Crédit Photo. Grafiti sur un mur à Paris (quartier Batignolles) « Justice pour Nahel » à côté du logo des soulèvements de la Terre, fin juin 2023. © Guallendra / CC BY-SA 4.0
Omar Slaouti
L’Anticapitaliste : D’abord une question locale : La zone Argenteuil/Bezons/Épinay à proximité de Nanterre n’est pas apparue comme particulièrement touchée par la révolte des quartiers populaires. Qu’en est-il ?
Omar Slaouti : Argenteuil et ses environs ont été marqués comme partout par beaucoup d’émotion et de colère politique, trois ou quatre nuits de suite. C’était en crescendo et puis c’est retombé comme aussi un peu partout après l’inhumation du corps de Nahel. On a vu essentiellement un face-à-face avec la police même si une devanture de banque de la Société Générale a pu voler en éclats sur le Val Sud ou que La Banque postale a eu tout son câblage de fibres optiques détruit suite à l’incendie d’une voiture. Et comme partout, les interprétations entre les bonnes et les mauvaises colères, celles qui sont légitimes et celles qui ne le sont pas, ont envahi toutes les ondes et les cerveaux bien-pensants. Or, si on ne comprend pas le contexte ou que l’on relativise, le sens politique disparait.
À Argenteuil, la colère politique s’est exprimée avec force car il y a eu trois morts relativement récemment : Ali Ziri âgé de 69 ans que l’on connaît bien, Sabri, un jeune homme d’à peine 18 ans, décédé en mai 2020 à Argenteuil avec sa moto, en lien avec une voiture de police, et Olivio, dont la famille est d’Argenteuil. Olivio quelques mois avant de mourir avait organisé un tournoi de foot pour rendre hommage à son pote Sabri. La mort de Nahel ravive les plaies et confirme dans nos chairs le racisme structurel de cette police qui fait écho au racisme systémique. Celui-là même qui couvre les flics avec une justice de race en plus d’être de classe et qui fait des raciséEs d’en bas les plus discriminéEs de ce pays et dans tous les domaines.
Par rapport à 2005, on constate une généralisation des affrontements au-delà des grandes villes « traditionnelles », un peu comme les manifestations contre la réforme des retraites, y compris dans les moyennes et petites villes. L’utilisation des réseaux sociaux est-elle une explication suffisante ?
Pour l’essentiel, il y a en amont des réseaux sociaux, une grille de lecture largement partagée, concernant les violences policières et qui apparaît clairement dans la façon dont a été assassiné Nahel. Il n’a pas été tué, il a été exécuté à bout portant. Et si on parle précisément d’assassinat, c’est que l’intention était là, elle précédait le tir. Oui, aujourd’hui des flics disent entre eux, je vais m’en faire un. Un, c’est un bicot, un nègre. Les jeunes le savent car au contact de ces flics au quotidien, les insultes, les palpations humiliantes, les coups fusent et annoncent le doigt qui un jour va presser la gâchette. Cela donne une légitimité à la révolte partout où vivent des personnes discriminées au regard de leur race. Race au sens de construit social.
Cette haine du flic est celle de l’uniforme pour ce qu’il représente comme autorité sur les corps des noirs et des arabes. Oui, c’est partagé un peu partout en France. Reste que cette colère est visible après la mort de Nahel parce qu’il y a de la fumée. Mais c’est toute l’année que ça crame sauf qu’il n’y a pas de fumée. Ça crame dans chaque individu, chaque famille, chaque quartier quand l’école te jette, le travail t’éjecte, les lieux de loisirs te rejettent. Alors dans un entre-soi salvateur, tu prends ta revanche et même avec une compétition entre les quartiers avec les réseaux sociaux comme témoins.
La vérité est que la colère est largement partagée, encouragée et, là, les réseaux sociaux ont joué un rôle d’une grande efficacité, plus grande qu’en 2005. Quant au rapport avec les retraites, c’est pas si évident. Je mettrai plus en lien ces révoltes avec celle des Gilets Jaunes. Les flammes des ronds-points et celles des cités ont des couleurs communes.
On a pu lire dans Libération une déclaration d’un père à son fils : « J’ai caillassé en 2005, je te jure ça sert à rien ». Pourtant, est-on dans une « réponse » à la perception des jeunes que leurs (arrière) grands-parents, leurs parents on été (sur)exploitéEs depuis plusieurs générations ?
