« Aidez-nous ! On n’a plus rien, on a tout perdu. » Les appels au secours se multiplient sur les réseaux sociaux et dans les médias du monde entier depuis le tremblement de terre qui a frappé le sud-ouest du Maroc, vendredi 8 septembre, et rasé des bourgades entières.
De nombreuses victimes, qui n’ont parfois toujours pas vu le visage d’un secouriste, d’un militaire, d’un élu, témoignent de leur détresse et de leur impuissance depuis cette nuit de terreur, dans la province d’Al-Haouz, dans la région de Marrakech-Safi, comme dans celle de Taroudant, dans la région d’Agadir.
Coupées du monde, elles survivent sur les contreforts de l’Atlas dans un dénuement total, manquant d’eau, de nourriture et d’électricité, et s’épuisent à déblayer les décombres à mains nues, des journées entières, avec l’espoir de sauver des vies mais aussi de retrouver les morts pour les enterrer dignement.
Une femme récupère ses biens dans les décombres de sa maison du village de Missirat, dans la province de Taroudant, le 11 septembre 2023. © Fethi Belaid / AFP<
Alors que le bilan n’en finit pas de s’alourdir (près de 3000 morts à ce jour et presque le double de personnes blessées), qu’une course contre la montre est engagée pour fournir les premiers secours, les ressources vitales, de l’eau, de la nourriture, des tentes, des couvertures, plusieurs ne cachent pas leur colère vis-à-vis de l’État marocain, qui a accepté dimanche 10 septembre l’aide humanitaire de quatre pays seulement : l’Espagne, le Royaume-Uni, le Qatar et les Émirats arabes unis.
À l’image de cette femme qui raconte en larmes, dans une vidéo postée sur X (anciennement Twitter), avoir perdu dix membres de sa famille et vu son frère blessé mourir sous ses yeux faute de secours ; ou encore de cet homme qui observe, lui aussi en pleurs, les cadavres des siens se décomposer sous la chaleur à cause de la bureaucratie qui lui refuse le droit de les enterrer dans des conditions décentes tant qu’il n’a pas fourni de certificat de décès.
Certes, dans ces régions montagneuses et enclavées, sous-développées, délaissées depuis des décennies par le pouvoir central, les glissements de terrain ont rendu inaccessibles certains villages, compliquant la tâche des secouristes, les empêchant de circuler. Il faut trouver des parades, marcher à pied, utiliser un âne... « Qu’importe la nationalité du secouriste, on ne peut pas se téléporter. Même en hélicoptère, on ne peut pas trop intervenir », confie un acteur social sur le terrain. Mais de nombreux villages accessibles subissent la même situation, selon de nombreux témoignages.
La sociologue franco-marocaine Mariame Tighanimine a perdu dix des membres de sa famille, qui vit dans une communauté de communes d’une centaine d’habitant·es, sur les hauteurs du Haut-Atlas, dans la région de Taroudant. « Nous n’avons vu ni l’armée ni les secours, alors que nos villages sont accessibles. La route a été abîmée mais elle est praticable, il y a des pistes. On peut les rallier », raconte-t-elle à Mediapart.
Ici comme dans chacune des zones sinistrées, où en temps normal on a déjà affaire à un État dysfonctionnel, sinon inexistant, on ne compte pas sur ce dernier mais sur le système D, sur la solidarité des Marocain·es, sur les enfants partis en exode, à la ville ou à l’étranger, en Europe, dans l’espoir d’une vie meilleure, et qui reviennent, désemparés, avec des vivres, lancent des appels aux dons, des cagnottes en ligne.
La pluie redoutée
« Nous n’avons pas d’électricité, l’eau et la nourriture commencent à manquer mais ce qui nous effraie le plus, ce n’est pas l’immédiat, aussi difficile soit-il, mais les semaines, les mois à venir. Il faut trouver des tentes, des sacs de couchage,témoigne encore Mariame Tighanimine, dont une partie de la famille vit en France depuis plusieurs générations. Les maisons traditionnelles en pisé sont écroulées, les maisons modernes ont tenu mais elles sont fragiles, présentent des fissures et il est déconseillé d’y retourner car elles pourraient s’effondrer. »
Selon la présidente de l’Unicef France, au micro de France Info, « environ 300 000 personnes sont sans maison et dorment dans la rue, sous des couvertures, dont 100 000 enfants ».
L’inquiétude n’a pas fini de grimper. La population craint la pluie annoncée du mercredi au vendredi dans certaines régions du royaume. Dans ces zones tout particulièrement en stress hydrique, frappées de plein fouet par la sécheresse, la pluie était, avant le séisme, ardemment espérée.
Une incompréhension habite aussi de nombreux Marocain·es : où sont les figures incarnant l’État, le roi Mohammed VI, le chef du gouvernement, les ministres ?
Près de quatre jours après le séisme, mardi 12 septembre, en fin d’après-midi, Mohammed VI a fini par effectuer sa première visite au chevet de victimes dans un hôpital de la ville de Marrakech, a indiqué l’agence officielle MAP précisant qu’il « s’est enquis de l’état de santé des blessés », avant de faire un don de sang, ce geste de solidarité pour lesquelles les Marocains se bousculent depuis la survenue de la tragédie, vendredi 8 septembre.
Mais le souverain, dont la dernière apparition remonte à fin juillet, lors de la fête célébrant son accession au trône en 1999, ne s’est toujours pas exprimé publiquement. Lorsque la terre a tremblé, celui qui est surnommé « le roi malgré lui » et dont les problèmes de santé (il est atteint de sarcoïdose, une maladie du système immunitaire) ne sont plus un secret, se trouvait depuis le 1er septembre, en séjour privé à Paris (où il possède un hôtel particulier près de la tour Eiffel d’une valeur estimée à plus de 80 millions d’euros).
Après 24 heures de silence, il est apparu samedi 9 septembre présidant, en djellaba et fez de feutre rouge, une réunion de crise au palais royal à Rabat, aux côtés de son fils, âgé de 20 ans, le prince héritier Moulay el-Hassan, sans lequel il ne s’affiche plus en public. Ce qui était alors sa seule et unique apparition médiatique tourne depuis, en boucle sur les chaînes publiques du royaume, des images sans son de quelques secondes.
Quant au chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, il s’est seulement fendu d’un tweet, samedi 10 septembre, où il présente ses condoléances « aux familles des victimes » et salue les « efforts considérables déployés par les autorités publiques [...] en exécution des hautes instructions royales de Sa Majesté ».
En février 2004, lors du séisme dans la région d’Al Hoceïma, au nord du Maroc, qui avait causé plus de 600 morts, le roi avait rendu visite aux sinistrés six jours après.
Rachida El Azzouzi
Boîte noire
Cet article a été réactualisé mardi 12 septembre en début de soirée suite au premier déplacement sur le terrain du roi du Maroc depuis la survenue du séisme.