« L’illusion bourgeoise la plus profonde et la plus inextirpable, c’est que l’homme est libre,non au travers, mais malgré les relations sociales+ (Cristopher Caudwell, Studies in a Dying Culture, 1938)
La forge d’un rebelle (1)
Edward Palmer Thompson fut un activiste socialiste et pacifiste anglais, considéré comme l’un des meilleurs historiens du 20e siècle. Son œuvre écrite est gigantesque et la littérature sur sa pensée et sa vie est immensément vaste (2). Né le 3 février 1924 à Oxford, il grandit au sein d’une famille de la classe moyenne, méthodiste, avec un énorme capital culturel, dont les contacts politiques convertirent l’entourage familial à une ambiance de libéralisme radical anti-impérialiste, où les réunions avec les visites d’intellectuels ou d’hommes politiques (comme Nehru ou Gandhi) étaient quelque chose d’habituel. « J’ai grandi » - dira Thompson, lors d’un entretien en 1984 – « en pensant que les gouvernements étaient des menteurs et des des impérialistes et en croyant que la position juste consistait à leur être hostile ». Hormis l’influence de ses parents, l’autre grande figure importante dans sa formation fut son frère aîné William Frank, pour qui il avait de l’admiration et de l’envie. Frank était le fils remarquable de la famille, polyglotte et étudiant dans une haute école (Winchester), tandis que Edward étudiait dans une école méthodiste peu reconnue (Kingswood), il ne dominait que l’anglais et se distinguait dans la pratique du rugby. La mère ne cachait pas sa préférence pour l’aîné, tandis que le père considérait Edward comme un puritain (« Il ne buvait jamais d’alcool, sauf du cidre de temps en temps, il détestait la bière et ne touchait pas aux liqueurs. Sa consommation constante de cigarettes n’est qu’un signe de nerfs qui cherchent à se calmer »). L’ambiance universitaire radicalisée des années 1930, à la chaleur de l’antifascisme de cette époque, poussa Frank à s’affilier au Parti communiste de Grande-Bretagne (PCGB) en 1939. Edward le suivit quelque temps plus tard. Comme il le rappellerait des années plus tard, être communiste dans le PCGB de la fin des années 1930 n’avait pas beaucoup à voir avec le fait de suivre des disciplines rigides et orthodoxes de parti, mais embrasser une fraternité internationale qui unifiait les forces contre le fascisme.
La participation du Royaume Uni à la Seconde guerre mondiale interromprait la carrière des deux jeunes écrivains. De ces années, il faut souligner deux faits qui marqueront le caractère et le projet intellectuel de Edward Thompson. Le premier, la tragique mort de son frère en 1944 dans des circonstances peu claires (3). Le second, l’expérience démocratique de l’antifascisme dans la Seconde guerre mondiale, où Thompson – âgé de seulement 21 ans -combattit comme commandant d’une compagnie de chars dans la bataille de Montecassino [Italie, 1943]. La guerre terminée, il collabora comme volontaire à des travaux de reconstruction en Yougoslavie, en Bulgarie et en Hongrie. Son vécu personnel dans le mouvement populaire européen de résistance, où les vieilles divisions de la gauche étaient écartées au profit d’une tâche commune, fut la source fournissant à Thompson la motivation et les ressources intellectuelles avec lesquelles il affrontera ultérieurement un processus de rénovation de la gauche britannique.
