétales, comme les droits des LGBTIQ+, les droits des transsexuels, la politique en matière de drogues et l’euthanasie. Nous voulons rendre aussi visibles que possible les grandes différences qui nous séparent sur ces questions cruciales. Mais nous cherchons simultanément un terrain d’entente pour la lutte sociale avec les camarades du Parti communiste et d’autres ailes de la gauche qui devraient s’unir contre la majorité absolue du Parti socialiste et ses politiques néolibérales.
C’est ce que nous faisons actuellement. Nous le faisons dans le mouvement pour le logement, où toute la gauche se rassemble autour d’appels communs et de grandes manifestations. Nous essayons également de le faire dans le cadre du mouvement sur les soins de santé, mais c’est plus difficile parce que le parti communiste a une approche plus sectaire, puisqu’il contrôle des parties du mouvement syndical dans le secteur et essaie de faire en sorte que les mobilisations unitaires se fassent exclusivement par l’intermédiaire de structures contrôlées par ses membres.
Avec des expériences différentes, notre orientation est toujours de rechercher les formes les plus unies possibles de mobilisation sociale contre les politiques néolibérales du gouvernement.
Des sondages récents montrent que le Bloc de gauche retrouve son niveau historique de 9 à 10 %, alors que le PCP n’a toujours pas retrouvé son niveau de 4 à 5 %. Comment expliquer cet écart apparent ? La position du PCP sur l’invasion russe de l’Ukraine [5] en est-elle la cause ?
L’Ukraine a été un moment très dramatique et une mauvaise année pour le PCP, parce qu’il s’est très ouvertement identifié à la position de la Russie et au discours justifiant l’invasion. Cela a été très mal perçu, y compris par une partie de ses propres membres et de sa base électorale.
Le PCP a également payé un certain prix, peut-être dans des cercles plus militants, pour son hostilité envers le Bloc de gauche et pour ses méthodes autoritaires dans le mouvement syndical. Tous les courants minoritaires de la Confédération générale des travailleurs portugais (CGTP, contrôlée par le PCP) protestent publiquement contre le fait qu’on les empêche de présenter et de discuter leurs propres propositions au niveau de la direction de la CGTP. Une telle situation est inconcevable dans un mouvement syndical sain. Mais cela se passe en ce moment même au niveau de la direction de la CGTP, et c’est une nouvelle publique.
L’hostilité du PCP à l’égard du Bloc de gauche, un parti avec lequel les communistes partagent de nombreuses propositions et opinions sur les questions économiques et sociales, ainsi que sa pratique autoritaire au sein du mouvement syndical, sont à l’origine d’un certain scepticisme à l’égard du parti, qui se développe dans certaines parties de la gauche et qui est également à l’origine de son incapacité à étendre son influence au cours des dernières années.
Ukraine
La motion de la majorité A, devenue la politique du Bloc de gauche, stipule ce qui suit : « L’existence d’une hégémonie américaine mondiale ne change pas la nature impérialiste de l’agression russe contre l’Ukraine, que le Bloc a condamnée avec la même clarté que celle avec laquelle il a condamné le régime de Poutine au fil des ans. La gauche ne peut rien attendre d’autre d’une dictature oligarchique et d’un aventurisme militariste ». Elle appelle à « une conférence de paix sur l’Ukraine sous l’égide de l’ONU et de l’Union européenne (UE) » et à la fin de la course aux armements. La motion ne dit rien sur la fourniture d’armes à l’Ukraine par le Portugal et n’appelle pas à un cessez-le-feu immédiat.
La motion E, en revanche, tout en condamnant « avec véhémence » l’agression russe, exige un cessez-le-feu immédiat et fait référence aux résolutions du Parlement européen sur l’Ukraine pour lesquelles les eurodéputés du Bloc de gauche ont voté, en déclarant : « Le Bloc de gauche ne peut rester lié à une décision qui blanchit cette subordination [de l’UE à la politique américaine] ».
Quelle est la politique du Bloc de gauche concernant un cessez-le-feu dans la guerre et la fourniture d’armes à l’Ukraine par le Portugal ?
