Ici la transcription de I’enregistrement vidéo.
John Reimann : Nous nous entretenons à nouveau avec Ofer Neiman, militant israélien contre l’apartheid et de BDS à Jérusalem. Nous voulions connaître ton point de vue sur la situation politique en Israël et sur la situation militaire à Gaza. J’aimerais faire un partage d’écran, Ofer, de ce que tu m’as envoyé et qui est présenté ici. Il s’agit de militants du Hamas qui parlent au grand jour, qui se promènent et qui paradent dans la ville de Gaza. Peux-tu nous dire ce que tu en penses et nous donner ton point de vue sur la situation militaire ?
Ofer Neiman : Oui, je ne suis pas journaliste. Je ne suis pas un expert de ce qui se passe actuellement à Gaza. Mais selon les informations présentées sur cette carte, l’endroit où les prisonniers israéliens ont été libérés, le Hamas a apparemment voulu envoyer un message à Israël, qui est censé contrôler la ville de Gaza actuellement. Le Hamas a voulu dire à Israël : « Vous ne contrôlez même pas la ville de Gaza, nous sommes toujours libres de nous y déplacer et de libérer les captifs dans le centre de Gaza ». Apparemment, c’était ça que le Hamas voulait faire.
John Reimann : Je discutais avec un ami qui a une certaine expérience militaire. Il m’a dit que dans le genre de combats maison par maison qu’Israël devrait livrer pour prendre le contrôle de la ville de Gaza, il faudrait accepter un taux de pertes de ses propres soldats de l’ordre de 20 %. Penses-tu que l’armée israélienne soit politiquement en mesure de le faire ?
John Reimann : Je discutais avec un ami qui a une certaine expérience militaire. Il m’a dit que dans le genre de combats maison par maison qu’Israël devrait livrer pour prendre le contrôle de la ville de Gaza, il faudrait accepter un taux de pertes de ses propres soldats de l’ordre de 20 %. Penses-tu que l’armée israélienne soit politiquement en mesure de le faire ?
Ofer Neiman : La question pour les Forces armées israéliennes, ou plutôt les Forces d’occupation israéliennes, ou encore les Forces d’apartheid israéliennes, c’est qu’elles sont réticentes à aller dans cette direction, parce que la perte d’un si grand nombre de soldats ne serait pas bien perçue par l’opinion publique israélienne. Aujourd’hui, dans cette guerre, il y a une plus grande acceptation du sacrifice de soldats pour ce qui est considéré comme une cause très légitime. Mais ils aimeraient tout de même éviter cela. Et nous avons vu, au début de la guerre, que parfois l’armée israélienne perdait des soldats lorsqu’elle devait affronter le Hamas en face à face. C’est donc une question qui les préoccupe. Et maintenant qu’ils ont détruit la quasi-totalité ou une grande partie de la ville de Gaza, il est inutile d’y faire tomber des tapis de bombes pour se débde résistance. Plus encore. S’ils s’attaquent à Khan Yunis, la ville du sud, où se trouve apparemment le principal centre de commandement du Hamas, ce sera plus coûteux. Quant au sud, il faut savoir qu’il s’y trouve y a beaucoup de réfugiés du nord de Gaza. Le nombre de victimes civiles est donc susceptible d’être plus élevé parmi les Palestiniens. Bien sûr, Israël nd’occupation israéliennes, ou encore les Forces d’apartheid israéliennes, c’est qu’elles sont réticentes à aller dans cette direction, parce que la perte d’un si grand nombre de soldats ne serait pas bien perçue par l’opinion publique israélienne. Aujourd’hui, dans cette guerre, il y a une plus grande acceptation du sacrifice de soldats pour ce qui est considéré comme une cause très légitime. Mais ils aimeraient tout de même éviter cela. Et nous avons vu, au début de la guerre, que parfois l’armée israélienne perdre des soldats lorsqu’elle devait affronter le Hamas en face à face. C’est donc une question qui les préoccupe. Et maintenant qu’ils ont détruit la quasi-totalité ou une grande partie de la ville de Gaza, il est inutile d’y faire tomber des tapis de bombes pour se débarrasser des poches de résistance. Plus encore. S’ils s’attaquent à Khan Yunis, la ville du sud, où se trouve apparemment le principal centre de commandement du Hamas, ce sera plus coûteux. Quant au sud, il faut savoir qu’il s’y trouve y a beaucoup de réfugiés du nord de Gaza. Le nombre de victimes civiles est donc susceptible d’être plus élevé parmi les Palestiniens. Bien sûr, Israël ne se soucie pas, n’a pas de compassion pour les civils palestiniens en ce moment. C’est un génocide qu’il est en train de commettre. Mais cela ne sera pas une bonne chose de leur propre point de vue, pour leurs efforts diplomatiques et pour la défense de leurs intérêts à l’extérieur
John Reimann : Au cours des dernières décennies, les forces d’occupation israéliennes ont opéré en toute impunité en Cisjordanie. Elles peuvent entrer, faire une descente dans une maison, tuer un membre d’une famille, faire tout ce qu’elles veulent. Et il n’y a aucune répercussion tant que leurs propres soldats ne sont pas tués. Je me demandais s’il était possible que la société israélienne se soit habituée à cela, à ce que les militaires israéliens puissent entrer et faire ce qu’ils veulent sans qu’aucun soldat israélien ne soit tué, alors que maintenant ils sont confrontés à une situation très différente sur le plan militaire, et qu’ils ne savent pas vraiment comment y faire face. Pas seulement l’armée elle-même, mais c’est peut-être aussi une attitude générale qu’on retrouve dans l’ensemble de la société israélienne.
