Les récentes pluies n’ont pas fait disparaître la sécheresse. Dans son dernier bulletin, Météo France annonce une pluviométrie déficitaire d’environ 10 % pour le mois de juillet 2023 en France métropolitaine.
La température a, quant à elle, été légèrement supérieure à la normale, de 0,8 °C. Dans la foulée, le 1ᵉʳ août, le ministre de l’Écologie, Christophe Béchu, annonçait sur France Inter que le seuil des cent communes privées d’eau potable avait été franchi et que 62 % des nappes souterraines étaient à des niveaux inférieurs à la normale, dont 20 % « très basses ».
Une situation de sécheresse contre-intuitive, si on la compare aux extrêmes de l’été 2022, lors duquel les déficits de pluie et les canicules furent bien plus intenses. Mais Éric Sauquet, hydrologue à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), nous rappelle que ces phénomènes sont en partie liés, et que la situation présente — et à venir — reste très préoccupante.
Reporterre — Comment évaluez-vous le niveau de sécheresse actuel, si on la compare aux étés précédents ?
Éric Sauquet — En plus des chiffres qui circulent sur les niveaux des nappes, on peut regarder ce qu’il se passe dans les cours d’eau. La dernière campagne du réseau Onde est assez parlante : 25 % des cours d’eau sont dégradés en termes d’écoulement, voire à sec, fin juillet, même s’il manque encore les données de quatre départements. La situation n’est donc pas florissante. C’est moins dramatique que l’an dernier mais les chiffres sont comparables à ceux des sécheresses de 2019 ou 2020.
Comment expliquer que la météo pluvieuse, voire « automnale » des derniers jours, ne permette pas d’endiguer cette sécheresse ?
Quand il pleut, cela augmente temporairement le niveau des rivières mais c’est un apport d’eau éphémère. Les débits estivaux sont surtout alimentés par les eaux souterraines. Or, un grand nombre des nappes n’ont pas été rechargées cet hiver à cause de la sécheresse hivernale. Elles alimentent donc plus modestement les cours d’eau que d’habitude.
De plus, les pluies qui tombent l’été sont dites moins “efficaces” que l’hiver. C’est-à-dire qu’une plus petite partie de l’eau qui tombe atteint les nappes et les rivières car une plus grande partie est absorbée et évapotranspirée par les sols et la végétation.
Les plantes se réveillent au printemps et pompent de l’eau dans les sols, transpirent et la renvoient dans l’atmosphère. La chaleur plus intense l’été augmente aussi l’évaporation. Le déficit de recharge des nappes de cet hiver ne peut donc pas être comblé par les seules pluies estivales.
Le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) expliquait en juillet que certaines nappes, notamment sur le bassin parisien ou le couloir Rhône-Saône, sont dites « inertielles », mettent plusieurs années à se recharger et que les jeux étaient donc déjà faits pour cet été en ce qui les concerne. Risque-t-on, à force d’accumuler des déficits en eau, de voir se multiplier les sécheresses pluriannuelles en France, ce qui serait un phénomène relativement nouveau ?
C’est très difficile de qualifier une sécheresse de plurianuelle. Mais il est certain que, dans certaines régions, on a une accumulation sur plusieurs années du déficit de pluies efficaces.
Cela interroge beaucoup nos pratiques car, usuellement, dans nos bulletins de surveillance hydrologiques, par exemple, on remet les compteurs à zéro chaque année, on comptabilise à partir de chaque mois de septembre ce qu’il se passe sans prendre en compte les déficits passés. On se pose la question de faire évoluer nos comptabilités sur plusieurs années pour prendre en compte les dérives observées.
« Le changement climatique rend la situation instable »
Le changement climatique rend par définition la situation instable, on va vers une dérive progressive des conditions, avec des précipitations qui vont s’effondrer dans certaines régions, notamment en période estivale.
Les sécheresses pluriannuelles ne sont toutefois pas inédites en France, on a eu quelques périodes de successions d’années sèches, dans les années 1990 notamment. Mais cela restait rare et les sécheresses pluriannuelles étaient un phénomène qui concernait plutôt d’autres régions du monde, comme l’Australie. Ce qui nous inquiète, c’est la hausse de leur fréquence, on constate que ces enchaînements d’années déficitaires se multiplient en France.
Ces situations de sécheresses estivales risquent-elles de devenir la nouvelle norme en France ? Lors de la présentation du plan Eau, Emmanuel Macron avançait le chiffre d’une baisse de « 30 à 40 % de l’eau disponible dans notre pays à l’horizon 2050 ». Mais les modèles climatiques ont encore du mal à estimer l’évolution des précipitations avec précision, à l’échelle du pays, non ?
C’est en effet compliqué d’annoncer un chiffre global. Nous travaillons à de nouvelles projections avec le projet Explore2 mais nous n’avons pas encore de chiffres communicables. Le chiffre de - 40 % a le mérite de marquer les esprits et d’indiquer une tendance qui correspond à la dynamique observée.
Le lac de Saint-Cassien, dans le Var, avait au printemps à un niveau anormalement bas. © Maïté Baldi / Reporterre
Dans nos précédentes estimations, pour le projet Explore 2070, nous estimions la baisse des débits annuels des cours d’eau à l’horizon 2046-2065 en France dans la fourchette large de - 10 % à - 40 %. Ce qui est sûr, c’est que la tendance est à la baisse des précipitations dans la moitié sud du pays, et à une baisse des précipitations au moins l’été pour la moitié nord.
Le monde va continuer à se réchauffer tant que nous émettrons des gaz à effet de serre et il va falloir nous habituer à ce que les choses évoluent sans arrêt tant que ce sera le cas avec, globalement en France, une dynamique de baisse de la ressource en eau l’été.
Vincent Lucchese