On constate un renouveau d’intérêt pour la pensée de Marx car le capitalisme du début du XXIe siècle, surtout après la crise de 2008, suscite des inquiétudes : la globalisation, les inégalités sociales, la pauvreté et le sous-développement sont autant de problèmes qui conduisent à rechercher des explications théoriques convaincantes, en termes de dévoilement des dysfonctionnements structurels, par-delà les constats d’experts trop souvent centrés sur l’actualité et rarement mis en perspective historique.
Il est donc utile de repartir de la pensée de Marx telle que formulée dans le Capital (1867) et de l’extraordinaire enquête d’Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre (1844) et de vérifier leur pertinence à propos du capitalisme de notre siècle. La théorie de Marx est étayée par de nombreuses données tirées des recensements officiels et des enquêtes et rapports officiels sur l’emploi disponibles à son époque et, sur le plan théorique, par une connaissance approfondie des écrits d’un grand nombre d’auteurs anglais, français et allemands.
À la suite de Frédéric Engels, il prend comme exemple l’Angleterre et l’un et l’autre décrivent l’intensification de l’exploitation : prolongation de la journée de travail, déformations physiques et maladies du fait des conditions de travail, mortalité par accident.
L’intensification de l’exploitation capitaliste : le travail des enfants
L’intensification de l’exploitation capitaliste s’explique très logiquement par l’importance du capital fixe qu’il faut absolument rentabiliser ; de longues heures de travail sont donc indispensables. Marx s’appuie sur les Reports of Inspectors of Factories, notamment celui du 31 octobre 1862, qui liste tous les frais fixes qui ne cessent de courir.
Et de manière générale, les enfants comme les femmes et les hommes sont victimes d’accidents graves ou mortels, liés au rythme de travail et l’absence totale de protection. En particulier, lorsque l’enfant se glisse dans la machine pour remettre en place une courroie de transmission, celle-ci happe et déchiquette un bras et parfois le corps entier.
Marx et Engels avaient décrit le travail des femmes et des enfants et les graves conséquences sur leur santé. Engels utilise le rapport de 1842 et 1843 sur le travail des enfants dans les mines, Marx le « Report from the Select Committee on Mines » de 1866. Engels cite un témoin interrogé dans le Rapport de 1842, le docteur Barham.
Selon lui, la pauvreté de l’air en oxygène, saturé de poussière et de fumée produites par la poudre des explosifs, ailleurs la présence de gaz sulfureux et de gaz carbonique affectent gravement les poumons (le « black spittle » ou expectoration noire, provoquait de l’asthme et des perturbations dans les fonctions cardiaques). Barham avait observé chez beaucoup de jeunes des phtisies galopantes ou des tuberculoses à évolution lente. Les explosions, faute de puits de ventilation étaient fréquentes et particulièrement meurtrières.
Au moment où Engels écrit, des enfants de quatre à cinq ans poussaient les portes qui séparaient les compartiments dans les mines tandis que des enfants plus âgés et des adolescents, compte tenu de la faible hauteur des plafonds des boyaux, transportaient le minerai ou poussaient les wagonnets. Les efforts de traction et de poussée aboutissaient à une sur-musculation des bras, des jambes et des épaules, des malformations du bassin, des tassements et des déviations de la colonne vertébrale.
L’exploitation prenait plusieurs formes : la durée de travail était longue, au moins de 12 heures, même pour des enfants et alors que le travail dans les mines est particulièrement dur, les efforts pour réguler les conditions de travail échouèrent par rapport aux autres branches, en raison de la convergence des intérêts du propriétaire foncier de la mine et de l’entrepreneur qui l’exploite.
Il n’est donc pas étonnant que le nombre d’inspecteurs des mines ait été dérisoire : en 1865, on en comptait 12 pour 3217 mines. De nos jours, comme au temps de Marx, de longues journées de travail, surtout pour les enfants, sont un esclavage de fait. Le travail forcé des enfants dans les mines est un cas d’école.
