Les forces de sécurité israéliennes ont négligé la défense des communautés proches de la bande de Gaza parce qu’elles étaient préoccupées par la défense des colons de Cisjordanie, leurs saisies de terres et leurs rites d’adoration de la pierre et de l’autel.
C’est l’une des conclusions inéluctables à tirer des atrocités commises samedi. Ce n’est pas une surprise, mais cette négligence est intrinsèquement liée à l’un des principaux objectifs de la réforme judiciaire et de ses partisans sionistes religieux : accélérer l’annexion de facto de la majeure partie de la Cisjordanie et accroître la population de colons juifs. Cet objectif n’est pas seulement toujours d’actualité, il sera désormais encore plus facile à réaliser.
Les médias israéliens et internationaux ignorent la Cisjordanie alors que les témoignages déchirants des survivant·es des attaques de samedi font peu à peu surface et que l’armée israélienne mène des bombardements meurtriers de vengeance sur Gaza et la prive d’eau, d’électricité et de nourriture.
Le manque d’attention a permis aux colons et à leurs organes d’exécution, officiels (l’armée et la police) et semi-officiels (les agents de sécurité des colonies et les volontaires de droite agissant en tant qu’escortes), d’intensifier leurs attaques contre les éleveurs et les agriculteurs palestiniens avec un objectif clair : expulser davantage de communautés de leurs terres et de leurs maisons.
La volatilité de la situation a été démontrée mercredi, lorsque trois habitants – dont deux adolescents – du village de Qusra, au sud-est de Naplouse, ont été tués par des tirs à balles réelles et huit autres blessés. Les habitant·es du village affirment que les tireurs étaient des colons masqués qui sont entrés dans le village à bord de trois véhicules tout-terrain. Plus tard, lorsque des affrontements ont éclaté à la suite des funérailles, un autre adolescent a été tué à Qusra, que ce soit par l’armée ou par d’autres personnes, ce qui n’est pas encore clair.
Un groupe palestinien sur WhatsApp, qui documente les attaques des colons en temps réel, en particulier dans la région au nord de Ramallah, a partagé des rapports minute par minute sur les événements à Qusra. Ces informations ont fait leur chemin jusqu’aux journaux télévisés en Israël. Mais d’autres incidents, qui ne font pas de victimes, n’en ont pas fait ce chemin. Mercredi encore, par exemple, il a été signalé que des colons avaient tiré sur des agriculteurs travaillant sur leurs terres dans le village de Marda, au sud-ouest de Naplouse.
À 1 heure du matin, entre dimanche et lundi, un message partagé dans le groupe WhatsApp avertissait : « Un groupe de colons est en train de niveler un terrain sur la route reliant les villages de Qusra et de Jalud », dans une zone où se trouvent des colonies comme Shiloh et Eli et les avant-postes d’Esh Kodesh et d’Adei Ad.
« Nous ne savons pas quelle est la nature des travaux car il n’y a pas d’électricité », indique le message, « mais il se pourrait qu’ils aient l’intention de détruire l’un des bâtiments agricoles de la région ». On a appris plus tard que les Israéliens avaient détruit une maison vide qui semblait appartenir à un citoyen palestinien d’Israël.
À 3 heures du matin, on a signalé que des colons s’étaient introduits dans le village de Qaryout, à l’ouest de Jalud, et avaient affronté de jeunes Palestiniens qui s’étaient approchés d’eux, avant que l’armée ne pénètre dans la zone et ne tire sur les maisons.
Quelques minutes avant 13 heures, un groupe de colons armés s’introduisant dans la ville de Qarawat Bani Hassan dans le gouvernorat de Salfit, au sud-ouest de Naplouse, a été signalé. Des coups de feu ont été entendus dans les vidéos jointes à l’alerte. Un habitant a déclaré : Des colons et trois soldats ont tenté de pénétrer dans la ville : « Des colons et trois soldats ont tenté d’expulser des familles qui récoltaient des olives. Une confrontation a éclaté et [les soldats] ont tiré à balles réelles sur les jeunes et sont partis ».