Ofer Neiman : C’est un des aspects de la question. Cependant, comme nous l’avons déjà dit, l’opinion publique israélienne est aujourd’hui plus disposée à sacrifier des soldats pour cette cause, parce que la plupart des gens considèrent malheureusement qu’il s’agit d’une guerre tout à fait nécessaire, tu sais, contre de prétendus monstres et animaux humains. La société israélienne est donc aujourd’hui plus disposée à sacrifier des soldats qu’il y a par exemple trois ou quatre mois, ou encore un an ou deux ans. Mais dans une large mesure, l’armée et le gouvernement restent prudents, car il s’agit toujours d’un sujet sensible et je ne pense pas que les Israéliens soient prêts à sacrifier des milliers de soldats pour cette cause. Le gouvernement israélien veut donc faire attention.
John Reimann : Oui, tu sais, comme ici pour la guerre du Vietnam, beaucoup d’Américains, je dirais même la grande majorité, l’ont soutenue au début. L’attitude était la suivante : « Oui, des soldats américains vont être tués, mais c’est ce que nous devons faire. » Mais lorsque la réalité a touché le pays, dans chaque communauté, des familles ont perdu leurs fils. (à cette époque là il n’y avait que des soldats hommes engagés dans les combats). Lorsque les housses mortuaires ont commencé à s’empiler, les attitudes ont commencé à changer, lorsqu’ils ont vu ce que cela signifiait vraiment.
Ofer Neiman : Oui, c’est intéressant, je ne sais bien pas quelles sont les options militaires pour Israël en ce moment, parce qu’ils ont détruit, pulvérisé la ville de Gaza. Il y a tellement de réfugiés dans le sud qui sont vont à Khan Yunis, et ces zones dans lesquelles il faudrait combattre dans le sud vont coûter très cher à Israël sur le plan des relations publiques, en termes de dommages causés aux civils, et aussi de perte de soldats. Mais d’après ce qu’on peut lire, Israël est prêt pour la prochaine étape, qui consistera à prendre le contrôle de la partie sud de Gaza. Il pourrait s’agir d’une sorte de manœuvre qu’ils essaient de mettre en place - dans le cadre de la guerre psychologique. Et, apparemment, pour ce qui est de la localisation des principaux tunnels, ou du moins de l’endroit où les captifs sont détenus, ce n’est pas dans la ville de Gaza, mais probablement dans le sud. La question se pose donc de savoir ce qu’Israël peut faire maintenant. Pour moi, et je ne suis pas un expert, il semble qu’ils soient assez coincés pour l’instant.
John Reimann : il y a une chose que je me demandais : on avous avez maintenant, sous un nom différent, un cessez-le-feu pour quelques jours avec l’échange de prisonniers. Je me demandais si Netanyahou n’avait pas été contraint de l’accepter. Ce cessez-le-feu est en partie dû à la pression politique, les Israéliens veulent que les otages soient libérés, mais aussi en partie parce qu’ils ne savent pas très bien où ils en sont. Ils se sont heurtés à une pierre d’achoppement sur le plan militaire et ils ne savent pas vraiment comment continuer. Est-ce que c’est possible ?
Ofer Neiman : Oui je pense que c’est une possibilité. Par exemple, si Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN, appelle à une prolongation de la trêve ou à un cessez-le-feu, je ne sais pas exactement, parce que c’est ce que quelqu’un m’a dit, c’est probablement coordonné avec le gouvernement américain. On peut donc en conclure qu’il y a plus de pression sur Israël, au moins pour qu’il prolonge la trêve, à défaut de l’acceptation d’un cessez-le-feu. L’autre élément que tu viens de mentionner est la pression exercée par les familles des Israéliens captifs. Je pense qu’il s’agit là d’un problème de plus en plus important pour Netanyahou. En effet, maintenant que les Israéliens voient la libération de quelques-uns de ces prisonniers, qui sont maintenant près de 40 ou 50, des pressions sont exercées pour que d’autres soient libérés. Et cette pression ne prendra probablement pas la forme d’un « bombardement de Gaza pour libérer les captifs », mais plutôt celle d’une négociation avec le Hamas pour obtenir leur libération.