Dès le début de l’invasion de l’Ukraine, la question principale pour le Bloc de gauche était le droit à l’autodétermination du peuple ukrainien. C’était le principal problème sur la table. Le lendemain de l’invasion, le 25 février, le Bloc de gauche a publié une déclaration appelant le gouvernement portugais à exiger de l’UE qu’elle définisse en termes concrets ses conditions pour un cessez-le-feu dans la région de Donbas et pour des négociations visant à établir une coexistence pacifique pour tous les peuples de la région.
Dans le même temps, le Bloc de gauche a déclaré que la demande de cessez-le-feu devait être liée à la demande de retrait des troupes russes du territoire envahi en février 2022 et qu’elle devait également être liée à une proposition concrète de négociations visant à parvenir à un accord de paix. Il n’est pas possible de séparer ces trois éléments : le retrait des troupes, le cessez-le-feu et l’ouverture de négociations ; ils doivent être simultanés.
En ce qui concerne l’accès de l’Ukraine aux armes défensives, ce qui est en jeu, c’est la souveraineté de l’Etat ukrainien et le respect de l’intégrité de son territoire. La défense militaire ukrainienne est légitime pour expulser l’envahisseur. Ainsi, les armes qui ont été fournies à l’Ukraine par les pays impérialistes de l’Ouest sont principalement des armes défensives nécessaires à l’effort de résistance nationale de l’Ukraine.
La protection fournie par l’OTAN au gouvernement de Kiev ne change pas la nature de la résistance nationale de l’Ukraine. Il n’a jamais été question que la lutte nationale pour la libération contre un envahisseur ou une puissance coloniale change de nature en fonction du type de forces impérialistes qui pourraient, à un moment ou à un autre, soutenir ces luttes nationales.
Nous pensons donc que cette théorie s’applique au cas ukrainien, que nous avons affaire à une lutte de libération nationale et que nous devrions non seulement soutenir activement un cessez-le-feu basé sur le retrait des forces russes et trouver la voie d’un accord pacifique avec la Russie, mais aussi que nous ne devrions pas nous opposer à la fourniture d’armes défensives – j’insiste sur le mot défensives – à l’Ukraine.
Union européenne
La motion de majorité A note la perspective d’un retour à l’austérité de la part de la Commission européenne et dit : « La coopération entre les Etats européens est un élément important d’une stratégie d’endiguement de la droite radicalisée, à condition d’un tournant démocratique qui accepte la souveraineté des peuples, le développement des droits sociaux et la planification écologique. »
Cette perspective, certainement souhaitable, est à des années-lumière de l’UE actuelle, avec sa politique frontalière contre les réfugiés, l’augmentation des dépenses d’armement, le soutien à la monarchie marocaine dans sa guerre contre la lutte pour la liberté au Sahara occidental, et le déni effectif du droit à l’autodétermination.
Comment le vent politique peut-il être inversé en Europe pour qu’un tel virage démocratique soit possible ?
L’UE est une machine de guerre contre les droits sociaux. Si vous lisez les traités qui sont au cœur de l’UE et qui définissent la manière dont les institutions européennes (la BCE, la Commission européenne et le Conseil européen) doivent se connecter et agir, vous verrez qu’elles ont été conçues et construites pour échapper au contrôle démocratique, à l’inspection des représentants directement élus par le peuple, et pour imposer en permanence – et avec une faible capacité nationale à en décider autrement – des réformes néolibérales et des reculs pour les travailleur.es et les classes populaires. Telle est la nature de l’UE.
Lorsque le Bloc de gauche parle de coopération entre les États européens, nous ne parlons pas de l’UE actuelle. Elle est irréformable et ne peut être remplacée que par de nouvelles formes de coopération entre États souverains.
Le Bloc de gauche a eu un long débat sur ces questions et a également mis à jour son point de vue sur l’UE, non seulement avant mais aussi après l’intervention de la Troïka au Portugal il y a dix ans et après l’intervention de la Troïka en Grèce et la capitulation du gouvernement SYRIZA de l’époque. Nous ne nous faisons donc pas de fausses illusions sur le rôle que peut jouer l’UE. Nous savons que le respect de la souveraineté, le développement des droits sociaux et les politiques écologiques qui peuvent faire face au changement climatique ne seront atteints que dans un cadre complètement différent.