Entre hier et aujourd’hui, les mêmes mécanismes sont à l’œuvre. Si vous relisez ce qu’écrivait le Forum Social des Quartiers Populaires, il n’y a pas une ligne à enlever sur l’analyse de la période.
La question lors des révoltes ne relève pas de leur utilité première. Le « ça sert à rien » ne sert à rien pour comprendre. Dans ma ville, on a monté il y a des années « Argenteuil Stop aux Violences Policières », ça fait ASVP (comme pour les Agents de Sécurité Voie Publique) et une mère et son fils racontaient dans un témoignage, comment cet enfant de 11 ans à l’époque a été contraint par un flic de se mettre à 4 pattes, en larmes, pour essuyer le crachat de ce fonctionnaire de l’État. Les amis de cet enfant étaient témoins hier, aujourd’hui ils sont acteurs pour en découdre… et même si « ça sert à rien » vu de loin, vu de très loin de tous ces corps meurtris.
Par ailleurs, depuis 2005, des choses ont changé avec le développement et la conscience d’un antiracisme politique qui a enfin gagné une partie de la gauche. Une prise de conscience de l’existence des lieux, des espaces ségrégués d’un point de vue social et racial. Ces quartiers dits populaires par euphémisme, mais qui concentrent surtout des personnes racisées noires et arabes, et notamment les femmes de familles monoparentales. Parce qu’il y a une misère sociale qui impose un habitat aux gens là où ils peuvent, là où c’est le moins cher. De même, qu’il y a une hiérarchisation genrée du travail, il y a une hiérarchisation raciale du travail, même si les ressorts historiques ne sont pas les mêmes. Gagnant moins que les autres, ils se retrouvent dans certains espaces, il y a une concentration de ces populations dans ces quartiers dans lesquels le droit commun est différent. L’État dépense moins de fric, toutes choses confondues, pour unE habitantE des classes populaires que pour les habitantEs des centres villes ou des beaux quartiers parisiens. C’est vrai dans l’Éducation nationale mais aussi par exemple dans la santé comme on l’a vu lors de la crise Covid pendant laquelle les QP étaient particulièrement touchés, non en raison de prédispositions physiologiques, même si les corps sont usés plus qu’ailleurs, mais parce que les infrastructures sont absentes et la promiscuité plus grande. De ce point de vue, on peut parler de « territoires perdus de la République », mais seulement de ce point de vue.
Alors oui, ça a été utile en 2005 de se révolter, il n’y a pas de doute. Et ça l’est encore. S’il n’y avait pas eu les nuits de révoltes, le soulèvement de Nanterre, comme on dit maintenant, l’affaire Nahel n’aurait pas été connue et le flic n’aurait pas connu le sort qui lui est réservé, c’est-à-dire une mise en accusation pour homicide volontaire sans présager pour autant de la suite, car le système policier s’en sort toujours. Les jeunes dont on parle, comme tout le monde, ont une grille de lecture politique des plus opérantes et pour une raison simple : ce sont les dernierEs à pouvoir se satisfaire de la grille de lecture de CNews et de BFM. Les relents nationalistes, l’appel aux valeurs françaises… sont des choses qui vont fonctionner beaucoup moins bien chez elles et chez eux que chez les français dits de souche, car tout le monde a bien compris que ce sont elles et eux qui étaient montréEs du doigt. Ils/elles doivent chercher une grille de lecture qu’ils/elles construisent et trouvent aussi sur les réseaux sociaux, loin des médias meanstream, de la « presse de préfecture ». Le tout, c’est d’éviter de tomber dans les divers complotismes, le grand écueil des réseaux sociaux.
Dans une interview au Monde à propos de son dernier ouvrage Ratonnades à Alger 1956, Sylvie Thénault affirmait : « Il me semble d’ailleurs qu’il y a également une continuité autour de cette catégorie de “musulmans”. Dans l’Algérie française, elle était utilisée pour désigner tous les Algériens, croyants ou non. Elle niait ainsi l’existence d’une nation, tout en les différenciant. Ils n’étaient pas jugés assimilables a priori, pour des raisons d’abord culturelles. Et cette catégorie reste aujourd’hui une catégorie pratique du racisme. L’imaginaire de la colonisation demeure puissant en France. Il est même plus présent que jamais. » Quelle place te semble prendre cette dimension dans la révolte actuelle ?