John Reimann : Penses-tu que Netanyahou reprendra l’offensive militaire, y compris contre le sud de la bande de Gaza, à un moment ou à un autre ?
Ofer Neiman : C’est une possibilité. Et en fait, il s’est en quelque sorte acculé lui-même dans un coin, y compris avec ce qu’il a fait hier, lorsqu’il s’est rendu à Gaza. Vous avez peut-être vu les images, il portait un casque et une veste de protection. Il est don venu rencontrer les soldats et leur a dit en substance : « Nous irons jusqu’au bout, jusqu’à la victoire totale ». Maintenant, il doit en quelque sorte respecter ses propres engagements. Il y a donc une certaine contradiction. Je n’en suis pas si sûr. Mais il est certainement possible qu’il essaie de poursuivre la guerre dans trois ou quatre jours.
John Reimann : N’est-il pas soumis à de fortes pressions de la part de l’extrême droite au sein de son propre gouvernement en faveur de la poursuite de l’opération militaire ?
Ofer Neiman : Absolument. L’extrême droite, l’extrême droite religieuse, les colons, des gens comme Smotrich et Ben Gvir, voudraient eux aussi expulser les Palestiniens de Gaza, ce qui est également un objectif du gouvernement israélien soutenu par le Likoud. Mais Netanyahou réalise probablement que c’est impossible. La droite messianique voudrait expulser les Palestiniens et rétablir au moins une partie des colonies israéliennes à l’intérieur de Gaza. Il sera donc soumis à une forte pression.
D’un autre côté, il subira une forte pression de la part de l’opinion générale, u grand public, ou du centre, des familles des Israéliens détenus dans la bande de Gaza. Ces forces tirent dans des directions opposées. Et globalement, la société israélienne est déjà déchirée par ces forces. Je pense que nous allons assister à une multiplication de ces déchirements s’il y a une prolongation de la trêve ou un cessez-le-feu, parce que ces affrontements vont bien au-delà de la question de savoir si Israël doit continuer à mener une politique cette guerre à Gaza ou non. Cela tourne également autour de la question des colonies en Cisjordanie ; est—ce qu’Israël devait envoyer d’importantes forces militaires en Cisjordanie pour sécuriser les colonies, alors qu’elles auraient pu être utilisées le 7 octobre pour protéger la frontière sud ? Et aussi le problème plus général de la direction qu’Israël devrait prendre en ce moment, de la lutte que nous avons connue cet été, avec les manifestations, entre ceux qui soutenaient la réforme judiciaire et ceux qui s’y opposaient. Ceux qui veulent un État juif encore plus religieux, de droite, sur le plan constitutionnel, et ceux qui s’y opposent, qui certes défendent le système d’apartheid et de colonisation en place, mais qui voudraient un État d’Israël qui reste, au moins superficiellement, libéral et démocratique. Ces luttes ne sont pas près de s’éteindre. Et je ne sais pas qui va gagner lorsqu’il s’agira de savoir si Israël doit continuer à mener la guerre à Gaza.
John Reimann : Je voudrais en venir à la situation politique. Si je t’ai bien compris, tu sembles dire qu’il n’est pas certain qu’Israël tentera une intervention militaire dans le sud de la bande de Gaza. Et si cela se produit, est-ce qu’il y aura le même type de bombardements que dans le nord de la bande de Gaza et dans la ville de Gaza ?
" Carte non reproduite ici : Le Hamas a remis les Israéliens en otage aujourd’hui à l’intérieur de la ville de Gaza, sous les acclamations des passants, comme le montre la vidéo. Cela se passe à l’intérieur des zones que l’invasion terrestre israélienne avait soi-disant atteintes et encerclées, bien qu’elles ne soient manifestement pas contrôlées.
Le Hamas démontre deux choses :
1- le fiasco de l’armée israélienne
2- le soutien populaire par les Palestiniens de Gaza.
On y voit des combattants du Hamas se promener librement, salués par la population, tandis que des otages sont emmenés par la Croix-Rouge. Contrairement aux vidéos précédentes, ce ne sont pas les otages qui sont au centre de l’attention dans cette vidéo.
Cela se produit après 50 jours de bombardements et d’invasion terrestre par l’une des armées les plus puissantes du monde.