Renforcer l’implantation, les interventions et le fonctionnement du Bloc de Gauche
La motion A note la croissance et la meilleure organisation de la présence syndicale du Bloc de Gauche (dans les télécommunications, la santé, l’éducation et l’industrie de la sécurité). Pouvez-vous nous donner des détails sur ces avancées ? Comment essayez-vous de renforcer la participation du Bloc de gauche dans un mouvement syndical portugais qui semble se rétrécir, perdre de sa vitalité et ne pas couvrir les domaines où se concentrent les jeunes travailleurs, et dont le principal contingent organisé, la CGTP, est de plus en plus bureaucratisé ?
L’implantation sociale du Bloc de gauche n’a cessé de croître au fil des ans et aujourd’hui, malgré les grandes difficultés liées à l’hégémonie et à l’autoritarisme que le Parti communiste exerce encore sur le fonctionnement de certains syndicats et de la CGTP, nous avons pu accroître notre influence dans certains secteurs, certaines professions et certains syndicats.
Les secteurs mentionnés – les télécommunications, la santé, l’éducation, l’industrie de la sécurité – font partie des parties de la classe ouvrière qui se sont le plus engagées dans la lutte ces dernières années. Nous construisons également, comme je l’ai déjà dit, parmi les travailleur.es des plateformes numériques, de la culture et des arts, et partout où la précarisation et les nouvelles formes d’exploitation de la classe ouvrière émergent.
Nous tirons profit de ces expériences, nous essayons de les relier et de générer un débat politique pour faire avancer une vision alternative de ce que devrait être la lutte de la classe ouvrière au Portugal aujourd’hui, y compris le rôle du syndicalisme et des comités de base basés sur l’entreprise. Nous disposons d’expériences intéressantes qui fournissent un matériel très riche pour ce débat.
Nous avons également développé une masse critique dans le secteur de la santé. Nos camarades ont dirigé la formation de listes de gauche au sein des associations de médecins et d’infirmières. Il s’agit d’une expérience riche qui s’articule avec les syndicats du secteur de la santé et le mouvement citoyen Plus de SNS pour la défense du système de santé publique. Ce dernier fait ses premiers pas et nous espérons y jouer un rôle très actif au cours de la prochaine période.
Ensuite, il y a la lutte des enseignant.es, qui a été centrale au cours de la dernière période et où il y a eu une augmentation des luttes organisées et des grèves autour du petit syndicat minoritaire qui a émergé dans le secteur. Il reste très petit, mais il a eu l’initiative de lancer un mouvement, alors que les syndicats traditionnels ne parvenaient pas à comprendre la situation. Cette minorité a compris qu’il y avait un énorme ressentiment parmi les enseignant.es et qu’il y avait une volonté de se battre, et elle a progressé, entraînant les syndicats traditionnels à sa suite. Cela a mis en évidence le rôle de la direction du PCP dans les syndicats et la conséquence de cette direction : une bureaucratisation des syndicats et un manque de réponse aux travailleur.es.
Dans quels autres domaines le Bloc de gauche a-t-il obtenu des succès ? Quels sont les domaines qui nécessitent encore le plus d’attention ? Que reste-t-il à faire pour que le Bloc de Gauche devienne une organisation pleinement nationale ?
Sur le plan territorial, le Bloc de gauche est aujourd’hui très présent dans les petites et moyennes villes du pays. Bien sûr, après le résultat des élections générales, nous avons connu une forte baisse de notre financement public, ce qui a eu des conséquences sur la manière dont nous pouvons développer notre structure territoriale. Mais nous essayons de résoudre ce problème et d’aller de l’avant.
La motion A affirme que la réduction de la dépendance du Bloc de gauche à l’égard du financement public à la suite de son vote a été une bénédiction déguisée : « Le renforcement de l’autofinancement ... est un changement de culture interne qui doit être approfondi ». Comment ?
Nous nous efforçons de réduire notre dépendance à l’égard du financement public en combinant des campagnes financières générales, en introduisant des éléments d’autofinancement et en intégrant une composante de collecte de fonds dans chacune des initiatives publiques que nous entreprenons. En outre, en modifiant la structure de nos dépenses et de notre propagande afin d’économiser et, dans un avenir proche, d’avoir la capacité d’augmenter considérablement la part d’autofinancement de notre budget.
Cela a été bien compris par les membres puisque la cause de nos difficultés actuelles est bien connue de tous.
