Cette citation du discours de Xi contient plusieurs allusions. En premier lieu, la question du « nouveau voyage » fait référence à la fois aux conditions internationales hostiles et au modèle de développement économique qui Xi tente de mettre en place. Tout cela fait référence aux conditions internes et externes qui forment à présent la « nouvelle ère ».
Le point sur « l’avenir prometteur » est problématique dans la mesure où le Parti sait implicitement que la situation économique de la Chine n’est pas, pour l’instant, prometteuse. Or il est permis de penser que le PCC n’est pas à même d’admettre que la situation empire de jour en jour. En ce sens, il faudrait donc croire le Parti sur parole malgré des « efforts » plus que mitigés pour redresser l’économie depuis 2018. Sans parler du retrait officiel des chiffres du chômage des jeunes.
La fin de la phrase de Xi Jinping semble aller dans le sens du message général que le numéro un chinois diffuse depuis plusieurs années déjà : « Il faut oser se battre » (务必敢于斗争, wubi ganyu douzheng). Déjà durant la pandémie de Covid-19 et même avant, le président avait annoncé que la lutte reviendrait au goût du jour et que les cadres du Parti devraient s’y préparer. Ce message de Xi semble confirmer à quel point la situation intérieure est tendue – tant pour la population que pour le Parti – et que les choses risquent de se compliquer encore un temps à l’avenir.
Outre les autres références du discours de Xi, notamment au caractère inéluctable de la « réunification » avec Taïwan – ce qui en fait réagir plus d’un –, on oublie rapidement que normalement le Premier ministre Li Qiang aurait également dû prendre au cours de la « Golden week », la « semaine de vacances en or » autour de la fête nationale. En fait, c’est Li qui aurait dû prononcer le discours du 1er octobre. Son silence indique encore une fois la tension qui demeure dans les hautes sphères du Parti. Certains ont suggéré que cette « mise à l’écart » pourrait être le résultat de révélations récentes sur Li Qiang, sa femme Lin Huan (林环) et sa fille Li Ying (李颖). Les premières révélations sur les liens entre Lin Huan, Li Qiang et le consortium Alibaba/Ant étaient connues depuis longtemps déjà. À ce titre, le Premier ministre n’est pas le seul des alliés de Xi à avoir soutenu Jack Ma durant son ascension au Zhejiang* [1]. Cependant, les choses se corsent à l’évocation de la fille de Li, qui serait également la « nièce » de Xi [2].
Dans le cadre plus large des luttes internes au Parti, l’embarras de Xi est compréhensible : des annonces et des fuites – souvent en provenance de l’étranger – visent à remettre en cause la loyauté de ses proches collaborateurs ou des dirigeants qu’il a lui-même nommés. Si ces rumeurs concernant Li Qiang s’avèrent fondées, alors les disparitions de Qin Gang et de Li Shangfu deviendront secondaires lors des prochaines discussions au sommet du Parti.
En ce sens, vu les tensions au sein du Parti depuis la disparition de Qin Gang – la purge graduelle de la Force des missiles [3] et les nouvelles rumeurs visant Li Qiang, le silence du Premier ministre a non seulement des implications assez ennuyeuses pour Xi Jinping, mais aussi pour le Conseil d’État déjà lourdement handicapé par la perte de deux de ses ministres.
LES ABSENTS ET LE JEU DE CHAISES MUSICALES
Il faut éviter de monter en épingle la moindre absence lors d’une rencontre importante d’un cadre dirigeant ou d’un haut fonctionnaire du Parti ou de l’Armée populaire de libération (APL).
Par exemple, Qin Gang et Li Shangfu étaient bel et bien absents des festivités, tout comme Liu Zhenli (刘振立), le chef d’état-major interarmées. Cependant, lors de la cérémonie du 28 septembre (voir la vidéo [4], on aperçoit clairement Zhang Youxia [5] – qui se trouve à l’une des tables d’honneur avec Wang Yi, Shi Taifeng (石泰锋), le responsable du Front uni, Li Ganjie (李干杰), responsable du département de l’Organisation, et He Weidong.
Zhang Youxia est-il pour autant sain et sauf ? Pas nécessairement. Même chose pour Zhang Shengmin, le secrétaire de la commission de discipline de l’APL pour le Parti. Ce dernier a été vu durant la réception de la fête nationale. Mais ses liens avec certains membres clés de la Force des missiles, cible de la lutte anti-corruption le rend vulnérable. Et sa sécurité ne dépend pas de la présence de Zhang Youxia. La présence de celui-ci et de Zhang Shengmin indique seulement que purger ce gendre d’individu pourrait être trop risqué pour l’agenda de Xi Jinping. Toucher à l’un ou à l’autre des deux Zhang équivaudrait à un séisme au sein d’une armée déjà déstabilisée depuis la disparition du commandement de la Force des missiles. De ce point de vue, Xi craint surtout de ne pas être en mesure de contrôler les potentielles répliques et leurs conséquences. Ainsi, la présence des deux Zhang ne veut pas dire que Xi leur fait confiance, mais plutôt qu’il ne peut se permettre de s’isoler davantage du reste de l’APL. Pour l’heure, peu importe la réalité des choses, le président chinois devra s’abstenir de faire planer des soupçons – publiquement du moins – sur les deux Zhang.