Dans son livre, on mesure la haine raciale de ces populations, pour ne pas dire d’une partie du peuple qui ne sont pas catégorisés comme « français musulmans » à l’endroit précisément des musulmans. La police, l’État, peut être débordé par ces hordes qui pratiquent les ratonnades. On y est. Aujourd’hui, la DST connait le risque majeur des attentats terroristes contre des mosquées mais aussi celui de ratonnades qui s’organisent et pas directement en lien avec des groupes d’extrême droite.
Pour autant, tout découle d’un racisme élitaire, qui se légitime, ravive le racisme séculaire, celui qui a marqué les sociétés dites « modernes » par l’esclavagisme, le colonialisme ou l’impérialisme tout comme il y existe aussi dans ce pays un antisémitisme séculaire. Mais la responsabilité des élites – ceux et celles qui ont quasiment tous les pouvoirs – économiques, intellectuels, symboliques – joue un rôle fondamental dans les grilles de lectures idéologiques dont évidemment celles de l’islamophobie qui trouve sa matrice dans le colonialisme. S’ajoute à cela qu’il y a un État dans l’État avec des syndicats de police en force et qui déversent une grille de lecture raciste, culturaliste sur la société actuelle. Ça pèse énormément dans la construction du « racisme du petit blanc », c’est-à-dire de ceux et celles qui sont aussi dans la misère, qui sont aussi les victimes de toutes les réformes néolibérales, mais qui sont branchés sur BFM/CNews. Ces discours racistes leur donnent la possibilité de retrouver une certaine dignité qui hélas n’est pas celle du travail, du fait du marasme économique, mais qui va être celui de la Nation, des « valeurs françaises » et le capitaliste racialiste de Bolloré n’est jamais très loin. Celui-ci incarne à la fois le capitalisme et l’avant-garde du racisme structurel dans ce pays.
On a, avec ces idéologues, une volonté d’établir un « Grand remplacement » de l’impérieuse nécessité du partage des richesses et de l’égalité des droits par la hiérarchisation raciale. Ainsi, dans la population française, on avait 80 % des salariéEs qui étaient contre la réforme des retraites mais 70 % qui sont d’accord pour une nouvelle loi sur l’immigration. On fait face à une situation compliquée, une croisée de chemins : perdre sur la question des retraites c’était potentiellement faire gagner le RN, l’extrême droite et toutes les mesures racistes du gouvernement actuel. Cet assassinat de Nahel est même légitimé par une partie de la population, y compris des manifestantEs contre la réforme des retraites. Du coup, on se retrouve avec une caisse de solidarité pour le flic qui est capable de récolter 40 années de son salaire en à peine 4 jours.
Mais les premiers responsables politiques sont au sommet et c’est à ceux-là qu’il faut casser le bras.
Après les échecs des grandes mobilisations sociales des dernières décennies, et un peu dans l’esprit des Gilets jaunes, assiste-t-on, de fait, à une substitution du mouvement social en difficulté face aux politiques de la bourgeoise, impuissant face à la montée de l’autoritarisme ?
Non, ça me semble plus compliqué que cela dans la perception de ceux et celles-là mêmes qui se révoltent aujourd’hui. Ceux et celles qui se mobilisent le font contre le gouvernement Macron qui a cassé la mobilisation contre la réforme des retraites. Ceux et celles qui bougent ont vu les éborgnéEs, les mutiléEs, ce que la police Macron était capable de faire sur des manifestantEs. Il n’y a pas une césure totale entre les manifestations d’hier sur les retraites et celles d’aujourd’hui contre les violences policières, je pense qu’il y des continuités dans la construction mentale de ce qu’est l’État et sa police. Ceux et celles qui « balancent » la nuit se sentent d’autant plus légitime que Macron a perdu toute légitimité du point de vue social, du point de vue de la répartition des richesses, ce président des riches avec une police raciste. Donc quand on dit il faut se faire ce gouvernement, reste le problème des moyens pour y arriver. Ce ne sont pas des tracts, des affiches, des rendez-vous Nation-République seulement qui feront avancer notre cause.
Mais en même temps certains d’entre eux, ou leurs parents, ou des gens qui travaillent, ont pu manifester ici et là. Je récuse l’idée qu’il n’y avait pas de noirs et d’arabes dans les manifestations sur les retraites.
Évidemment, c’est plus compliqué de se mobiliser quand on est pauvre que quand on a un peu plus de respiration socialement parlant, quelle que soit l’origine ethnique.