Le cercle bleu au milieu de la carte de la ville de Gaza est l’endroit où le transfert a eu lieu. Le vert indique les zones atteintes par les Israéliens. Cette carte montre la partie nord de la bande de Gaza" source : @Dima_Khatib
Ofer Neiman [sur le rôle central de la ville de Gaza
C’est une question intéressante. Si nous voulons être cyniques, et nous devrions l’être, je pense qu’ils avaient un intérêt particulier à détruire la ville de Gaza, le centre commercial, le centre culturel de Gaza. Ils ne visaient pas vraiment des cibles militaires. Ils essaient de détruire la société palestinienne à Gaza. Et c’est la première étape vers le nettoyage ethnique, en essayant de les expulser vers le Sinaï ou à l’étranger. Nous avons vu des appels à l’émigration des Palestiniens de Gaza, même de la part de personnalités politiques israéliennes dites « mainstream ». Israël mène donc une guerre contre les civils palestiniens et la société civile palestinienne à Gaza. Je pense que l’idée était simplement de détruire la ville de Gaza pour la rendre inhabitable. Et c’est la principale ville de la bande de Gaza.
Feront-ils la même chose à Khan Yunis, je ne pense pas qu’ils puissent ou veuillent le faire, sous forme de bombardements aériens en tapis. L’une des raisons est qu’Israël a perdu beaucoup de sympathie et de soutien en Occident. Si cette campagne de bombardements reprend, nous verrons, je pense, plus de troubles en Occident, plus d’appels à l’action contre Israël. Et encore plus de protestations, je pense, de la part de hauts dirigeants occidentaux. En outre, après qu’Israël a dit aux Palestiniens de fuir vers la frontière sud, s’il commence à bombarder les zones de concentration de réfugiés dans cette région. Je pense que cela créera une nouvelle sorte de problème politique ou de communication pour Israël. Les Israéliens se verront demander : « Vous avez dit aux habitants de Gaza qu’ils pouvaient partir vers le sud et vous allez bombarder la zone ? ». Cela n’a aucun sens, même pour ceux qui ne se soucient pas, malheureusement, de la vie des Palestiniens. Je ne suis donc pas sûr que nous assisterons à cela.
D’un autre côté, l’intervention de forces terrestres, le combat maison après maison, est également problématique. On peut donc en conclure qu’Israël est coincé, qu’il apprend les limites de son propre pouvoir, militaire et politique. Et peut-être que s’ils avaient quelques espoirs de détruire la ville de Gaza au point de faire fuir les Palestiniens vers le sud, puis de les forcer à émigrer et de convaincre le gouvernement égyptien de les accueillir... et nous savons pertinemment que c’est ce qu’Israël a essayé de faire avec quelques alliés occidentaux pour convaincre les Égyptiens d’accueillir les réfugiés - cela n’a pas fonctionné. Apparemment, ce qu’Israël essayait de faire, c’était de forcer le plus grand nombre possible de Palestiniens à quitter la bande de Gaza. Si c’est impossible, Israël est coincé. Et je pense qu’il n’y a aucune option favorable, qu’il s’agisse de bombardements ou de l’envoi de forces terrestres dans le sud de la bande de Gaza.
John Reimann : En d’autres termes, il y a, si je comprends bien, une combinaison de facteurs : plus les forces d’occupation israéliennes frappent les Palestiniens, plus le soutien à une résistance par la violence, en l’occurrence le soutien au Hamas, s’accroît. La situation est donc en quelque sorte bloquée entre, d’une part, le soutien au Hamas et la résistance menée par ce dernier, et d’autre part, le fait qu’Al Sisi n’accepte pas que des Palestiniens entrent en Égypte ; et même Biden, aussi écœurante que soit sa politique, se heurte à certaines limites et à ce qu’il peut autoriser. Il me semble donc que Netanyahou est coincé dans une situation inextricable.
Ofer Neiman : Oui, je pense qu’il est coincé dans la mesure où la pression exercée sur lui pour qu’il démissionne est de plus en plus forte. Et je pense qu’il sera contraint de démissionner à un moment ou à un autre. Et il le sait probablement. S’il y a un cessez-le-feu durable, il sera contraint de démissionner assez rapidement. L’une des choses qu’il cherche encore à obtenir est peut-être une escalade non seulement à Gaza, ou pas nécessairement à Gaza tout de suite, mais aussi au Liban et contre l’Iran, en essayant en quelque sorte d’entraîner Biden dans une guerre avec l’Iran. Je pense que Biden, ou « Joe le génocidaire », est un personnage méprisable, mais je pense qu’il est suffisamment intelligent, ou que les gens qui l’entourent le sont suffisamment, pour essayer d’empêcher que cela ne se produise. Mais l’intensification de l’escalade dans l’ensemble de la région pourrait être une autre option pour Netanyahou. Cependant, de manière générale, je continue à dire qu’il semble être coincé. Ses options sont limitées.