D’autres généraux à la retraite, dont Chi Haotian (迟浩田) et Xu Qiliang (许其亮), anciens vice-présidents de la Commission militaire centrale, ont également été aperçus durant la réception du 1er octobre. Cela dit, Fan Changlong (范长龙), le second vice-président de la Commission militaire centrale de 2012 à 2017, était, lui, absent. Fan avait mené la restructuration des régions militaires en « théâtres de commandements » en 2016 dans le cadre de la modernisation de l’armée voulue par Xi Jinping.
Le problème de Fan Changlong réside dans son ascension inexpliquée à la Commission militaire centrale dans la tempête de l’affaire Xu Caihou (徐才厚), accusé d’^tre complice du « coup d’État » orchestré autour de Bo Xilai. Après tout, Fan et Xu viennent tous deux du Liaoning et ont servi ensemble dans le 16e régiment d’artillerie de l’armée de la région de Shenyang pendant plusieurs années. Compte tenu des rumeurs de corruption qui planaient déjà autour de Fan depuis 2017-2018, il est possible que Xi ait décidé de s’occuper de son cas dans la foulée de la Force des missiles.
À qui profite cette situation ? Comme dans le cas de Qin Gang [6], certains bénéficient sûrement des doutes qui planent sur Zhang Youxia, Zhang Shengmin et d’autres hauts gradés de l’APL. Ceux qui ont le plus à gagner sont des individus comme Lin Xiangyang (林向阳), membre de la clique du Fujian de Xi et commandant du Théâtre du Nord, Chang Dingqiu (常丁求), commandant des Forces aériennes, Jing Jianfeng (景建峰), directeur adjoint du Département d’état-major interarmées, Wang Xiubin (王秀斌), commandant du Théâtre du Sud, Hu Zhongqiang (胡中强), commandant adjoint du Théâtre du Sud, et, bien entendu, Zhong Shaojun [7] (钟绍军), le secrétaire particulier de Xi Jinping pour les affaires militaires. Ce dernier, qui suit Xi depuis le Zhejiang, est directeur du bureau du Président de la Commission militaire centrale et directeur de l’office du groupe dirigeant de la Commission militaire centrale pour l’approfondissement des réformes de la défense nationale et du secteur militaire. C’est aussi Zhong qui est responsable du système de secrétariat militaire et donc, qui assigne, entre autres, les secrétaires particuliers aux membres de la Commission militaire centrale [8].
Ces « jeunes » cadres connaissent les rouages de l’armée et du Parti. Ils savent que des réseaux de patronage existent et qu’ils fonctionnent surtout sur une base de séniorité avec le « patron » militaire. Voyant la lenteur des promotions, on peut comprendre que certains voudraient tenter leur chance en passant par le processus de « lutte », soit en torpillant l’ancienne garde, afin de monter en grade. Et comme le disait si bien Xi, tous doivent être prêts à la « lutte politique ». Ainsi, ce qui se passe sous son nez est « fair-play ».
TOUJOURS UNE QUESTION DE « LOYAUTÉ »
Toutes ces disparitions et ces rumeurs pèsent lourd sur les relations entre Xi et le haut commandement de l’APL, entre le Parti et l’armée. La question de la loyauté absolue est devenue si prégnante que le moindre faux pas devient l’objet d’investigation et qu’à la moindre occasion, Xi ne manque pas de faire des rappels à l’ordre. Par exemple, le PLA Daily, dans son numéro du 1er octobre, a publié un article dans lequel est quatre fois soulignée l’importance d’être « loyal à Xi ». Ce genre d’article signifie qu’il existe encore trop de cadres et fonctionnaires déloyaux, ou qui mènent un double jeu, au sein de l’APL. On semble vouloir aviser contrer la désobéissance ou encore le fait de « rester allonger » (躺平, tangping). Aussi, ce discours de « renforcement de l’armée » indique que le moral des troupes – secoué par la présente purge – est instable.
Cette demande de loyauté de la part de l’armée tout entière, alors que la Force des missiles se fait nettoyer presque publiquement, n’a rien de routinière. Elle reflète l’anxiété de certains envers l’APL et trahit l’insécurité au sommet du Parti quant à son contrôle sur le commandement militaire. Ces stratégies utilisées par certains pour miner la crédibilité et la loyauté d’autres – comme dans le cas de Qin Gang – forcent Xi à réagir [9] et à recentrer le pouvoir autour personnes clés comme Cai Qi. Elles sont par contre contre-productives pour la capacité du Parti à gouverner et à se stabiliser durant cette période de tumultes. Cependant, comme nous l’avons mentionné ailleurs, les luttes intra-Parti entre les réseaux de Xi ou encore entre les alliés de l’ancien réseau de l’ex-président Jiang Zemin et Xi sont loin d’être terminées. Elles risquent de s’intensifier en l’absence de solutions pour relancer l’économie et redorer l’image de la Chine sur la scène internationale.
Alex Payette