De retour en Angleterre, Thompson fut témoin de la victoire écrasante du travaillisme en 1945. Cette même année, il se maria avec une jeune historienne, avec laquelle il avait partagé l’expérience de l’antifascisme en Italie : Dorothy Towers deviendra une historienne reconnue du mouvement chartiste et, en plus d’être la mère de ses trois enfants, serait une sage compagne intellectuelle – une interlocutrice intelligente qui relisait chacun de tous ses travaux. Mais les espoirs de changement révolutionnaire cultivés durant ces années se virent écrasés par l’éclatement de la guerre froide et l’imposition de la doctrine des « zones d’influence ». Le maccarthysme connut aussi une variante britannique (comme il y eut une version similaire du jdanovisme soviétique dans les rangs du PCGB) (4), entraînant de nombreux intellectuels communistes à chercher une issue professionnelle alternative.Ainsi, Thompson finit comme maître pour adultes à la Worker’s Education Association en enseignant la littérature et l’histoire sociale aux travailleurs du West Riding, qui suivaient ces classes sans la promesse d’un emploi ou même d’un certificat officiel. De ses années comme professeur pour adultes, il rappellera toujours ce que supposa pour lui d’entrer en contact avec la culture ouvrière du Yorkshire industrialisé, les relations solidaires qu’il y renontra et ce qu’il put apprendre par ses propres enquêtes (surtout des « attitudes » et « un profond scepticisme envers les rapports officiels ») (5).
Durant ces années, Dorothy et Thompson firent partie du fameux Groupe des historiens du PCGB (6), où ils rencontrèrent deux générations d’historiens très respectés (George Rudé, Christopher Hill, Rodney Hilton ou Eric Hobsbawn, entre autres). L’influence de chercheurs vétérans comme Dona Torr, A.L. Morton ou Maurice Dobbs fonda le modus operandi du Groupe, qui étudia l’histoire comme un processus complexe où les déterminations structurelles n’annulaient pas la capacité créative des sujets et où le moteur du changement social se situait dans les conflits sociaux générés autour du contrôle de l’excédent économique, sans méconnaître le rôle central de la dispute pour les idées (contrevenant en cela à la version officielle du marxisme acceptée dans leur parti). Le texte qui les aura probablement le plus influencé fut The English Revolution 1640, de Christopher Hill en 1940 ; un texte qui déclenchera le fameux « débat sur la transition du féodalisme au capitalisme », où des chercheurs venus de différents pays vinrent confronter leurs modèles d’explication sur les origines du mode de production capitaliste (7). En 1951, le PCGB avait approuvé une nouvelle ligne stratégique nationale – British Road to Socialism – préconisant la construction d’une large alliance populaire qui arriverait au pouvoir par la voie parlementaire. Suite à cette nouvelle orientation, les communistes britanniques examinèrent l’histoire de l’Angleterre en cherchant des sources d’inspiration : c’est ainsi que la grande révolte paysanne de 1381, les Levellers et les Diggers de la Révolution anglaise de 1642, les chartistes et les suffragettes furent vus comme partie d’une « histoire populaire », nourissant d’expériences et de principes les luttes du présent. Il est certain que le Groupe décida de s’organiser comme une équipe de recherche autonome, et non comme un organe supplémentaire du parti, ses travaux ne connaissant pas d’interférence du moment qu’il ne s’avisait pas d’enquêter sur l’histoire du communisme au 20e siècle. Bien que les opinions politiques de ses membres pouvaient ne pas toujours coïncider, il y avait certainement une méthode plus ou moins partagée et une générosité dans les lectures (Dona Torr leur fit connaître des textes de Trotsky interdits par le parti (8), la lecture des Jacobins noirs, du trotskyste C.R.L. James, ainsi que l’œuvre de A. Rosenberg – mais rien de Karl Korsch ou de Gramsci). Ils finirent par forger un marxisme dans une certaine mesure hétérodoxe, qui se révélerait particulièrement fertile pour la recherche historique. Le talent anti-sectaire qui les inspirait permettrait la collaboration d’autres chercheurs non-marxistes, qui culminera dans la création de la revue académique Past and Present (9). L’importance du Groupe dans la vie intellectuelle et politique du pays ne peut être sous-estimée, ce que ne fit pas L’Etat britannique : une récente déclassification des archives du service secret, le MI5, a révélé que les historiens du Groupe avaient été espionnés durant plus de 10 ans avec une intensité révélatrice (on enregistrait leurs conversations téléphoniques, on ouvrait leur courrier et on dressait la liste de leurs contacts) (10).
