Il y a une évidence qu’on ne peut qu’entériner. 2022, qui s’achève, aura été bien difficile pour les Maliens. Dès le 09 janvier dernier, le Mali a été soumis à de rudes sanctions économiques et financières sous l’instigation de la CEDEAO. Ces sanctions, qui ont duré près de six mois, ont fortement ébranlé le seuil de résistance financière des ménages maliens. Avec, comme conséquences fâcheusement tenaces : une valse des prix des produits de première nécessité, la perte de centaines d’emplois, l’exacerbation du chômage, une restriction des dépenses de l’Etat en faveur des secteurs sociaux de base, une baisse drastique des recettes fiscales et un repli des importations et des exportations. Pour amortir le contrecoup desdites sanctions qui, reconnaissons-le, ont mis à rude épreuve son économie, le Mali est réapparu en force sur le marché des titres publics dès la levée du quasi-embargo imposé par ses voisins ouest-africains, le 03 juillet dernier. Cette volonté du Mali de colmater les brèches financières et économiques causées par les sanctions susmentionnées, est confirmée par Le Bulletin Statistiques du troisième trimestre 2022 de l’UMOA-TITRE, couvrant la période de juillet à septembre 2022, sur les émissions des marchés de titres publics des huit (08) Etats membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine.
Mais ce qui interpelle, c’est qu’en un temps record (rien qu’en août de cette année !), le montant des emprunts contractés par le Mali sur ces marchés obligataires est colossal par rapport aux emprunts opérés par les autres pays membres de l’UEMOA au cours du troisième trimestre 2022. En effet, de juillet à septembre 2022, le Mali, en effectuant trois sorties sur le marché des titres publics, a mobilisé 327 milliards de francs CFA. Pourtant, des pays comme le Burkina Faso, le Niger, le Sénégal et le Togo, en y effectuant chacun quatre sorties, sur la même période, ont mobilisé respectivement en milliards de francs CFA : 128,79 ; 159,5 ; 253,8 et 121. En dehors de ces trois sorties, le Mali avait, le 15 août dernier, raflé un montant de 207,5 milliards de francs à travers un emprunt obligataire d’appel public à l’épargne. Visiblement, en moins de deux mois, du 09 août au 21 septembre 2022, le Mali a mobilisé 534,5 milliards de francs CFA sur les marchés de titres publics. Du 21 novembre au 02 décembre, le Mali a lancé un nouvel emprunt obligataire public à l’épargne, portant ainsi le nombre de ses sorties sur le marché des titres publics à neuf (09) depuis la levée des sanctions économiques et financières auxquelles il avait été soumis. Si cet emprunt obligataire à appel public à l’épargne de 120 milliards de francs CFA se couronne avec succès, tous les emprunts contractés par le Mali sur le marché des titres publics, du 09 août au 02 décembre 2022, se chiffreraient à 773,36 milliards de francs CFA. A ce rythme, nous pouvons craindre que le pays ne frôle les 1000 milliards d’emprunts d’ici au 31 décembre 2022, alors que le dernier bulletin de sa dette publique mentionnait déjà que son stock s’échelonnait à 5540,70 milliards à la fin juin 2022. Ce niveau de ré-endettement du Mali, après la levée des sanctions, n’est point surprenant puisque les 277, 371 milliards de franc CFA levés, le 09 août 2022, lors de sa première sortie, ont servi à l’apurement du cumul des six mois d’arriérés du service de sa dette.
Le Mali a-t-il commis là une erreur ? Oui. Car les autorités de la transition n’auraient pas dû reposer la facture de l’apurement du cumul des six mois d’arriérés du service de la dette publique du Mali sur le dos des pauvres contribuables. Elles auraient dû se prévaloir de la décision émise par la Cour de justice de l’Union Economique Monétaire Ouest-africaine (UEMOA), le 24 mars 2022, pour opposer à la CEDEAO l’apurement des six mois d’arriérés de la dette publique du Mali. Mieux, elles auraient dû exiger de la CEDEAO des réparations pour les dommages subis par le peuple malien. C’est bien ce que Youth for Peace and Security Africa (YPS-Africa), une organisation panafricaine, a fait en traduisant la CEDEAO devant sa propre Cour de justice afin de lui exiger une indemnisation de 6 milliards de dollars américains pour les victimes civiles de ses sanctions au Mali.
De même, seules des réformes plus hardies dans l’assainissement des finances publiques, à travers la lutte contre la corruption, le combat résolu contre la fraude et l’évasion fiscales, contre l’enrichissement illicite, mais aussi l’adoption de codes d’investissement et minier protecteurs des intérêts de toutes les parties (Etats, multinationales, communautés…) demeurent la seule option pour l’atteinte de budgets annuels excédentaires au Mali. Notre analyse est si juste que le Magazine de l’Economie panafricaine AFRIMAG, posté le 20 septembre 2022, a publié cette tribune pour expliquer ceci : suite à un déficit budgétaire et malgré la course à l’endettement, après la levée des sanctions, le gouvernement malien était obligé d’adopter, le 17 août dernier, un projet de loi rectificative du budget de l’exercice 2022 pour revoir à la baisse ses dépenses. Ainsi, la loi de finances rectifiée présentait un déficit prévisionnel de 664 milliards 588 millions de FCFA contre 617 milliards 564 millions de FCFA dans la mouture initiale, soit une hausse de 47 milliards 24 millions de FCFA. Selon le même magazine, le déficit budgétaire était tel, que le gouvernement était contraint de réduire jusqu’à 318 milliards 465 millions de FCFA ces inscriptions initiales au niveau des dépenses de biens et services, de transferts et subventions et d’investissements.