Le travail des enfants dans les mines d’or au Burkina Faso
Aujourd’hui en Afrique de l’Ouest, les mines d’or – souvent situées dans des régions reculées – n’ont, pour la plupart, pas d’existence officielle et le travail y est, selon le BIT, tout aussi dangereux : les structures de soutènement sont branlantes et peuvent s’effondrer à tout moment ; aucun plan de secours dans le cas où des gaz toxiques ou inflammables s’échapperaient de poches souterraines ; les travailleurs n’ont aucun équipement de protection, ni clinique, ni toilettes.
Mais surtout, ils ignorent que le mercure qu’ils utilisent pour séparer l’or du minerai concassé, est toxique pour le développement neurologique et altère les compétences cognitives et motrices. Une exposition intense au mercure – par exemple, en respirant ses émanations – peut entraîner de sérieux problèmes pour le système nerveux central, pouvant aller jusqu’au délire et au suicide.
Un pourcentage non négligeable des travailleurs employés dans ces mines d’or et de pierres précieuses sont des enfants. Ils peuvent être exposés au mercure de bien des façons : par la peau, lorsqu’ils le malaxent dans le sable contenant du minerai ; en inhalant les émanations lorsqu’on le fait brûler au-dessus du feu (c’est la forme la plus toxique et la plus facilement absorbée) ; en l’ingérant sous forme de traces résiduelles sur les mains lors des repas ou en consommant des aliments provenant d’un sol contaminé.
Une étude
a montré que les mineurs enfants présentaient des niveaux de métaux toxiques plus élevés que les adultes, même quand ils étaient moins en contact avec les métaux, car du fait du métabolisme plus rapide dont ils ont besoin pour soutenir leur organisme en pleine croissance, les enfants aspirent plus d’air, consomment plus de nourriture et boivent davantage que les adultes par kilo de poids corporel. L’absorption de substances toxiques est donc proportionnellement supérieure.
Quant aux charges lourdes qu’ils transportent, elles peuvent entraîner des déformations et des handicaps à vie. Selon une autre étude, les enfants travaillant dans une mine d’or présentaient des niveaux inquiétants de mercure dans le sang, l’urine et les cheveux ; des tests neurologiques comparatifs conduits entre ces enfants et un groupe témoin non exposé au mercure montrent que les enfants exposés au mercure mettent deux fois plus de temps que les autres à réaliser des tests cognitifs et des tests de réflexes de base. Des problèmes très comparables se posent dans les fonderies de manganèse ou de plomb.
Le travail forcé au niveau mondial, un esclavage moderne
Le travail des enfants dans les mines montre donc que l’exploitation reste, comme au temps de Marx, une caractéristique centrale du fonctionnement du capitalisme : on parle aujourd’hui d’esclavage moderne et, selon les « Estimations Globales de 2016 de l’Esclavage Moderne », il y avait environ 4,3 millions d’enfants âgés de moins de 18 ans dans le travail forcé, dont 20 % en Afrique.
Cette estimation inclut un million d’enfants exploités sexuellement à des fins commerciales, 3 millions d’enfants soumis au travail forcé pour d’autres formes d’exploitation par le travail. Le travail forcé est en réalité un sous-ensemble du travail des enfants.
Au total, 152 millions d’enfants travaillent dans le monde, soit près d’un enfant sur dix. Près de la moitié de tous ceux qui travaillent – 73 millions d’enfants en termes absolus – effectuent des travaux dangereux qui mettent directement en danger leur santé, leur sécurité et leur développement moral. Enfin, la moitié a entre 5 et 11 ans, le tiers entre 12 et 14 ans.
Les trois quarts de ces 152 millions travaillent dans l’agriculture, un sur dix dans l’industrie, le reste dans les services. Le travail forcé n’est ainsi que la face la plus sombre de cet aspect du sous-développement. Marx reste pleinement actuel.
Yves Charbit, Professeur de démographie, Université Paris Cité
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