Combattre la menace de ‘‘l’intouchabilité’’ et développer un plan d’action pour l’éliminer du pays, tels sont les objectifs du Tribunal populaire indien, l’IPT [1], récemment réuni à New Delhi. Une audience publique nationale a été organisée les 12 et 13 mai derniers par la Campagne nationale pour les droits de l’homme des dalits, le NCDHR [2] et le Réseau légal des droits de l’homme, le HRLN [3]. L’occasion de revenir sur la cause de ceux qu’on appelle Intouchables, leurs souffrances mais aussi leur mobilisation. Le combat d’un peuple opprimé.
Un tribunal populaire pour la reconnaissance des dalits
29 mai 1947. Constitution indienne. Article 17. Le pays de l’apartheid hindou abolit officiellement l’intouchabilité. Mais la réalité est tout autre, et les préjugés ont la vie dure. Pas autant cependant que ces millions de dalits, directement victimes de ségrégations et incontestablement laissés pour compte. Véritables oubliés de la justice, ils n’ont pas l’accès aux Cours traditionnelles. L’IPT leur permet donc d’être entendus à travers des audiences, comme celle des 12 et 13 mai derniers. Orchestrée par le HRLN et la NCDHR, cet événement marque une fois de plus un tournant dans la lutte pour l’abolition de la ‘‘stigmatisation castique’’. Venant de différentes parties du pays, plus de soixante victimes ont pu témoigner des atrocités dont ils ont fait l’objet.
La Cour alternative du peuple avait rassemblé pour l’occasion 46 organisations nationales et des personnalités comme Rajya Sabha ou Nirmala Deshpande et des activistes tel Harsh Mander. Elle a écouté les victimes et leurs témoignages poignants : ils ont connu l’angoisse, l’horreur ou l’agonie… elle a défilé nue avant d’être torturée… il s’est vu interdire l’accès à l’eau… D’autres, même, n’étaient pas dans la salle, comme ces 21 Intouchables qui ont été tués dans l’Uttar Pradesh l’an passé après une rixe de rue. Et la liste des individus pénalisés par le système juridique indien défectueux est longue. « Ces deux jours d’audition sont les plus tristes jours de l’Inde », a déclaré le jury.
Plus que la défense, les dalits exigent aujourd’hui de la reconnaissance
Qu’elles soient physiques ou morales, les violences ont provoqué un réel traumatisme national. Trop longtemps occultées et impunies, les discriminations affligées à plus de 170 millions d’Intouchables (soit 17% de la population indienne) sont aujourd’hui dénoncées par de nombreuses organisations. L’IPT nous confirme que « malgré la loi de 1989 qui avait mis en place un dispositif juridique pour poursuivre les responsables de violences contre les Intouchables, les abus continuent. »
Le tribunal, qui joue le rôle de plaidoyer sans avoir une réelle valeur juridique à proprement parler, permet surtout de renforcer le poids des personnes discriminées dans l’opinion publique. Il compte engager des procédures pour déterminer les responsabilités individuelles et collectives. L’objet étant davantage d’enclencher des actions pour rétablir une justice et engager les responsabilités à long terme, plutôt que de prononcer des condamnations. L’IPT a suggéré un Agenda national d’élimination des pratiques de l’intouchabilité, véritable plan d’action pour continuer à sensibiliser la société civile. Le consortium engagé ira rencontrer les hauts responsables politiques, dont le Premier ministre Manmohan Singh. Ils lui demanderont une intervention pour constituer un Conseil d’égalité nationale et disposer de fonds pour de vraies actions.
Les populations marginalisées, soutenues par divers partenaires, renforcent aussi leur engagement dans le cadre de groupes d’action sociale [4] pour dénoncer la violation des droits de l’homme. La résonance s’opère aussi au nord [5]. On peut se réjouir de cet événement d’abord symbolique mais doté d’une certaine capacité de pression. D’autant plus que ce type de structures s’enracine petit à petit dans le tissu social. Les revendications sont des plus louables : faire entendre la voix d’hommes et de femmes brisés.
Comme un symbole, le 13 mai, Mayawati Kumari a été élue ministre en chef de l’Uttar Pradesh. Son parti, qui représente les dalits, a remporté la victoire absolue aux élections provinciales.