Si l’on s’en tient aux prévisions budgétaires de 2023, on ne peut que s’attendre à plus de restrictions budgétaires concernant les dépenses de l’Etat relatives aux biens et services, de transferts et subventions et d’investissements par rapport à l’an 2022 puisque le déficit budgétaire annoncé se chiffre à 695,995 milliards. Malheureusement, à date récente, le placement sous mandat de dépôt du président de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Mali (CCIM) et deux de ses collaborateurs, le mercredi 23 novembre 2022, pour « atteinte aux biens publics », vient rappeler que les détournements de deniers publics constituent toujours un des fléaux qui minent l’embellie économique attendue par le Mali. Ce nouveau dossier dit “Youssouf Bathily”, un exemple d’indélicatesse financière parmi tant d’autres, vient s’ajouter aux dossiers de bien mal acquis entre 2015-2019 d’un montant de plus de 1266 milliards non encore évacués et dénoncés par l’Office central de la lutte contre l’enrichissement illicite (OCLEI).
Pourtant, le Mali a la chance d’abriter des organisations de la société civile ou étatique sérieuses (OCLEI, BVG...) qui révèlent et dénoncent au quotidien les malversations financières, la délinquance financière. Ailleurs, dans la sous-région, même si de telles organisations existent, elles sont muettes comme carpe sur les révélations des malversations financières impliquant des personnalités au plus haut sommet de l’Etat. De telles structures doivent être encouragées en poursuivant les lièvres qu’elles lèvent. Certes, si des poursuites sont engagées contre les délinquants financiers, elles se limitent le plus souvent à des peines de privation de liberté juste pour quelques temps. Or, les poursuites devraient plus se focaliser sur le recouvrement intégral des sommes ou des biens mal acquis.
Enfin, la non-adoption d’un code minier unique, car le Mali fait coexister quatre codes miniers, faisant perdre d’importantes sommes d’argent à l’Etat malien. Déjà, le jeudi 27 décembre 2018, le président de la Chambre des Mines du Mali, Abdoulaye Pona, dans un discours prononcé lors de la 6 ème session de l’Assemblée consulaire de la Chambre des mines du Mali, avait déploré la coexistence de trois codes miniers au Mali en ces termes : “Depuis longtemps, ce souhait des opérateurs miniers de se voir désormais régir par un seul et unique code minier au Mali tardait à se concrétiser. En effet, trois codes miniers en vigueur dans notre pays ne peuvent qu’apporter du désordre en empêchant la bonne lisibilité dans le secteur. »
Malheureusement, au lieu de l’adoption d’un code minier unique, un tel souhait s’est concrétisé en 2019 avec l’adoption d’un nouveau code minier de plus. Le point de vue d’Abdoulaye Pona est largement partagé par Nouhoum Diakité, coordinateur de Publiez ce que vous payez. En se fondant sur la variation de régimes fiscaux imposables aux sociétés minières contenue dans chaque code minier au Mali, dans un article en ligne paru dans Jeune Afrique, le 18 avril 2016, voici ce qu’il dit en la matière : « Nous avons constaté une baisse progressive d’impôts sur les sociétés minières au Mali. Le code minier de 1999 consacre au trésor malien 35 % de leurs bénéfices, au lieu des 45 % prévus en 1991. Le code de 2012 stipule, lui, un versement de seulement 30 % des bénéfices au trésor malien ». L’adoption d’un code minier unique régissant les rapports entre les sociétés minières et l’Etat malien ayant été difficile à prendre sous les différents régimes qui se sont succédé, c’est sur les autorités de la transition que les espoirs se sont fondés dans l’adoption d’un code minier unique profitable à toutes les parties (Etat, sociétés minières, communautés).
Cependant, en lieu et place de réformes hardies dans l’assainissement des finances publiques et dans la mobilisation optimale des ressources internes (impôt, rentes minières, mise en place des unités industrielles de transformation des matières premières comme le coton), on assiste, ces derniers temps, à des velléités de l’Etat et ses Institutions de vouloir s’adjuger un train de vie exorbitant. Selon l’économiste Modibo Mao Makalou, « le budget de fonctionnement de l’Etat est passé de 70% des dépenses budgétaires dans la loi rectificative 2022 à presque 73% dans le projet loi de finances 2023. » Or, si de telles réformes ne sont pas engagées dans l’urgence, il faut craindre, à très courte échéance, un durcissement et une radicalisation du front social déjà agité.
Somme toute, le recours à l’endettement étant l’option principale des autorités de la transition pour combler les déficits budgétaires, l’on devrait logiquement s’attendre à ce que le Mali s’endette plus en 2023 pour évacuer les passifs des nombreuses revendications syndicales déballées en 2022. Or, de nombreux autres défis se posent aux autorités de la transition en 2023 : la mobilisation de plus de fonds pour la sécurisation du territoire, la réforme du système scolaire, dans un contexte d’une privation mercantilisée de l’école malienne (plus de 200 écoles fonctionnant sans autorisation de création encore moins d’ouverture), la réduction drastique du chômage endémique des jeunes, le renforcement du système de santé en infrastructures, l’accroissement de la fourniture d’eau potable et d’électricité.
Dramane Nikiema
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