Par contre avec les révoltes de ces derniers temps, ceux et celles qui se mobilisent le font sur leur terrain. Ils sont balaises, parce qu’ils le connaissent, ils connaissent la cité, ils se déplacent assez rapidement. Ils ont, à juste titre, une sorte de titre de légitimité géographique parce que c’est « chez eux ». Ils ont été ségrégués socialement, dans l’espace et donc, dans certains endroits qu’ils ont fini par s’accaparer, ils sont chez eux. Eux, ils jouent à domicile.
De la même manière que quand les ouvriers et les ouvrières occupent une boîte, ils et elles occupent leur boîte. Ce n’est pas la boîte du patron, ce sont leurs machines, leur outil de travail, avec cette idée d’accaparement de l’outil de travail. Il y a ici un accaparement d’un espace social, d’un environnement géographique, lorsqu’on est amené à s’affronter aux institutions ici, au bras armé de l’État.
Même si l’appartenance de « classe » des jeunes engagéEs dans la révolte n’est pas ancrée dans des rapports au travail, à l’exploitation capitaliste « classiques », quelles pistes, quels chemins, pour un rapprochement des mobilisations et au-delà une (ré)unification de notre camp social, des oppriméEs et des exploitéEs ?
Il y a des espaces et des temps de mobilisation différents qui ne se superposent pas, on peut parler de discordances. Mais ça ne veut pas dire dissonances entre ces processus ou évènements. Il y a au contraire des résonances, à nous de les trouver et de poser des articulations.
Le terme de convergence induit une ligne de mire, un point focal au loin ou un horizon qui nous rassembleraient, et ça, ça ne marche pas, ce n’est pas la réalité.
D’abord, généralement celui ou celle qui appelle à la convergence appelle sur son point focal à lui, et pas sur celui des luttes voisines. Et c’est vrai pour l’ensemble des luttes contre les oppressions et l’exploitation capitaliste. Certaines membres de collectifs féministes estiment qu’il faut se battre contre la société patriarcale sans remettre en cause le système capitaliste. CertainEs font l’articulation entre les deux pendant que d’autres sont uniquement focaliséEs sur la lutte de classe.
On est quelques-uns à ne pas trop utiliser le terme de convergence. Par contre, encore une fois, il peut y avoir des articulations, ce n’est pas pareil. Il peut y avoir des passages de relais, et je pense qu’entre la séquence des Gilets jaunes, celles sur les retraites et la séquence qu’on vit actuellement contre les violences policières, il y a des passages de relais, avec un point commun : l’affrontement contre ce gouvernement avec son bras droit qui est la police et l’armée, parce qu’il faut dire que l’armée est aujourd’hui aux manettes dans les quartiers populaires.
Dans le cas des articulations, la place de ceux et celles qui ne sont pas en mouvement en tant que tels, c’est de soutenir ceux et celles qui bougent. Là, il y a des collectifs contre les violences policières, il y a des jeunes qui sont incarcérés et qui prennent du très très lourd. La bonne nouvelle, c’est que tout ce qu’il y a de plus institutionnel du point de vue des organisations des Droits de l’Homme ont fait corps avec de nombreux syndicats et partis politiques derrière le Comité Adama et la Coordination nationale contre les violences policières, pour dénoncer le racisme systémique, celui de la police et les interdictions de manifester.
Après les « milices » à Lille, les interventions armées fascistes, les brigades « pied d’immeubles » en Seine-Saint-Denis... n’est-il pas nécessaire de penser à une autodéfense ?
Cela montre qu’on ne peut pas rester entièrement désarméEs. Il y a une fascisation de la société orchestrée au sommet de l’État. Et évidemment, ça ouvre toutes les vannes et les groupuscules fascistes pullulent dans cette atmosphère, sans aucun problème.
Mais du point de vue de l’autodéfense, l’affrontement avec la police la nuit, c’est de l’autodéfense. C’est la contre violence mise en œuvre face à la violence. Il est hors de question de mettre toutes ces violences au même niveau. Il y a dans l’autodéfense déjà une mise en place de quelque chose qui fait rêver sans doute le premier des gauchistes mais qui existe de fait dans les quartiers populaires.
Alors c’est un début, ça ne suffit pas évidemment… Ce qu’il faut savoir c’est que demain, si on veut avoir des capacité d’autodéfense, il faudra partir de cette expérience-là aussi.
Quelle(s) construction(s) politique(s) ? Comment construire une organisation politique, quels sont les points d’appui dans les QP ?
