Onze éditeurs de médias indiens ainsi qu’un ancien juge de la Cour suprême sont à l’initiative de ce premier « M20 » – M pour médias – qui s’est tenu, de façon virtuelle, le 6 septembre 2023. Les intervenants représentaient des médias d’Afrique du Sud, d’Australie, du Brésil, du Canada, de Corée du Sud, des États-Unis, de Grande-Bretagne, d’Inde, d’Indonésie, d’Italie, du Japon, du Liban, du Myanmar et de Turquie. Mediapart représentait la France (lire ici la contribution d’Edwy Plenel).
Toutes les interventions sont disponibles en anglais sur le site de The Wire ou sur sa chaîne YouTube. Nous publions ci-dessous une traduction française du propos introductif de Siddharth Varadarajan, fondateur de The Wire et coordonnateur de ce premier M20. Nous nous joignons à son appel à réitérer cette initiative l’an prochain lors du prochain G20 au Brésil.
C’est avec grand plaisir que je vous accueille tous à cette réunion historique du M20 – un groupe que nous avons collectivement créé aujourd’hui afin de relever ensemble les défis auxquels les médias sont confrontés dans nos pays et nos régions.
La nature de la politique internationale veut que les associations multilatérales naissent, meurent, perdurent malgré une perte de pertinence, ou survivent et prospèrent en donnant un nouveau sens et un nouvel objectif à leur programme. Le G20 est né au lendemain de la crise financière mondiale de 2008 et ses membres, choisis de manière plutôt arbitraire, ont depuis cherché à élargir le champ de leur coopération à la sphère sociale, au genre, à l’environnement, etc.
La présidence indienne du G20 reflète cette volonté positive d’élargir l’agenda du groupe et d’articuler plus clairement le point de vue du Sud, mais elle est aussi marquée négativement par le désir du gouvernement de gérer, voire de contrôler, le type de discussions et de débats qu’un tel élargissement implique nécessairement.
Ainsi, bien qu’il y ait eu des réunions du W20 pour les femmes, du C20 pour la société civile, du B20 pour les entreprises, du C20 pour le changement climatique, etc., ces réunions ont eu tendance à être dirigées par les gouvernements, dominées par des perspectives étatistes et subsumées par l’objectif global de faire du sommet du G20 un spectacle – une sorte de déclaration politique – plutôt qu’une occasion d’introspection et de débat sérieux sur les défis communs auxquels nous sommes tous confrontés.
Bien que les médias des pays du G20 et au-delà soient confrontés à de nombreux problèmes et menaces communs, aucun des gouvernements du G20 – et certainement pas le président tournant actuel – ne semble particulièrement intéressé par la question de la liberté des médias qui est débattue. Et c’est peut-être tant mieux, car dans le contexte actuel de polarisation de la politique et des médias, il n’aurait pas été difficile pour quelqu’un de réunir un M20 de groupes de médias qui ne croient pas vraiment à l’importance de défendre la liberté de la presse pour les médias qu’ils n’apprécient pas.
Quoi qu’il en soit, certains d’entre nous, dans les médias indiens, ont pensé que nous devrions prendre l’initiative et réunir des collègues du G20 afin de discuter entre nous des problèmes auxquels nous sommes confrontés et d’envoyer un message clair aux dirigeants du G20 qui se réuniront bientôt pour leur sommet : aucun des problèmes qu’ils espèrent résoudre ne pourra l’être si les médias de leurs pays ne sont pas libres.
Quels sont donc les défis communs auxquels nous sommes confrontés ?
Il y a tout d’abord le problème de la répression et de l’utilisation abusive de la loi pour criminaliser le journalisme. On en a vu des exemples récemment, du Cachemire – où un portail d’information, le Kashmir Wallah, dont le rédacteur en chef est en prison depuis plus d’un an, a été fermé arbitrairement –, au Kansas, où le Marion County Record a fait l’objet d’une descente de police locale en raison d’un reportage qu’il réalisait et a vu ses ordinateurs et appareils saisis.
Aujourd’hui, il est pratiquement impossible pour des organismes de presse indépendants de travailler dans des pays clés du G20 comme la Russie et la Chine.
Dans de nombreux pays du G20, les journalistes ont fait l’objet d’une surveillance intrusive par le biais de logiciels espions. Les États se montrent également de plus en plus intolérants à l’égard des enquêtes menées par des dénonciateurs, comme en témoignent la poursuite de Julian Assange par les États-Unis ou la récente condamnation d’un rédacteur en chef du Helsingin Sanomat en Finlande au sein de l’Union européenne.
Ensuite, il y a le problème du modèle économique des médias qui est mis à rude épreuve. À cela s’ajoute le pouvoir croissant des plateformes et des intermédiaires des Big Tech comme Google, Meta et Twitter, ou X.
Il y a aussi l’épidémie de « fake news » et de désinformation.
Sur le plan technologique, il y a le défi et l’opportunité que représente l’IA.
Voilà le genre de questions que le M20 doit examiner, et j’espère que les discussions d’aujourd’hui nous aideront à mieux comprendre comment surmonter les obstacles qui se dressent devant nous, à la fois individuellement et collectivement.
Je dois m’excuser pour le format virtuel. Nous avions initialement espéré pouvoir organiser un événement physique d’une journée en Inde, juste avant le sommet du G20. Toutefois, en raison de contraintes financières et de la politique restrictive de l’Inde en matière de visas pour les journalistes et les conférences internationales – qui exige une « autorisation » du gouvernement pour les événements auxquels participent des étrangers –, il nous a été difficile d’organiser la réunion ici. Le gouvernement a fait preuve d’une telle intolérance à l’égard des réunions sur le thème du G20 qu’il ne contrôle ni ne bénit qu’une récente initiative « We20 » organisée par des mouvements populaires et des groupes de la société civile a été interrompue de force par la police de Delhi.
Même les événements en ligne peuvent être perturbés, c’est pourquoi nous avons gardé la nouvelle de notre initiative M20 secrète jusqu’au dernier jour.
Nous espérons que le processus du M20 se poursuivra après aujourd’hui et que nos collègues brésiliens, qui assurent la présidence tournante du G20 en 2024, travailleront à l’organisation d’une réunion du M20 l’année prochaine.
Mais pour l’instant, laissons les discussions commencer.
Siddharth Varadarajan
Mediapart
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