John Reimann : Je pense que ni l’Iran, ni son supplétif, le Hezbollah, ne veulent d’une guerre pure et simple avec... en fait, cela reviendrait à une guerre avec les États-Unis. Ils ont donc pris quelques mesures et fait quelques déclarations purement symboliques. L’autre question est donc de savoir quelle sera la pression exercée par les masses dans les États arabes sur le Hezbollah pour qu’il agisse de manière plus énergique contre les États-Unis. Je pense néanmoins que l’on ne saurait exclure une telle éventualité. Mais si je devais parier à 50/50, je dirais que c’est plus improbable que probable.
Ofer Neiman : Je pense que cela est également lié au fait que le Hezbollah n’est peut-être plus aussi populaire qu’il l’était autrefois dans le monde arabe, en raison de son implication dans la guerre en Syrie. Aux côtés de Bachar Assad, qui se livre à un génocide contre son propre peuple en Syrie. Mais une autre raison, peut-être, est qu’ils n’ont pas vraiment intérêt à intervenir ou à intensifier l’escalade le long de la frontière nord avec Israël, tant que le Hamas semble tenir le coup. Et le Hamas semble bien tenir le coup. Je veux dire par là qu’il semble être opérationnel, ses systèmes de communication, sa logistique de base, il est capable d’organiser le transfert des prisonniers. Il semble donc que le Hamas soit loin de s’effondrer. C’est un autre élément à prendre en compte.
John Reimann : C’est vrai. Netanyahou et « Joe le Génocidaire » se sont tous deux engagés à éliminer complètement le Hamas. Mais à moins qu’ils ne soient prêts à éliminer complètement le peuple palestinien de Gaza, je ne pense pas que cela soit possible.
Ofer Neiman : Tout d’abord, ils devraient éliminer tous les hauts commandants et des milliers de combattants, ce qui n’est apparemment pas encore le cas. Mais au-delà de cela, le Hamas représente une certaine image de la résistance et, tout particulièrement après le génocide perpétré à Gaza, ce n’est pas quelque chose qu’Israël peut déraciner simplement en entrant à Gaza et en s’emparant de la bande de Gaza. Il suffit d’entrer dans Gaza et de prendre le contrôle de la bande de Gaza. Donc, toute cette histoire de destruction du Hamas est irréalisable, mais tellement d’Israéliens y croient. Tu sais, j’étais dans la rue hier, et j’ai entendu une conversation entre quelques personnes, dont un jeune soldat en uniforme. Il disait : « Oui, nous irons jusqu’au bout. Il n’y a pas d’autre choix possible. Il n’y a pas de solution intermédiaire, une solution intermédiaire revient à ne rien faire. » Et je pense que beaucoup d’Israéliens vont être mécontents, de l’écart énorme entre les promesses qui leur ont été faites de détruire le Hamas et la réalité.
John Reimann : Peux-tu nous en dire un peu plus sur d’autres conversations que tu as entendues ? Et aussi sur les différents mouvements d’opinion dans la société israélienne ?
Ofer Neiman : ceux qui s’opposent fermement à cette guerre et au bombardement de Gaza ne représentent qu’une petite minorité, probablement moins de 5 %, de la société juive israélienne. Une majorité écrasante est favorable à l’opération dans la bande de Gaza. Il y a peut-être une plus grande minorité, je dirais, je ne sais pas, peut-être 20 % des personnes interrogées qui diraient qu’elles sont contre une partie des bombardements, qu’elles aimeraient voir une façon de faire différente. Mais la plupart des Israéliens soutiennent, non seulement le principe de la guerre à Gaza, mais aussi tout ce que fait Israël. Et je constate que de nombreux messages sur Facebook émanant de ceux que l’on appelle les Israéliens de gauche disent : « Je me préoccupe des enfants de Gaza, mais nous n’avons pas le choix. » Donc ceux qui sont en quelque sorte les gentils disent : « Non, cela ne me fait pas plaisir que des enfants meurent à Gaza, mais nous n’avons pas le choix. » Il y a donc une majorité significative au sein de la société juive israélienne en faveur de tout ce que le gouvernement israélien et l’armée israélienne décident de faire à Gaza. Cependant, il y a aussi tut ce qui ce récit autour des otages, demandant à ce qu’ils soient libérés. Et là, il y a une certaine contradiction parce que, au bout d’un moment, et je pense que c’est le cas maintenant, de plus en plus de gens se rendent compte que le recours à la force armée n’est pas le moyen pour faire libérer les prisonniers. Alors peut-être que dans cette situation, les personnes qui ne se soucient pas de la vie des Palestiniens, malheureusement, ou du génocide en cours, comprendront qu’il y a un problème, qu’il n’y a pas de solution militaire à la libération des captifs. Cela pourrait faire évoluer l’opinion publique.
