Des mobilisations sans précédent
Jamais dans l’histoire, les femmes n’ont tenu une telle place dans un soulèvement populaire. En Iran, l’immense majorité de la population se réclame aujourd’hui de leur combat.
Cela n’avait pas été le cas lors de la révolution de 1979. Moins d’un mois après l’insurrection ayant renversé la monarchie, les femmes s’étaient retrouvées bien seules face au clergé qui commençait à imposer son pouvoir absolu. Celui-ci voulait notamment obliger les femmes à porter le voile dans les lieux publics.
Le 8 mars et les jours suivants, des dizaines de milliers d’Iraniennes étaient alors descenduEs dans la rue, et cela dans l’ensemble du pays.
Mais la plupart des hommes étaient toujours prisonniers des traditions patriarcales, et très peu avaient manifesté avec elles. Il en allait de même pour la quasi-totalité des organisations classées à gauche ou à l’extrême gauche qui refusaient d’agir contre la mise en place du régime islamique au nom de la priorité absolue à la lutte contre « l’ennemi principal » impérialiste. (1)
Pendant 43 ans, le combat des femmes a néanmoins continué plus ou moins souterrainement, et parfois publiquement sur des objectifs limités.
Mais depuis la mort de Jina-Masha Amini, ce mouvement ne s’auto-limite plus à l’obtention de quelques réformes. Son objectif est aujourd’hui la chute du régime.
Pour la première fois, l’ensemble des peuples qui composent l’Iran luttent au coude à coude contre la dictature. Le fait que le slogan kurde « Femme, Vie, liberté » soit scandé dans toutes les langues du pays constitue à lui seul un symbole.
La mobilisation de la jeunesse scolarisée touche même des écolierEs. Dans l’enseignement supérieur, les barrières établies par le régime entre les jeunes des deux sexes ont été balayées.
En 1979, le blocage de l’économie du pays par les grévistes avait joué un rôle décisif dans la chute de la monarchie. Beaucoup espéraient qu’il en irait de même aujourd’hui. Mais les grèves sont à ce jour restées d’ampleur limitée et ne se sont pas généralisées.
Cette situation s’explique notamment par :
– la violence de la répression quotidienne patronale et policière,
– l’arrestation préventive à partir du printemps 2022 de syndicalistes parmi les plus connuEs,
– la privatisation et le démantèlement des grands complexes industriels,
– la précarisation extrême du salariat avec la généralisation d’embauches à la journée.
Il en résulte une grande faiblesse numérique et organisationnelle des organisations ouvrières, rendant difficile dans l’immédiat un blocage du pays.
Une contre-offensive de grande ampleur
La rente pétrolière et gazière colossale dont dispose le régime lui permet d’entretenir un appareil répressif de premier ordre.
Plus de 500 manifestantEs ont été tuéEs, plus de 22 000 arrêtéEs ou portées disparuEs, plusieurs dizaines ont été condamnéEs à la peine capitale, et sept pendaisons publiques ont déjà eu lieu.
Comme il le fait régulièrement depuis des années, le pouvoir utilise des moyens militaires et para-militaires lourds en province, notamment au Kurdistan et au Balouchistan.
Il n’est pas étonnant que dans de telles conditions, le nombre et l’ampleur des manifestations ait considérablement baissé à partir de janvier.
Tenir dans la durée
Contrairement aux années 1970-1980, aucune force politique ne propose aujourd’hui de se lancer dans une confrontation armée avec le régime.
A l’opposé d’une telle orientation, 20 organisations iraniennes de type syndical et/ou associatif ont publié le 15 février une charte combinant une série de revendications et un appel à « une intervention en masse et à partir d’en bas » pour « mettre un terme à l’existence d’un pouvoir imposé par en haut » et déboucher sur « une révolution politique, économique et sociale ».(2)
Ces mouvements sociaux, « dont les racines sont assez ancrées pour survivre à la répression actuelle, constituent le milieu propice à la persistance du feu de tourbe, ce type de feu qui se consume de façon invisible, parfois un mètre sous terre (...) ».(3)
Notes :
1. En 1979, la petite organisation iranienne affiliée à la IVe internationale constituait une exception notable : non seulement elle a appelé à ces manifestations, mais elle a organisée la venue de la féministe Etatsunienne Kate Millet qui a contribué à donner un retentissement mondial à la lutte des femmes iraniennes. https://youtube.com/watch?v=ulJwXHji6f4&si=jKLxBjHCrpzJGkNj
3. Chowra Makaremi : Femme, Vie, Liberté (La Découverte, sept 2009) pp 306-307