À 14h30, un rapport a été publié sur un avocat palestinien qui avait quitté Salfit en voiture et qui a été abattu par un garde de sécurité ou un autre civil israélien dans la colonie d’Ariel. La raison invoquée était qu’il était soupçonné d’avoir l’intention de commettre un attentat à la voiture piégée.
À 14 h 35, un avertissement est reçu concernant des colons qui tirent sur des voitures palestiniennes près de Ni’lin. A 15h30, un rapport fait état d’une attaque de colons contre la ville d’Einabus, située à l’ouest de Hawara et bordée par la colonie d’Yitzhar et ses avant-postes satellites.
« Les colons tentent de pénétrer dans l’une des maisons », dit la voix dans la vidéo ci-jointe, et avertit les habitants de ne pas s’approcher de la fenêtre. Deux résidents ont été blessés par les tirs, a-t-on appris par la suite.
À 18 heures, un rapport indique que des colons et des soldats exigent d’une famille du village de Turmus Ayya qu’elle quitte sa maison près de Shiloh. L’un des membres de la famille a déclaré au groupe WhatsApp qu’il refusait de quitter la maison et que l’armée avait de toute façon déjà bloqué la route qui y mène la veille. L’agence de presse WAFA a également signalé que des colons avaient jeté des pierres sur des voitures palestiniennes au nord de Jéricho lundi.
La capacité des Palestinien·es à aider les communautés menacées est plus limitée que jamais. Depuis samedi, les FDI ont bloqué un grand nombre d’entrées et de sorties des villes et villages palestiniens en plaçant des blocs de béton et des monticules de terre et en verrouillant les portes en fer déjà en place. Un journaliste palestinien a observé que les troupes israéliennes n’occupaient pas de positions près de ces nouveaux barrages routiers.
Les villes et les villages sont coupés les uns des autres, le verrouillage étant particulièrement strict autour de ceux qui sont proches de Jérusalem. Un responsable d’une agence d’aide internationale a déclaré à Haaretz qu’il était impossible de voyager entre le nord et le sud de la Cisjordanie. La route entre Bethléem et Hébron est pratiquement inaccessible aux Palestinien·es.
Les Palestinien·es qui se trouvaient en Israël samedi ou dimanche ont été autorisé·es à rentrer chez eux en passant par les principaux points de contrôle. Des centaines de Gazaouis, voire plus, qui travaillaient en Israël ont été contraint·es d’abandonner leur lieu de travail.
Iels n’ont pas pu retourner dans la bande de Gaza bombardée et, tout en recevant des nouvelles de plus en plus inquiétantes sur les épreuves subies par leurs familles, iels ont été conduit·es dans les environs des villes palestiniennes, notamment à Jénine et à Ramallah, où les autorités les accueillent dans des bâtiments publics et les habitant·es dans leurs maisons.
Les routes principales sont presque totalement dépourvues de voitures appartenant à des Palestinien·es. Même ceux qui peuvent trouver un moyen de sortir des villes ne se risquent pas à prendre la route.
L’un des principaux objectifs des colons est de faire disparaître les véhicules palestiniens des routes principales de Cisjordanie. Ils mettent parfois en œuvre cette mission en bloquant les voies d’accès aux villes.
En ce moment de tension, le verrouillage des villes palestiniennes et l’absence de circulation palestinienne sur les routes principales facilitent le contrôle de la région par l’armée. En outre, ils concrétisent la volonté des dirigeants religieux sionistes de faire disparaître les Palestinien·es.
Les habitant·es affirment que chaque petit rassemblement de quelques jeunes manifestant·es près des points de contrôle attire des tirs plus nourris que par le passé. Des colons armés ont été vus en train de s’entraîner au tir lundi dans la région de Tulkarm, près d’un point de contrôle dont les soldats sont désormais absents.
Une vidéo mise en ligne par les colons décrivant les armes et les munitions qui leur ont été attribuées n’a fait qu’accroître les craintes des Palestinien·es d’être encore plus abandonné·es aux plans à peine dissimulés des civils israéliens qui contrôlent leur vie.
Amira Hass, 12 octobre 2023