On ne peut qu’être d’accord avec l’idée, avancée par le Président de la République dans son entretien publié le 23 août par Le Point[1], quand il affirme que l’Ecole, « c’est le cœur de la bataille que l’on doit mener, parce que c’est à partir de là que nous rebâtirons la France ».
Mais on ne peut que s’étonner de ce qu’il en dit, tant son discours enfile des clichés parmi les plus éculés en matière éducative.
Premier cliché : haro sur le prétendu « pédagogisme », source de tous les maux, puisqu’« on a une génération, même plusieurs, qui malheureusement ont un peu perdu leurs repères à cause d’un pédagogisme qui disait, au fond, que l’école ne doit plus transmettre. » Macron renoue ainsi avec les fausses oppositions entre apprendre et transmettre, entre « pédagogues » et « républicains », lui-même se situant dans le bon camp de la transmission et de la République, comme si se préoccuper de ce que les élèves apprennent n’était pas la condition sine qua non d’une transmission effective, et comme si les grands pédagogues français n’avaient pas été aussi de grands républicains.
Deuxième cliché : « Nous devons reconquérir le mois de juin pour les élèves qui ne passent pas d’épreuves en fin d’année. » Voilà qui n’est pas nouveau. La reconquête du mois de juin est un serpent de mer, passé ces deniers temps de la rue de Grenelle, où il a inspiré les discours des ministres de Darcos en 2007 à Pap Ndiaye qui avait annoncé en juin 2023 avoir missionné William Marois sur la reconquête du mois de juin dans les collèges et les lycées, au palais de l’Elysée.
S’« il y a trop de vacances, et des journées trop chargées », on le sait au moins depuis la conférence nationale sur le temps scolaire organisé par le ministre Luc Chatel en… 2010. Le 5 juin 2010, le Journal du dimanche commentait ainsi le sujet : « Les débats devraient être encore plus vifs sur les vacances estivales. Le ministre ne s’interdit pas d’envisager de les raccourcir. En janvier, un rapport de l’Académie de médecine recommandait davantage de journées de cours, moins chargées « avec comme corollaire la réduction des grandes vacances ». Pour le moment, les syndicats d’enseignants ne veulent pas en entendre parler[2] ». Le Président pense-t-il sortir de la difficulté en affirmant qu’« il faut qu’on puisse (…) faire rentrer dès le 20 août (les élèves qu’on aura évalués, et qui en ont besoin) pour leur permettre de faire du rattrapage ». Soit, en quelque sorte, une « nouvelle » resucée de « l’école ouverte », dispositif destiné à permettre aux élèves du CP à la terminale de bénéficier de renforcement scolaire, d’activités éducatives et de loisirs pendant les vacances scolaires (d’hiver, de printemps et d’été)[3], ou des « vacances apprenantes », conçues pour répondre au besoin d’expériences collectives, de partage et de remobilisation des savoirs[4]. Le seul changement serait-il de passer d’une participation volontaire des élèves à une participation contrainte ? On ne saurait dans ce cas être assuré du résultat. Et, pour le coup, ce serait vraiment révélateur d’une école à deux vitesses, socialement fondée. Apparemment, en tout cas, on n’est pas encore sorti des « hypocrisies françaises » dénoncées par le Président de la République à propos des vacances scolaires.
Troisième cliché : « L’histoire doit être enseignée chronologiquement et l’instruction civique, devenir une matière essentielle. » Où le Président a-t-il vu que l’histoire n’était pas enseignée chronologiquement ? Par exemple, l’intitulé des programmes pour la classe de première est on ne peut plus clair. Classe de première : « Nations, empires, nationalités (de 1789 aux lendemains de la Première Guerre mondiale) ». Quant à « l’instruction civique », qui est aujourd’hui l’enseignement moral et civique, on a déjà évoqué sur ce blog pourquoi rien ne changera en ce domaine[5].
La vision présidentielle de l’éducation repose donc sur une mauvais connaissance de la réalité scolaire et la reprise d’un « prêt à penser » emprunté à une vision réactionnaire de l’école. Il serait sans doute préférable aux doctes coups de menton présidentiel, d’engager sérieusement un débat national dans lequel élèves, parents, personnels, acteurs associatifs, collectivités et partenaires de l’école pourraient dessiner l’école souhaitable en ce début de 21e siècle, une école qui ne se résoudrait pas à la fatalité de l’échec scolaire socialement déterminé, sur lequel on pose régulièrement d’inefficaces pansements en trompe l’œil. Mais à quoi bon, puisque désormais « l’école fait partie du domaine réservé du Président ».
Jean-Pierre Veran
[2] https://www.lejdd.fr/Societe/Rythmes-scolaires-Un-an-pour-tout-changer-198310-3265928
[3] https://www.education.gouv.fr/ecole-ouverte-4664
[4] https://www.education.gouv.fr/ete-2023-les-vacances-apprenantes-303834