John Reimann : Il me semble que tu dis que l’armée israélienne se trouve dans une sorte d’impasse à Gaza, où soit elle va de l’avant selon ses plans, auquel cas elle subira des pertes considérables, soit elle reste bloquée dans la situation actuelle pendant une période assez longue. Il me semble donc que cela créerait les conditions d’un changement d’attitude d’une grande partie des Israéliens ?
Ofer Neiman sur les plans israéliens pour l’après-guerre
Oui, un autre aspect de la situation de blocage dans laquelle se trouve Netanyahou est qu’il a déclaré que l’armée israélienne maintiendrait un contrôle de sécurité total sur la bande de Gaza. C’est ce qu’il a déclaré à des journalistes américains, en tout cas pour ce qui est de l’après-guerre. La question est de savoir comment cela pourrait fonctionner. Avec des millions de Palestiniens à Gaza, la première question qui se pose est de savoir qui va administrer ce territoire. Une réponse, une possibilité, c’est l’Autorité palestinienne. Mais celle-ci n’est peut-être pas très enthousiaste à l’idée de gérer une bande de Gaza presque inhabitable. Et Israël ne veut pas que l’Autorité palestinienne reprenne le contrôle de Gaza. Je veux dire que c’était fondamentalement la stratégie idiote de Netanyahou, une stratégie teintée de sang - fragiliser l’Autorité palestinienne et en quelque sorte, au moins indirectement, si ce n’est directement, renforcer le Hamas. Netanyahou ne veut donc pas de l’AP sur place. Alors quelles sont les solutions restantes ? Une autre option serait que ce soient des gens du territoire qui prennent en charge l’administration, ce qui reste très, très difficile. Et si l’armée israélienne reste sur place, il y aura de la résistance, donc je ne sais vraiment pas comment cela va se terminer. Même si nous parvenons à un cessez-le-feu, que fera Israël ? Le coût sera également très élevé. Je pense que nous sommes confrontés à une sorte de récession économique. Il y a tellement de gens qui sont maintenant mobilisés en tant que soldats de réserve. Beaucoup d’entreprises souffrent. Je ne suis donc pas sûr que cela puisse durer aussi longtemps.
John Reimann : tu as évoqué le fait que ceux qui s’opposent par principe à l’attaque des Israéliens contre Gaza sont peut-être moins de 5 %. Alors, quelles sont les perspectives ? Hé bien, premièrement, j’imagine qu’elles peuvent venir de cette petite minorité. Il n’y a pas d’unanimité totale. Et deuxièmement, quelles sont les possibilités de gagner davantage de soutien ?
Ofer Neiman sur les perspectives pour les vrais opposants à l’intérieur d’Israël
Quelles sont les possibilités pour des personnes comme nous de devenir plus appréciées au sein de la société israélienne ? Pas très bonnes, en fait. Je pense qu’aujourd’hui, ceux qui s’opposent au génocide, aux crimes contre l’humanité à Gaza, sont des gens qui ont une compréhension globale de ce que sont la colonisation et l’apartheid. Le plus important maintenant, pour convaincre les Israéliens, c’est qu’ils voient plus de pression internationale, en particulier de la part de l’Occident, plus de BDS, en particulier des sanctions de la part des gouvernements occidentaux. Mais c’est toujours un défi, car les gouvernements occidentaux soutiennent en général assez largement Israël. Cependant, le fait que l’Irlande discute actuellement de l’expulsion de l’ambassadeur d’Israël constitue un grand pas en avant. Je pense donc qu’il faut davantage de BDS et de sanctions de la part des gouvernements occidentaux. Et c’est quelque chose qui peut susciter une discussion dans la société juive israélienne, parce que en l’absence de telles mesures, la société israélienne est trop sous l’influence de l’extrême droite, dont les conceprtions gagnent aussi le centre, des gens qui sont aussi - même s’ils sont simplement traumatisés, pour essayer de le qualifier avec compréhension - ces Israéliens traumatisés, les Israéliens ordinaires, ne lèveront pas le petit doigt pour se montrer solidaires des Palestiniens, ils n’en ont pas l’énergie, ils n’en ont pas l’état d’esprit. Nous avons donc besoin de la pression de l’extérieur pour changer les choses ici.
John Reimann : en Israël, les gens sont-ils conscients qu’une partie très importante, je pense que c’est peut-être même la majorité, de la jeunesse juive ici aux États-Unis, est extrêmement critique à l’égard d’Israël ?
