Sarkozy est un dangereux hyperactif. Le 9 juillet, il envoie une lettre de mission à Hortefeux pour lui rappeler ce qu’il doit faire en tant que ministre « de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement ». Le lendemain, il s’envole pour l’Algérie, où il rappelle que la puissance coloniale française n’a pas à se repentir - « C’est l’histoire, c’est le passé » - et il termine la journée aux côtés du dictateur multirécidiviste Ben Ali, dont il décrète qu’il est « en cheminement vers la démocratie », sans bien entendu que Rama Yade, qui l’accompagne, ne trouve ni le temps ni le désir de demander leur avis aux associations tunisiennes de défense des droits de l’Homme. Le but de cette escapade maghrébine du nouveau président était de faire avancer son projet d’Union de la Méditerranée, de pousser les intérêts de Total, de Suez et du lobby nucléaire en Algérie, de renforcer la coopération des services de sécurité franco-tunisiens.
En dehors des retombées juteuses pour les multinationales, cela ne présage rien de bon pour les migrants originaires du Maghreb. L’accord signé avec l’Algérie sur les dispenses de visas ne concerne que les titulaires de passeports diplomatiques. D’ailleurs, la lettre de mission à Hortefeux indique clairement que les relations avec les pays du Sud, notamment ceux du Maghreb et d’Afrique, conditionnent le « codéveloppement » à la collaboration dans la répression de l’immigration : « La politique d’aide au développement » sera « pensée à la lumière de la question de la maîtrise des flux migratoires (...). L’aide au développement fera partie des accords d’immigration concertée que vous signerez avec les pays d’origine ». Le 25 juillet, Sarkozy se rendra au Sénégal pour faire le point sur ce genre de deal entre États.
L’immigration « choisie » prend la forme de titres de séjour ciblés et précaires pour niveaux de qualification divers : « saisonniers », « salariés en mission », « compétences et talents ». L’immigration familiale est en revanche indésirable, « subie ». Sarkozy demande à Hortefeux de la réduire pour que « l’immigration économique représente 50 % du flux total », alors que celle-ci représente actuellement moins de 7 %. D’où la multiplication des obstacles au regroupement familial dans le projet de loi : obligation de connaître la langue française et les « valeurs de la République » avant d’avoir foulé le sol français, ressources exigées s’élevant jusqu’à 1,2 Smic (soit 20 % de plus) alors que le gouvernement s’est refusé au moindre coup de pouce, généralisation du « contrat d’accueil et d’intégration »... Le droit de vivre en famille est pratiquement anéanti. Nécessité faisant loi, plus nombreuses seront les familles se regroupant de fait, et donc plus nombreux seront les sans-papiers parmi les femmes et les enfants lorsqu’ils deviendront majeurs.
Comme il ne doute de rien, Sarkozy aimerait bien intimer l’ordre aux autres États européens de ne pas régulariser. On lit, parmi ses instructions à Hortefeux : « Vous agirez en faveur de la mise en œuvre d’une véritable police européenne aux frontières, du renforcement de la coopération en matière d’éloignement, et de l’élaboration d’un pacte européen de l’immigration comportant, pour les États membres de l’Union européenne, des engagements, notamment en termes d’éloignement de leurs clandestins et d’interdiction des régularisations massives qui créent des appels d’air pour tous les pays européens. » L’Espagne, qui a régularisé 800 000 sans-papiers en 2005, et l’Italie, qui en a régularisé 517 000 pendant l’été 2006, devront donc dorénavant s’abstenir. Ainsi en a décidé l’Empereur des Français.
Une législation qui conduit à augmenter le nombre de sans-papiers, alors même que la chasse s’intensifie à coups de rafles, cela n’a rien d’incohérent. Même avec 25 000 expulsions annuelles, les sans-papiers se compteront toujours en plusieurs centaines de milliers. Un même volant de précarité totale restera disponible, pour les patrons du bâtiment, du nettoyage, de la restauration, de l’habillement... L’intensification de la répression vise à augmenter la vulnérabilité de ces travailleurs : c’est à cela que servent les descentes de police dans les entreprises et l’objectif des 125 000 interpellations. La précarisation du séjour nourrit la précarisation du travail. C’est ce qu’ont démontré les salariés sans-papiers de Buffalo Grill. C’est aussi pourquoi nous revendiquons la liberté de circulation et d’installation.
La politique des rafles devient insupportable pour une partie croissante de la société. C’est à l’unanimité que les élus syndicaux du Comité central d’entreprise d’Air France, auxquels se sont joints SUD Aérien, la CFTC et des syndicats de pilotes, ont réclamé « l’arrêt de l’utilisation des avions du groupe pour les expulsions d’étrangers ». Hortefeux a objecté que seuls 4,6 % des 6 000 expulsions par voies aériennes, entre janvier et mai, avaient présenté des « difficultés ». Cela fait quand même 280 refus d’embarquement, soit presque deux par jour. Ces expulsions suscitent un rejet croissant des personnels et des passagers (voir ci-dessous), dont certains sont traînés devant les tribunaux. Spinetta et une majorité d’actionnaires souhaitent continuer de prêter le concours d’Air France aux expulsions. Ah, les intérêts de classe...
Emmanuel Sieglmann
Air Sarkozy contesté
Rouge
Les syndicats d’Air France ont demandé, lors d’une assemblée générale annuelle des actionnaires, qui se tenait au Louvre, jeudi 12 juillet, l’arrêt des expulsions, de sans-papiers à bord des avions de la compagnie. Devant les portes de la salle de réunion, protégées par la police, ils ont tenu une conférence de presse à laquelle ils avaient invité RESF, les collectifs de sans-papiers, et les passagers inculpés pour avoir protesté lors de ces expulsions.
Les représentants de la CGT, de la CFDT, de SUD Aérien, de FO, de la CGC ainsi que le représentant du Syndicat des pilotes d’Air France (SPAF) ont tenu à dénoncer les conditions d’expulsion des sans-papiers, les mauvais traitements, les coups, les embarquements de force pour tout expulsé qui résiste. Les passagers qui protestent lors de ces embarquements se voient eux-mêmes arrêtés, mis en garde à vue et inculpés d’entrave à la circulation d’aéronef, ce qui peut conduire à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende. Ils ont témoigné de cette situation.
Les collectifs RESF et de sans-papiers étaient présents et soutenaient l’initiative des syndicats d’Air France dans leurs refus, même s’ils savent que si, pour le moment, l’État utilise la compagnie pour l’essentiel des expulsions, il pourrait, sous la contrainte de l’opinion et des médias, affréter des avions spécifiques hors de tout contrôle. L’initiative des syndicats vient renforcer de façon conséquente le refus de la politique du gouvernement Sarkozy, la politique d’expulsion des sans-papiers et de contrôle de l’immigration.