Immergé dans cette intense activité militante de la guerre froide comme communiste, père, éducateur d’adultes et collaborateur du Groupe d’historiens, Thompson reçut une proposition éditoriale pour écrire une monographie sur la figure de William Morris, ce « révolutionnaire sans révolution » qui l’avait fasciné (11). Bien que cela semble aujourd’hui invraisemblable, Thompson n’avait pas l’intention de devenir historien. Sa vocation consistait à être écrivain, poète et militant communiste, mais durant sa recherche sur Morris il développe un « appétit pour les archives » qui le mettrait sur le sentier de la discipline historique, en même temps qu’il le doterait de ressources pour commencer un processus large et complexe d’autocritique de la tradition marxiste. Pour Edward, le travail d’historien était inséparable de sa vocation politique et il ne s’est jamais considéré comme un professionnel académique. Dans la tradition marxiste, il trouva des outils d’analyse avec une dimension pratique et dans son expérience militante des manières de comprendre la réalité leur permettant de pénétrer plus lucidement dans le passé. Thompson fait partie de ce groupe de scientifiques nous ayant enseigné que l’objectivité et la rigueur maximale dans la recherche ne doivent pas contredire un engagement politique passionné pour transformer la société.
« Le communisme doit récupérer un langage moral » : la fin de « l’esprit de 45 », la guerre froide et la crise internationale du communisme en 1956
Comment le mouvement antifasciste européen a-t-il tant marqué Thompson ? En 1944, l’officier Frank Thompson écrivait dans une lettre à son frère :
« Il y a un esprit en Europe, plus noble et plus précieux que toute autre chose qu’ait connue durant des siècles ce continent fatigué et que rien ne pourra arrêter. C’est la volonté confiante de peuples entiers qui ont connu les plus grandes souffrances et humiliations et qui en ont triompher pour construire leur propre vie une fois pour toute. J’aime penser à lui comme des millions – littéralement des millions – de personnes, jeunes de cœur quel que soit leur âge, complètement maîtres d’eux-mêmes, avec le regard uniquement posé sur ce qui viendra et jouissant de cette vision ».
Il est certain que la période de 1943-1946 (cet « esprit de 45 », comme l’a dénommé Ken Loach) a disparu de manière injustifiée dans l’histoire des gauches (12). Il s’agit ni plus ni moins d’un moment de souveraineté et de mobilisation populaire impressionnante, dont le meilleur héritage furent les parties les plus progressistes du pacte social d’après-guerre. Les premières élections survenues après la Seconde guerre mondiale donnent une image de ce moment : les résultats des partis socialiste et communiste tournaient autour de 40-50 % des suffrages (en Australie, en Suède, en Finlande, en Norvège, en Islande, en Grande-Bretagne, en Autriche, en Belgique, en Tchécoslovaquie, en France, en Italie et, dans une moindre mesure, en Allemagne). Cette force électorale tenta d’entreprendre des transformations sociales, grâce à des réformes agraires, des expropriations, des nationalisations ou des projets de coopératives, et dans certains pays cette force se traduisit dans des constitutions sociales très avancées (13).
En Grande-Bretagne, une puissante tradition de lutte syndicale et de coopérative avait permis au Parti travailliste de gagner plusieurs mairies avant la guerre (pour mettre en route des programmes qui servirent comme « ballons d’essais » pour des politiques étatiques ultérieures (14). Durant la guerre, le Labour Party était entré dans le gouvernement d’union nationale de Churchill, où commença la planification étatique du bien-être (le fameux rapport Beveridge de 1942 permit la création de prestations sociales universelles sans évaluation budgétaire) et en juillet 1945, ce parti – dirigé par Clement Atlee - gagna les élections avec 48 % des votes. Durant la période 1945-1951, les mines de charbon, la production et le trafic du fer et de l’acier, la Banque d’Angleterre, le télégraphe, l’électricité, le gaz, la radio, l’aviation civile, le transport routier et les chemins de fer furent nationalisés. En 1948, fut créé le Service national de santé (NHS), œuvre du ministre de gauche Aneurin Bevan (qui mit aussi en route le plan de logements publics gérés par les mairies), ainsi que l’éducation secondaire gratuite et un nouveau système de sécurité sociale plus progressiste. Pour de nombreux intellectuels socialistes comme Thompson, ce terrain conquis par les classes populaires n’était pas la dernière station (la société socialiste), mais il fut considéré comme un moment d’illusion et un pas nécessaire dans le chemin vers le socialisme (15).