Ofer Neiman : Pas assez. C’est quelque chose que nous essayons d’expliquer à la société israélienne. Et nous devons le faire davantage. Il y a une rupture qui se dessine entre au moins les jeunes juifs américains et Israël, et l’histoire d’amour est terminée, ce qui a commencé probablement en 1967 plus qu’en 1948, après la guerre des six jours., elle est en train de finir, les jeunes juifs américains se renseignent sur Israël, et plus ils en apprennent, plus ils sont dégoûtés, et ce pour de bonnes raisons. Et je crois que c’est quelque chose que les Israéliens ne pourront pas ignorer encore bien longtemps, même si actuellement, les principales institutions de la communauté juive, les donateurs, les influenceurs sont toujours pour la plupart aux côtés d’Israël. Donc Israël, le gouvernement israélien peut maintenir cette façade du soutien des juifs américains à Israël. Je ne sais pas combien de temps cela pourra durer.
John Reimann : Donc, ce que tu dis, c’est que nous devons faire plus, par exemple, avec ce groupe Jewish voices for peace, ici aux Etats-Unis ?
Ofer Neiman : La Voix juive pour la paix ? JVP ? Tout à fait.
John Reimann : Nous pouvons, par exemple, faire connaître l’existence et les activités de groupes comme celui-là. Je veux dire que j’aurais des critiques à formuler à certains égards, mais de toute façon, plus des groupes comme celui-là et des membres de groupes comme celui-là pourront faire entendre leur voix en Israël, plus ce sera utile.
Ofer Neiman : Les Israéliens connaissent très bien le JVP, BDS et le mouvement de solidarité avec la Palestine qui se développent aux États-Unis, et ils s’en alarment. Depuis au moins 10 ans, Israël travaille dur en coulisses pour contrer le mouvement de solidarité avec la Palestine qui se développe aux États-Unis et dans d’autres pays, par exemple en faisant pression pour une législation contre le BDS. Je pense qu’à l’heure actuelle, il y a des dispositions légales de ce genre dans près de 30 des 50 États, quelque chose comme ça. Mais le grand public israélien ? Je ne suis pas sûr qu’il soit au courant de tout cela. Et le gouvernement ne veut surtout pas que cela se sache. Car ce serait un problème. Je veux dire que le gouvernement veut que les Israéliens pensent que la position d’Israël aux États-Unis est sûre. Et nous devons changer cela. Je pense qu’il est très important de sensibiliser les institutions israéliennes, la société israélienne en général, de leur montrer les faits concrets concernant le soutien croissant à la Palestine aux États-Unis, et ce que cela entraînera, y compris pour ce qui est du soutien militaire américain à Israël, de convaincre les Israéliens que ceux qui comptent sur un soutien général, un soutien militaire, des milliards et des milliards, et des armes pour Israël, ne vivent plus qu’en sursis.
John Reimann : Y a-t-il des initiatives spécifiques que nous pourrions prendre ici aux Etats-Unis, en dehors de la création d’un mouvement dans ce pays, pour faire connaître l’existence des opposants ici, y compris parmi les nombreux juifs américains, moi y compris, ?
Ofer Neiman : Nous devons entretenir les canaux de communication, réfléchir aux arguments que les militants israéliens peuvent faire valoir auprès des Américains en général et aux arguments que les militants américains peuvent faire valoir auprès des Israéliens en général, travailler ensemble, coordonner les campagnes, faire pression ensemble sur les responsables politiques, et peut-être même publier des déclarations conjointes. Mais tout cela revient à garder nos canaux de communication actifs et à voir comment nous pouvons tous travailler ensemble. Et aussi, bien sûr, avec les Palestiniens s’ils souhaitent travailler avec nous. C’est une excellente chose. Je veux dire que nous, par exemple, les Israéliens qui soutiennent la campagne BDS, nous travaillons avec nos partenaires palestiniens. Et je pense que c’est une bonne chose pour la campagne BDS en général. Il s’agit donc de travailler dans ce sens, d’essayer de construire davantage de ponts et de projets communs.
John Reimann : Y a-t-il des points que nous n’avons pas abordés ou un message final que tu souhaiterais faire passer ?
Ofer Neiman : J’espère simplement que nous allons voir grandir ce que l’on appelle la Squad au Congrès(1). Je veux dire par là qu’elles ont commencé à être quatre, je crois, mais maintenant on peut dire avec certitude qu’elles sont plus que quatre et qu’elles sont plutôt 10. J’espère que nous verrons de plus en plus de membres de « l’escouade » au sein du Parti démocrate. Pour ma part, je pense que, même s’il s’agit d’un parti placé sous la tutelle de Genocide Joe, que cela vaut la peine de lutter, de faire campagne au sein du Parti démocrate. Et, et au moins quand c’est possible, de soutenir des candidat.e.s au Congrès comme Ilhan Omar, Alexandra Ocasio-Cortez et Rashida Tlaib, et de faire en sorte qu’un plus grand nombre de ces personnes se présentent à l’élection. Je pense que cela peut être très, très bénéfique.