Il faut inverser la question quand on vit dans les quartiers populaires, et ça devient : quels ont les points d’appui dans les partis politiques y compris révolutionnaires ou radicaux pour construire nos vies à égalité de dignité dans ces quartiers ? Et de là, tout découle. Que ces partis assument politiquement les révoltes, soutiennent y compris financièrement la légal team pour venir en aide aux inculpés de ces nuits de révolte. Que ces partis assument les boussoles de l’égalité politique, de l’autonomie des luttes y compris évidemment celles qui se revendiquent de l’antiracisme politique, car la classe ne résume pas tout. Elle est évidemment très importante, centrale à certains moments, elle l’est un peu moins d’autres fois, quand la question de la race submerge. Le capitalisme s’est construit sur la hiérarchisation raciale.
L’idée est que pour pouvoir être entendu dans ces quartiers-là, il faut entendre ces quartiers-là.
Ce qu’on dit dans ces quartiers-là, c’est : je suis exploitéE dans le cadre du système capitaliste, même si ce n’est pas dit comme ça, voire surexploitéE, notamment les femmes. Elles l’ont dit, par exemple, les femmes de ménage de certaines sociétés qui sont des boîtes de sous-traitance, pour la SNCF ou autres.
Il y a exploitation et même surexploitation c’est pas du tout un mot tabou. Mais en même temps, la question de la race est aussi quelque chose d’important. Et ça se traduit par des discriminations systémiques, par le fait que les hôpitaux psychiatriques sont pleins de Nous : de Noirs et d’Arabes. La question de la psychiatrisation est une question sociale trop souvent ignorée. Et les prisons aussi sont pleines de Nous.
Alors, il faut bien entendre ce qui se dit dans ces quartiers-là pour pouvoir discuter d’égal à égal et pas venir avec le « petit livre rouge » ou je ne sais quoi. Ce n’est pas du tout les postures des camarades du NPA actuel. Et dans ce qu’on doit entendre dans la période, c’est ce qui relève de l’islamophobie qui est aussi un angle mort.
Le NPA a raté l’occasion lors de sa création autour de ce qu’on appelle l’affaire Ilham Moussaïd.
Parce que des camarades du NPA n’ont strictement rien compris à la question des discriminations à l’égard des personnes de religion musulmane, de l’islamophobie. Ils n’ont rien compris à ce que pouvait signifier le port du foulard ou la religion en tant que telle. Il y a des camarades qui bouffent du curé du matin au soir, ils ne sont pas simplement agnostiques ou athées – c’est leur choix, il n’y a pas de souci – mais qui ont un rapport à la religion qui les rend totalement aveugles à l’islamophobie.
C’est comme si, en pleine période d’anti–sémitisme en France dans les années 30, le débat était « est-ce qu’il faut croire en Dieu ou pas, quelle est la condition de la femme juive ? ». Il y a un antisémitisme structurel dans les années 1930, en France et partout en Europe. La mission n’est pas de savoir ce qu’on pense de telle pratique religieuse juive ou de ce que c’est que d’être juif. En 1938, il y a eu la conférence d’Évian, où plus de cent pays sous l’égide du gouvernement français se sont retrouvés à Évian, pendant que les Juifs fuyaient les pogroms à l’Est. Ils ont débattu des conditions de leur accueil. Trois raisons ont été invoquées pour ne pas les accueillir. D’abord, la France n’est pas responsable de ces pogroms. Deuxièmement, les moyens économiques ne le permettent pas. Et troisièmement, la population française n’est pas prête à les accueillir.
Aujourd’hui, on a quelque chose qui est quasiment du même ordre, sans faire un copier-coller parce que les circonstances sont différentes, mais du point de vue du mécanisme, du rejet, de la xénophobie, de la construction de l’altérité négative, on a quelque chose du même ordre à l’endroit des migrants. Aujourd’hui, rien n’a changé. Avec le « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde… mais chacun doit en prendre sa part » du PS, tout le monde doit comprendre que la gauche historique à la remorque de ce parti a détruit et trahi tous les espoirs dans nos quartiers.
Nahel est mort assassiné par la loi de 2017 de Cazeneuve Hollande. La dernière loi votée par ce PS criminel et que le FN à l’époque espérait. Il faudra beaucoup de patience pour reconstruire la confiance et admettre que la vraie gauche se construira à partir aussi des quartiers populaires. Avec des ancienEs et des plus jeunes, on va bientôt lancer l’Assemblée Nationale des Quartiers Populaires et vous verrez qu’en 2024 il n’y aura pas que la flamme des Jeux olympiques qui traversera la France…
Propos recueillis par Robert Pelletier