La guerre froide mit fin à ces espoirs. Analysant ce moment dans ses écrits des années 1950, Thompson identifia l’esprit de l’époque : une sorte de « réciprocitdé » entre les blocs (une « dynamique auto-reproductrice ») fit converger les intérêts des deux systèmes de telle manière que leur affrontement servit paradoxalement à maintenir le statu quo. En Europe occidentale, le nouvel establishment, dirigé par les USA et l’OTAN (où l’Angleterre gouvernée par les travaillistes entra en 1949) déclencha une croisade contre toute force politique qui sortait du pacte social, consolida une alliance entre un oligopole médiatique et les principaux partis politiques, et suscita le tournant à droite des syndicats – intégrés par des subventions étatiques, dont la principale et unique tâche consistait à maintenir liés les agumentations salariales avec les croissances de la productivité – et des partis sociaux-démocrates – conçus comme des grandes machines électorales déliées du contrôle des militants qui pourraient servir de remparts contre la « menace communiste ». Le bien-être social fut conquis, mais la démocratisation de la société fut bloquée – y compris constitutionnellement – (un point évident dans le cas britannique, où le technocrate Herbert Morrison obtint que les nationalisations n’impliquent pas une gestion et une administration contrôlées par la population). En Europe de l’Est, Staline apporta sa contribution et une vague de purges décapita les partis dirigeants : de 1948 à 1952, on estime à deux millions et demi le nombre de personnes expulsées des partis communistes (un quart du total) et près de 250.000 furent emprisonnées. Thompson souligna ensuite :
« Ce fut un moment authentique et je ne crois pas que la dégénérescence ultérieure, dans laquelle il y eut deux acteurs – le stalinisme et l’Occident – ait été inévitable. Il est nécessaire de s’en souvenir et de dire que ce moment a existé » (16).
Mais la tempête n’avait fait que commencer pour le jeune communiste britannique (17). Le 5 juin 1956, fut publié en anglais le discours de Khrouchtchev dénonçant les crimes staliniens et le PCGB commença une campagne pour serrer les rangs et conserver son unité interne. Ce même été, Thompson et son collègue John Saville lancent le périodique The Reasoner pour commencer un début d’autocritique qui ne trouvait pas de place dans la presse officielle du parti. Leur objectif consistait à réformer démocratiquement le parti – non à en sortir -, mais ils se heurtèrent au mur de l’orthodoxie. En novembre de la même année, se produit l’invasion soviétique en Hongrie pour réprimer une révolte démocratique et la direction du PCGB demande à ses militants d’appuyer l’intervention soviétique. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Thompson écrit un article incendiaire et magistral – « Through the smoke of Budapest » -, dont la publication lui coûtera une suspension de son affiliation pour trois mois, ce à quoi il répondit en démissionnant. La saignée du parti avait commencé. Le bilan final de ce repli qui bloqua le débat fut le départ d’un tiers des militants. On ne rappelera jamais suffisamment que le principal motif ayant mené Thompson à abandonner le PCGB fut le manque de démocratie interne et de respect du pluralisme dans le parti (18).