Une plainte persistante dans les contributions pré-conventionnelles [pré-Congrès] du Bloc de Gauche est que ses conventions sont – contrairement à celles d’autres organisations de gauche européennes – structurées selon des motions (plateformes) concurrentes, parmi lesquelles de nombreux membres ne s’identifient à 100% avec aucune d’entre elles, et que cette méthode de prise de décision tend à enraciner des tendances « tribales ».
D’un autre côté, cette méthode de structuration des congrès exige également que les membres et les délégués décident de ce qu’ils veulent réellement pour l’organisation, au lieu de perdre leur temps à discuter de centaines d’amendements (généralement mineurs) à un document unique et pré-cuisiné (généralement massif), à la manière du PCP.
Voyez-vous des moyens d’améliorer la procédure des congrès du Bloc de gauche ?
Il y a de la place pour la participation à nos congrès pour les camarades qui ne s’engagent dans aucune des plateformes principales. Il est vrai que vous ne pouvez vous présenter comme candidat à la direction du parti que dans le cadre d’une plate-forme politique globale. Mais vous pouvez vous présenter comme candidat délégué dans le cadre d’une plate-forme politique locale indépendante des plates-formes politiques globales.
Les plates-formes locales qui peuvent se lier entre elles et construire une identité politique commune – et c’est ce qu’elles font – se présentent ensuite au congrès et apportent leur contribution sans faire partie d’aucun des grands camps politiques. C’est la tradition du parti. C’est très important pour que les conventions ne soient pas dominées par le débat entre les grands groupes. C’est ce que nous avons constaté jusqu’à présent.
Le Bloc de Gauche a connu un afflux de près de 1000 nouveaux membres, principalement, mais pas seulement, des jeunes et « avec une forte identification avec le profil écosocialiste, antiraciste et anti-conservateur du Bloc de Gauche ». Comment envisagez-vous le travail d’éducation et de formation de cette « relève » pour qu’elle soit en mesure de prendre la responsabilité de diriger l’organisation à l’avenir ?
Pour relever ce défi, nous organisons des réunions d’accueil spécifiques pour les nouveaux membres et nous appliquons une politique visant à les encourager à prendre des responsabilités. En même temps, nous essayons toujours d’avoir une bonne présence de jeunes dans les organes élus du parti et sur ses tickets d’élection.
Les jeunes membres du Bloc de Gauche ne sont pas ghettoïsés dans une organisation séparée, nous refusons d’avoir une organisation de jeunesse séparée. Cela signifie qu’il y a toujours une présence des jeunes camarades dans les structures du Bloc de Gauche. Ils sont à l’intérieur du parti, ils s’engagent avec les camarades plus âgés, mais, bien sûr, ils disposent d’un espace pour traiter leurs propres préoccupations. Ils élisent une coordination nationale des jeunes afin de traiter les questions relatives aux jeunes, et ils organisent leur programme éducatif national et leur camp national annuel.
Cependant, en ce qui concerne la vie quotidienne et les organes du Bloc de gauche, ils sont membres de plein droit.
La gauche et la social-démocratie : Le Portugal et l’Espagne en contraste
Il existe un contraste frappant entre l’approche de la gauche espagnole à l’égard de la social-démocratie et celle de ses homologues portugais, le Bloc de gauche en particulier. Dans l’Etat espagnol, il est tout simplement accepté que la gauche non-PSOE gouverne en alliance avec le PSOE, et que le fait d’avoir « nos gens » au gouvernement garantisse un meilleur résultat que de laisser le travail aux apparatchiks du PSOE. L’approche du Bloc de gauche a été celle de la geringonça : un soutien extérieur au PS contre la droite sur la base d’un ensemble d’engagements convenus, laissant les organisations libres de faire pression, de critiquer et de mettre en avant ses politiques dans les domaines non couverts par l’accord.
Après quatre ans de geringonça portugaise (2015-2019) et trois ans et demi (2019-2023) de « cohabitation » espagnole par Unidas Podemos (UP) en tant que partenaire minoritaire d’un gouvernement PSOE, quelles conclusions tirez-vous quant à l’approche à privilégier ?
Lorsque le Bloc de gauche a perdu la moitié de ses voix en 2022, Pablo Iglesias, à l’époque leader de Podemos, s’est précipité dans le débat public pour faire un bilan de l’expérience portugaise, le « modèle portugais », comme on l’appelait. Il a critiqué notre option de rester en dehors du gouvernement PS. Il disait que nous aurions dû être au gouvernement pour avoir de l’influence, pour que nos électeurs comprennent que voter pour la gauche, c’est élire des membres possibles du gouvernement, changer les règles, et changer les politiques du gouvernement. Iglesias a donc toujours eu un mauvais pronostic sur l’expérience portugaise.