John Reimann : Sur ce point, il me faut bien dire que même Bernie Sanders et AOC ne s’opposent pas au principe de l’aide américaine à Israël. Je pense donc qu’il faut considérer le Parti démocrate comme étant fermement dans le camp pro-israélien et pro-sioniste. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une alternative « working class » aux Démocrates, et je ne considère aucune des membres du Squad comme des alliés fiables ou quoi que ce soit de ce genre.
Ofer Neiman : Très bien, c’est une discussion intéressante. Je veux dire, Sanders, j’ai été déçu par son refus d’appeler à un cessez-le-feu, expliquant qu’il était impossible de négocier avec le Hamas. C’est idiot de dire une chose pareille. C’est-à-dire, en partant du fait qu’il s’agit de criminels. Bien sûr, le Hamas commet des crimes de guerre, mais le gouvernement israélien aussi. Mais finalement, le gouvernement israélien et le Hamas sont tous deux des partenaires dans les négociations. D’un autre côté, j’ai lu un communiqué de lui la semaine dernière dans lequel il disait que l’aide à Israël devait être assortie de conditions. Et il a posé des conditions assez strictes. Je n’abandonne donc pas l’idée que les représentants démocrates s’opposent à l’aide à Israël, mais nous verrons bien. Peut-être pouvons-nous convenir qu’il faut une troisième option, une option qui représente la classe ouvrière américaine, mais que ce n’est pas une mauvaise idée, au moins pour l’instant, d’essayer d’élargir le Squad au Congrès, au moins maintenant que nous sommes dans une situation d’urgence et que nous resterons dans cette situation d’urgence. Même si nous obtenons un cessez-le-feu. C’est un génocide qui est en cours en Palestine. Et pour l’instant, nous avons besoin de solutions rapides, de progrès au Congrès. Je pense donc que nous avons besoin de toutes les options, nous devons essayer toutes les options.
John Reimann : Je pense que Sanders et d’autres, même AOC, se sont un peu écartés du strict soutien à Israël, et ce pour deux raisons. La première est la pression exercée d’en bas, ici aux États-Unis. Et l’autre, c’est que même Biden se rend compte que ce que Netanyahou et compagnie tentent d’accomplir est irréalisable et qu’en fait, dans une large mesure, cela va à l’encontre des intérêts de l’impérialisme américain dans la région, comme ils le disent. Donc, pour ce qui est d’amener plus de démocrates à adopter une position au moins légèrement plus neutre à l’égard d’Israël, je pense que la meilleure façon d’y parvenir est de construire le mouvement indépendamment d’eux, sans soutenir aucun Démocrate. Et si nous pouvons réellement commencer à construire une alternative ouvrière aux Démocrates, y compris en présentant des candidats indépendants qui représentent les débuts d’un parti ouvrier, cela fera plus pour pousser les Démocrates que tout ce que nous pouvons faire pour essayer de soutenir des Démocrates plus à gauche.
Ofer Neiman : En fait, je suis d’accord. S’il y a une possibilité de présenter quelqu’un qui n’est pas du parti démocrate et que cette personne a une chance de gagner, oui, il faut le faire,. Mais je suis un peu plus pessimiste. C’est pourquoi je disais qu’il fallait peut-être se concentrer d’abord sur l’élection d’un plus grand nombre de démocrates de gauche, mais je ne suis pas en désaccord avec toi.
John Reimann : tu sais, j’ai été candidat à la mairie d’Oakland l’année dernière. Mon idée était bien de présenter ce type de candidat.e.s au niveau local.... mais quoi qu’il en soit, c’est un échange beaucoup plus approfondi qu’il faut avoir. Je dirais donc qu’il nous faudra continuer sur cette question. Sur ce, merci beaucoup à tous pour le temps que vous nous avez accordé, , et nous resterons certainement en contact les
Note
1-« The Squad est le nom informel d’un groupe de quatre femmes élues aux élections de 2018 à la Chambre des représentants des États-Unis, composée d’Alexandria Ocasio-Cortez de New York, d’Ilhan Omar du Minnesota, d’Ayanna Pressley du Massachusetts et de Rashida Tlaib du Michigan. Toutes sont des femmes de couleur de moins de 50 ans1, ont été soutenues par le comité d’action politique de Justice Democrats (en) et sont de l’aile gauche du Parti démocrate »(Wikipedia)