Nicholas, l’infatigable militant dalit
Après s’être rendu dans des villages du sud de l’Inde au lendemain du tsunami, Nicholas avait témoigné de son action auprès des sinistrés [6]. Responsable de la Fédération pour le droit à la terre des dalits il poursuit son combat, jour après jour. Continuant entre autre à apporter son énergie pour le groupement local IRDS, membre du RGAS. Aujourd’hui, il nous livre son parcours personnel.
Nicholas, d’où viens-tu, quelles sont tes racines ?
Je suis originaire d’Ayandur, un petit village du district de Villupuram dans l’état du Tamil Nadu. J’ai un frère et quatre sœurs. Issu de la communauté dalit, mes parents faisaient partie de ces paysans sans terre qui travaillaient pour un propriétaire terrien de notre village. Mais un jour mon père a rejoint l’armée britannique. Cela lui a permis de prendre du recul face à sa condition de paysan sans terre. Depuis ce temps, il a bien compris qu’il travaillait dans une situation horrible et extrême, c’est pourquoi il n’a pas voulu que nous, ses enfants, retournions travailler chez ce propriétaire terrien. Il voulait que nous empruntions un autre chemin. Il sentait que ces conditions de travail étaient vraiment trop atroces. C’est ainsi qu’il a préféré nous envoyer à l’école. Malheureusement, seulement mon frère et moi-même avons eu l’opportunité d’étudier à l’Université, et ce grâce au soutien des jésuites et missionnaires chrétiens.
Quelle a été ton éducation, ton évolution personnelle et professionnelle ?
J’ai suivi une formation générale à l’école de Trichy. Plus tard, j’ai obtenu un master en histoire. Quand j’étais à l’Université, j’étais très actif à la Fédération des universités catholiques de l’Inde, l’AICUF [7]. Cet investissement a été pour moi une motivation déterminante qui m’a amené à retourner au sein de ma communauté afin d’aider mes confrères dans leur propre développement.
Pourquoi as-tu décidé de travailler pour et avec les dalits ?
Comme je viens de l’expliquer brièvement, c’est mon investissement au sein de l’AICUF qui m’a amené à m’intéresser plus particulièrement aux dalits et à travailler avec eux. Ma mobilisation a aussi été fortement provoquée par les expériences de mon père qu’il partageait avec moi lorsqu’il était paysan laboureur pour notre maître. C’est à cette époque que j’ai assisté à l’horrible attaque du 26 juillet 1978 contre les dalits, dans la ville de Villupuram, où 12 d’entre eux ont été tués et plus de 2 000 de leurs maisons ont été brulées. Tout ceci m’a fortement convaincu de travailler pour eux.
Est-ce que des événements tels que la récente élection de Mayawati Kumari [8], issue de la communauté dalits contribuent à changer la donne ?
Pour ce qui est de la victoire de Mayawati aux élections, on ne peut pas réellement parler de victoire pour les dalits. Il y a d’autres alternatives politiques possibles qui doivent être discutées lorsque l’on parle de leur appauvrissement. Peut-être que l’on pourra aborder le problème de manière plus spécifique prochainement…
As-tu observé des évolutions dans tes différentes actions ?
Avec mon équipe de travail, nous sommes essentiellement investis dans le suivi des droits de l’homme des dalits et dans les luttes concernant leur droit d’accès à la terre, en essayant de les faire bénéficier des différentes ressources communautaires. Et cela dans tous les villages où nous travaillons. Nous sommes aussi investis dans leur insertion socioprofessionnelle, aussi bien dans le secteur privé et industriel que dans l’éducation. Après avoir commencé à travailler sur les besoins primaires comme l’accès à l’eau potable, au logement, à l’école, aux hôpitaux et cimetières…, nos combats ont peu a peu évolué vers des questions plus fondamentales comme l’accès à la terre.
Parle-nous de ta plus grande victoire.
Une victoire fondamentale a été la lutte des femmes dalits pour les terres de Panchami. Elle a abouti à l’obtention de terre dans trois villages où elles étaient opprimées. Même si elle n’est pas totalement personnelle, elle me semble primordiale.