Les archives du MI5 (déclassifiées en septembre 2016) ont permis de connaître dans quelle mesure le communisme de Thompson ne fut jamais celui de la pure orthodoxie stalinienne. Depuis son retour en Angleterre, il se montra préoccupé par le repli vers l’intérieur d’un parti qui émettait des messages sur un ton dogmatique et sectaire, qui tentait de transformer les mouvements sociaux en courroies de transmission (« Nous devrions avoir davantage confiance dans les gens et les laisser s’activer ») et dont les décisions étaient prises de manière « arbitraire » et « peu collective » (19). Dans une lettre à son camarade Ramelson, il en arriva à écrire : « Grâce à Dieu, ce comité exécutif n’a pas la possibilité de prendre le pouvoir en Grande-Bretagne. En un mois, il détruirait toutes les libertés de pensée, de conscience et d’expression que le peuple britannique a mis 300 ans à gagner » (20).
Selon Thompson, la corruption du parti était étroitement liée à une dégénérescence théorique de la tradition marxiste, remplaçant l’action consciente de l’individu par de grandes abstractions (« le Parti », « le Communisme », etc.). Thompson comprit que les déterminations restreignant l’ensemble d’opportunités des agents (« nécessité ») ne devaient ni ne pouvaient se réduire au point d’empêcher que puisse exister un espace libre d’action morale où les sujets débattent et choisissent rationnellement, dans le cadre de ces limites, sur comment devraient être les choses (« désir »). Si les individus étaient dépossédés de leur démarche, ils perdaient avec elle la capacité de donner des réponses moralement conscientes à la situation. Le communisme devait donc « récupérer un langage moral » (21).
Dans cette tâche de remoraliser le marxisme, Thompson se joignit aux mouvements intellectuels qui se construisaient des deux côtés du rideau de fer, qui cherchaient une alternative socialiste démocdratique et qui furent connus comme « humanisme socialiste » (parmi eux : le groupe yougoslave Praxis, Leszek Kolakowski, Frantz Fanon, György Lukács (22), Agnes Heller, Eric Fromm ou Herbert Marcuse). Pour l’historien britannique, l’ennemi principal à battre était la dégénérescence économiste du marxiste, son obsession à comprendre la vie culturelle et intellectuelle comme une « superstructure » dérivée mécaniquemnt d’un processus « économique » compris de manière abstraite. Mais l’économisme n’était pas quelque chose d’inévitable dans la tradition marxiste, dira Thompson, mais plutôt le résultat d’un processus de corruption idéologique ayant commencé à la fin du 19e siècle et s’étant consommé dans le stalinisme (23). Il est important d’insister sur le fait que sa rupture avec le parti communiste n’était pas une rupture avec le communisme en général, mais qu’elle se faisait précisément au nom de l’idéal communiste. Il se démarquait par là de quelques ex-communistes passés dans les rangs de la propagande occidentale avec la furibonde conviction du converti (A. Koestler, K. Amis, W.H. Auden et, dans une certaine mesure, G. Orwell), des intellectuels oublieux du « contenu démocratique » que contenait le dévouement altruiste et désintéressé de milliers d’activistes de base (24).
Thompson trouva un dangereux point de convergence entre l’orthodoxie de l’économisme marxiste et celle de l’imaginaire capitaliste. Si, depuis ses origines, le capitalisme avait impulsé une image de l’être humain comme homo economicus (entendant par là que les principales motivations de l’être humain étaient – ou devaient être – des motivations étroitement économiques), le stalinisme ferait quelque chose de pareil en proclamant la priorité de l’« économique » sur le reste des aspets de la vie sociale, ces motivations économiques étant configurées comme « intérêts de classe ». La guerre froide pouvait donc seulement offrir une image déshumanisée de l’être humain comme « automate économique ». Cet automate trouverait des expressions élaborées dans les différents courants intellectuelsde l’époque comme le conductisme, le fonctionnalisme ou le structuralisme, tous « produits idéologiquement modulés d’une époque défaite et désillusionnée » (25).
