Une nouvelle fois, les dirigeants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) se réunissent ce jeudi 10 août à Abuja autour de la crise nigérienne. Une rencontre qui a lieu quatre jours après l’expiration de l’ultimatum qui avait été accordé à la junte du général Tiani pour libérer le président Mohamed Bazoum et le remettre au pouvoir. Mais, d’une certaine façon, c’est l’avenir même de la Cedeao qui se joue dans ce sommet-là.
Parce qu’il est désormais quasiment admis que l’option de l’intervention militaire pour contraindre les putschistes nigériens à s’exécuter est écartée. Alors même que les militaires qui se sont rendus maîtres du Niger font de plus en plus montre d’une arrogance et d’une défiance qui ne laissent aucune chance au dialogue et au règlement pacifique de la crise.
Or, disons-le net, la Cedeao ne survivra pas à un nouvel échec sur le front nigérien. Pour Bola Tinubu et ses homologues, ce sera sans doute le revers de trop.
Au Sahel, éviter “un nouvel Afghanistan”
Certains persistent à entretenir l’illusion d’un suspense qui n’existe plus. “Même si l’option du dialogue est la voie privilégiée, l’intervention militaire n’est pas totalement écartée”, c’est en substance ce que le porte-parole du président nigérian, par ailleurs président en exercice de la Cedeao, a déclaré le mardi [8 août] dernier.
Mais il ne faut plus se leurrer. Les partisans de l’approche martiale sont devenus aphones et inaudibles. Les pacifistes improvisés ont eu raison de la détermination et de la fermeté de Bola Tinubu. Encore que, de la part de tous ceux qui font pression sur l’organisation régionale, il y a quelque chose d’incompréhensible. Pour eux, une intervention militaire au Niger ferait de l’ensemble de la région sahélienne un nouvel Afghanistan.
De leur part, on entend également que les sanctions prises contre le Niger sont “inhumaines”, “inefficaces” et même “contreproductives”. Mais quand les militaires auteurs du coup d’État refusent de recevoir une délégation conjointe Cedeao-Union africaine et Nations unies, personne ne dénonce l’attitude de défiance en question.
De même, quand le général Tiani s’emploie à mettre tout le monde devant le fait accompli, en procédant notamment à la nomination d’un Premier ministre [Ali Mahaman Lamine Zeine], personne pour mettre en garde contre la provocation.
C’est à croire que tous ces promoteurs du dialogue et de la résolution pacifique de la crise sont en fait des partisans du coup d’État qui n’osent pas s’assumer. C’est à croire également que, derrière ces putschs à répétition, c’est le paradis qui nous attend.
Or, en réalité, personne n’a pris la peine d’imaginer la suite, au-delà de l’instant présent et de l’euphorie fugace qui le caractérise.
L’inefficacité de trop
Quoi qu’il en soit, la Cedeao, elle, se retrouve dans une position très peu confortable. Contrainte de reculer et peut-être même de composer avec les putschistes qu’elle menaçait de punir, elle va sûrement en payer le prix. Pour elle, le Niger était l’occasion de rebondir et de se relancer.
Mais, à l’arrivée, ce même Niger pourrait vraisemblablement être pour elle le coup de grâce. Le général Tiani et ses camarades seront pour l’organisation sous-régionale l’inefficacité de trop.
Elle qui a laissé faire Alpha Condé [l’ancien président guinéen avait été réélu en 2020 pour un troisième mandat au terme d’élections controversées pour lesquelles la Cedeao avait envoyé des observateurs] et Alassane Ouattara [en 2020, la Cedeao avait félicité le président ivoirien pour sa réélection à un troisième mandat, validée par le Conseil constitutionnel, mais que l’opposition jugeait anticonstitutionnelle]. Elle qui n’a pipé un mot quand Patrice Talon [président du Bénin] s’est mis à embastiller ses opposants. Elle qui compte en son sein un certain Faure Gnassingbé [président du Togo], incarnation d’une gestion dynastique. Cette organisation qui peinait déjà à faire entendre la raison à Ibrahim Traoré, Assimi Goïta et Mamadi Doumbouya [militaires respectivement à la tête des juntes au Burkina Faso, au Mali et en Guinée]…
Bref, la crise nigérienne était une aubaine pour la Cedeao. Hélas, elle n’aura pas su saisir l’occasion. Peut-être parce qu’elle a abordé la crise avec une certaine précipitation et une dose d’émotivité. Peut-être aussi parce qu’on lui a mis des bâtons dans les roues.
En tous les cas, certains voudront profiter de ce camouflet pour l’achever. Et, malheureusement, il n’y aura pas grand monde pour assurer sa défense. Parce que, in fine, la Cedeao a déçu et désenchanté tout le monde.
Et que, peut-être, il n’est pas si mal qu’elle disparaisse. Vu qu’elle a échoué à combler les attentes. Celles d’hier comme celles d’aujourd’hui.
Boubacar Sanso Barry
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