C’est le cas d’intellectuels comme Atilio Borón [1] et Ramón Grosfoguel [2], qui célèbrent le renforcement des BRICS face aux États-Unis, dans le cadre d’un processus historique qu’ils considèrent comme porteur d’espoir pour les peuples, de sorte que toute vision alternative et toute critique des gouvernements autoritaires sont rapidement qualifiées d’impérialistes.
Dans la même direction, mais d’un point de vue beaucoup moins dogmatique et moins enthousiaste que Borón et Grosfoguel, Walter Mignolo a également proposé les aspects positifs de la multipolarité [3], à partir de l’idée de désoccidentalisation, qui cherche à décrire un processus de perte de pouvoir et d’influence des puissances occidentales G7) et de leurs organisations internationales (FMI, BID, Banque mondiale).
Bien qu’il soit indéniable et positif pour le monde que l’Occident, en particulier les États-Unis, n’ait plus l’importance qu’il avait dans les pays par l’imposition coloniale et par la force des recettes économiques, des interventions et des guerres contre celles et ceux qui ne partagent pas ses idéaux, la brutalité des actions de certains gouvernements des BRICS ne peut être ignorée, comme ce qui s’est passé avec l’invasion criminelle de l’Ukraine par la Russie.
Kavita Krishnan [4] a souligné que la rhétorique de la multipolarité a été utilisée par des gouvernements autoritaires pour utiliser leur guerre contre l’impérialisme afin de justifier leur offensive contre la démocratie, amenant de nombreux secteurs des gauches à tomber dans le jeu selon lequel tout est permis si l’on s’oppose aux États-Unis, qu’il s’agisse d’autarchies, de dictatures, d’invasions ou de violations des droits de l’homme.
À son tour, en examinant la déclaration finale du sommet des BRICS à Johannesburg, en Afrique du Sud, bien que la nécessité d’utiliser les monnaies nationales pour le commerce international (dédollarisation), les réformes du Conseil de sécurité des Nations unies, le renforcement de la Banque des BRICS, la mise en œuvre de l’Agenda 2030 et des accords de Paris face à la crise climatique, on ne voit pas de changements profonds et d’alternatives à un système capitaliste totalement incompatible avec la vie sur la planète.
Pour la même raison, la critique du colonialisme vert des pays du Global North, à travers le New Green Deal et un processus de décarbonisation globale d’ici 2050, ne semble l’être uniquement que pour des raisons économiques propres aux membres des BRICS, et non pour l’intérêt réel à construire des modes de vie durables pour les territoires, en promouvant des processus de dépatriarcalisation, de décolonisation et de démercantilisation.
Dans ce contexte, de nombreux secteurs de la gauche ont applaudi le leadership du Brésil, par l’intermédiaire de Lula Da Silva et de Dilma Rousseff, pour son rôle dans les BRICS, mais cela soulève de nombreuses questions quant à la contribution réelle de tout cela pour l’Amérique latine et les Caraïbes, au-delà de la rhétorique de la gauche anti-impérialiste, qui néglige le rôle de la Chine dans nos pays, continuant à nous condamner à l’extractivisme et à la vente de la nature pour que le géant asiatique puisse continuer à s’industrialiser.
Par conséquent, passer d’un régionalisme extractiviste pro-occidental à un régionalisme pro-chinois, étant donné le poids énorme de ce dernier dans les BRICS, revient à fermer la possibilité de penser à une intégration régionale forte qui soit un acteur pertinent sur la scène internationale, étant donné sa richesse naturelle et son énorme biodiversité, afin que nous ne continuions pas à être pillés par d’énormes entreprises locales et étrangères, qu’elles viennent du Canada, des États-Unis, de Chine ou de Russie.
Face à cela, il serait bon que les secteurs de la gauche qui voient avec tant d’optimisme l’expansion des BRICS et le protagonisme des gouvernements autoritaires dans cette nouvelle étape du capitalisme, voient aussi des initiatives plus profondes du Sud global, comme le cas du Pacte écosocial du Sud https://pactoecosocialdelsur.com/]], qui propose un revenu de base universel, donnant la priorité à la souveraineté alimentaire, à la création de systèmes de soins, à l’autodétermination des peuples indigènes et aux transitions post-extractivistes, ainsi qu’à la création d’un nouveau Sud global.
Mais pour cela, il faudrait sortir de la rhétorique gauchiste et étatique de la guerre froide, promue par Atilio Borón et Ramón Grosgoguel et déguisée en rhétorique décoloniale, qui dénigre et traite d’impérialiste toute mesure qui dépasse les intérêts de certains gouvernements autoritaires, qui parlent au nom des peuples, mais sans eux en fin de compte.
Andrés Kogan Valderrama