Pour l’historien britannique, ce processus nécessaire de révision du marxisme avait déjà commencé dans son œuvre sur William Morris. Si Christopher Hill avait avancé dans un article pionnier (1954) (26) que Morris était une « imagination marxiste réinterprétant le vieux rêve doré exprimé dans l’idée des libertés anglo-saxonnes » - c’est-à-dire en le reliant à la tradition républicaine anglaise des Levellers et des Diggers -, Thompson, qui avait lu avec avidité les écrits de Hill, approfondit cette idée. L’alternative à l’« automate économique » de la guerre froide sera le républicain « anglais libre par naissance » (freeborn Englishmen). Et l’alternative à l’économie politique capitaliste pourra seulement être, comme nous le verrons, l’« économie morale » de la multitude et les classes plébeiennes. Thompson cherchait les ressources intellectuelles et morales pour refonder un socialisme démocratique et humaniste et il finit par les trouver dans la culture du républicanisme radical de la fin du 18e siècle.
« A la chasse du renard jacobin » (27)
En août 1959, Thompson connaissait une mauvaise situation financière et il signa un contrat avec l’éditeur Victor Gollanz pour écrire un livre sur l’histoire de la classe ouvrière britannique qui couvrirait la période 1790-1921 et qui aurait approximativement 60.000 pages. Trois années plus tard, il se présenta avec un manuscrit de plus de 1.000 pages que ne couvrait que la période 1790-1830 et qui portait le titre The Making of the English Working Class. Publiée alors qu’il n’était âgé que de 39 ans et considérée comme un jalon dans la discipline historique, cette œuvre le consacra comme un historien reconnu à l’échelle internationale (28).
Dans cette œuvre, Thompson explicite en quoi consiste son objectif : il s’agit d’ « abattre la muraille de Chine séparant le 18e siècle du 19e et l’histoire de l’agitation ouvrière de l’histoire culturelle et intellectuelle du reste de la nation » (29). Pour cela, montrer comment le premier mouvement ouvrier anglais n’était pas formé par la figure rebattue de l’ouvrier en salopette bleue, mais qu’il était composé surtout par des travailleurs ruraux, par des artisans autodidactes de Londres, Norwich ou Sheffield et par des tisserands et des cardeurs manuels du Lancashire ou du Yorkshire. Ce mouvement ouvrier-artisan était l’héritier direct de la pratique centenaire des émeutes de la « multitude » inarticulées et dirigées par des femmes (30). Et il était plus particulièrement l’héritier des pratiques organisationnelles démocratisantes des Sociétés de correspondance jacobines, créées à la chaleur de la révolution française comme un « réveil » des classes basses contre les classes élevées.Thompson récupère dans cette œuvre l’importance qu’eut l’alliance d’une illustration républicaine-radicale avec le premier mouvement ouvrier anglais et reconstruit comment, malgré l’échec des projets démocratiques-radicaux, subsista un profond héritage républicains : « Les Jacobins et les adeptes de Paine disparurent, mais la demande des droits humains commença à se diffuser avec plus d’ampleur qu’auparavant. La répression ne détruisit pas le rêve d’une républicaine anglaise égalitaire » (31). De cette manière, « le mouvement ouvrier des années postérieures continuerait et enrichirait les traditions de la fraternité et de la liberté » (32).A partir de là, Thompson reviendra plus d’une fois au 18e siècle, fasciné par la forme dans laquelle l’illustration et le romantisme anglais consolidèrent une culture plébéienne radicale. Il s’agit, nous dit-il, d’une tradition très éclectique, originale et créative, sans les censures et les pressions de l’Eglise (qui avait été démystifiée dans le siècle précédent) et sans les limitations et la monopolisation de la vie intellectuelle survenue ultérieurement quand la vie intellectuelle est compressée par l’autorité des hiérarchies académiques. Thompson en viendra à s’inspirer (et à s’identifier) au pacifisme international de Thomas Paine, à l’anti-académisme de William Blake, à l’éthique coopérative de Robert Owen, à la république de l’intellect et des droits de la femme de Mary Wollstonecraft, à la pensée libre de William Cobbet ou à la radicalité agraire de Thomas Spence. Ce sera précisément l’étude de cette culture radicale qui lui permettra d’offrir une interprétation du premier mouvement ouvrier comme un « mouvement de résistance à l’annonciation de l’homme économique » (33). Car, comme il le rappellera lors d’une célèbre rencontre télévisée avec l’historien C.L.R. James, « l’offense que suppose le capitalisme pour la majorité des gens ne repose pas seulement sur la clé d’un impérialisme de la pauvreté économique, mais aussi sur la définition des besoins humains en termes économiques étroits » (34).