Mais le fait est que, comme je l’ai déjà dit, à la fin du « modèle portugais » (en 2019, après la réalisation des clauses de l’accord quadriennal avec le PS), le Bloc de gauche a conservé son influence et a réélu ses 19 députés. Il n’y a donc pas de bilan négatif à tirer de cette orientation.
La perte de la moitié de nos voix s’est produite plus de deux ans après, lorsque, sans accord avec le PS, nous avons dû choisir entre être une force autonome de la gauche utilisant sa représentation pour peser sur les décisions du gouvernement ou devenir un soutien inconditionnel du PS. Nous avons choisi la première option. A aucun moment nous n’avons eu de doutes sur la nature du gouvernement du PS, un gouvernement de centre libéral. Nous ne l’avons jamais considéré comme faisant partie d’un camp progressiste, comme un gouvernement de gauche. Nous avons toujours considéré qu’il offrait une opportunité, par le biais d’un accord politique, d’obtenir des gains pour la classe ouvrière.
En revanche, lorsque nous examinons le bilan à la fin du mandat de près de quatre ans du gouvernement PSOE-UP en Espagne, nous devons être honnêtes et dire que les avancées que l’aile gauche a obtenues en participant au gouvernement avec le PSOE ont été minuscules et peu nombreuses. Cela est vrai non seulement au niveau international, par exemple avec l’accord criminel entre le gouvernement espagnol et le Royaume du Maroc contre le peuple sahraoui – pour la première fois dans l’histoire récente de l’Espagne, la gauche n’a pas pu éviter ce tournant dans la politique étrangère espagnole –, mais aussi en termes de politique sociale et de réforme du droit du travail : l’abrogation complète de la contre-réforme du travail de la droite de 2012, spécifiée dans l’accord de gouvernement PSOE-UP, a été abandonnée.
Le débat stratégique porte donc sur les moyens de construire des majorités électorales qui bloquent l’accès au pouvoir de la droite et de l’extrême droite et qui, dans le même temps, permettent un conflit ouvert avec le centre libéral (le PS ou le PSOE). En d’autres termes, nous devons réfléchir à la manière de construire une alternative stratégique de gauche qui soit capable de faire de la politique pour la majorité. Nous ne voulons pas être le flanc gauche d’un gouvernement qui continue à mettre en œuvre une politique libérale et qui reste complètement subordonné aux règles monétaires et budgétaires de l’UE et de la zone euro.
Si vous faites un bilan sérieux de la réforme du droit du travail [6] menée par Yolanda Diaz et Pedro Sanchez, ou des politiques sociales en général du gouvernement espagnol au cours des quatre dernières années, vous devez faire un effort pour trouver la marque de la gauche. Et malgré cela, toutes ces forces – Podemos, la Gauche unie, le Sumar de Yolanda Diaz – sont d’accord sur l’essentiel : leur objectif est de placer des ministres au sein d’un gouvernement dirigé par les socialistes.
Ce consensus s’est traduit par une convulsion, avec de violents affrontements entre les composantes organisées de la candidature Sumar. Dans le prochain parlement, les partis qui ont occupé des ministères dans le gouvernement sortant (Podemos et le Parti communiste d’Espagne/Gauche unie) auront ensemble, au mieux, dix députés, même s’il y aura une majorité de députés du PSOE avec Sumar. Ainsi, dans le contexte de la nouvelle reconfiguration de la gauche en Espagne [7], cette marginalisation des partis qui ont signé le précédent gouvernement PSOE-UP doit signifier quelque chose.
Lorsque nous avons perdu de l’influence électorale au Portugal, en 2022, c’était un problème, bien sûr. Mais en Espagne, la naturalisation de l’intégration de la gauche au gouvernement (conséquence apparemment nécessaire de l’affrontement avec la droite) pose la question de l’influence politique réelle de la gauche. Il faut tout faire pour bloquer l’accès de la droite et de l’extrême droite au gouvernement, c’est vrai. Mais il ne faut surtout pas effacer la gauche et ses objectifs dans un « bloc progressiste » difficile à distinguer du simple centre libéral du PS.