La manière selon laquelle le mouvement ouvrier continuerait et enrichirait cette tradition passait par une reformulation plus « réconciliée avec les nouveaux moyens de production », qui ne chercherait plus simplement à répartir la terre entre propriétaires individuels, mais un contrôle social coopératif face au fonctionnement « aveugle » de l’économie de marché. Avec cela, il ouvrait non seulement une interprétation historique novatrice qui contournait la « muraille de Chine » entre les traditions radicale et socialiste ; mais il pouvait aussi signaler ce qu’il considérait comme les conséquences désastreuses pour le socialisme anglais d’avoir abandonné, à la fin du 19e siècle, l’idéal et les valeurs de ce républicanisme des sigles antérieurs, en assumant l’économisme préparant le terrain aux deux orthodoxies de la guerre froide déjà mentionnées :
« Ces valeurs jacobines qui ont beaucoup apporté au chartisme déclinèrent dans le mouvement à la fin du 19e siècle, quand le nouveau socialisme transféra l’accent des droits politiques sur les droits économiques. La force des distinctions de classe et de position sociale dans l’Angleterre du 20e siècle est, en partie, une conséquence du manque des qualités jacobines dans le mouvement ouvrier du 20e siècle » (35).
Revendiquer la tradition jacobine au milieu du 20e siècle n’était pas tâche facile, vu que s’était consolidée une interprétation de la Révolution française (à travers les historiens du PCF comme Georges Lefebvre ou Albert Soboul) selon laquelle les démocrates-radicaux ne pouvaient être que des petits-bourgeois ayant, d’une manière ou d’une autre, collaboré à la « révolution bourgeoise » qui a consolidé le capitalisme - et qui devait être dépassée par la véritable « révolution prolétarienne » (36). Dans sa reconstruction des bases républicaines de la tradition socialiste, Thompson défrichait un très intéressant sentier d’enquête dont les meilleurs fruits sont toutefois récents ou restent encore à explorer (37).
Mais The Marking est aussi un solide plaidoyer, montrant que la liberté de la presse, les libertés politiques et civiles ou le suffrage universel ne sont pas un héritage de l’« individualisme bourgeois » (comme certains marxismes se sont acharnés ou s’acharnent à le défendre), mais des conquêtes populaires auxquelles on ne saurait renoncer. Cette préoccupation pour la centralité des droits rapproche à nouveau Thompson de la tradition républicaine dans la mesure où la connexion loi et liberté constitue un élément consubstantiel de cette tradition (38). On ne le voit mieux à aucun autre endroit que dans le chapitre final de son œuvre Whigs and Hunters (1975) où, après avoir analysé l’usage classiste du droit par la classe dominante anglaise au 18e siècle, Thompson se lance dans un excursus sur l’importance de l’ « empire de la loi » (rule of law) pour tout socialiste préoccupé par la liberté. Ainsi, pour Thompson, les luttes pour conquérir des droits se transforment en « un authentique forum au sein duquel se livrent des types déterminés de conflits de classe », de sorte que « l’imposition d’inhibitions effectives sur le pouvoir et la défense du citoyen contre les tentatives intrusives du pouvoir » serait une conquête « qui n’a pas de prix » (an unqualified human good).
L’un des aspects les plus intéressants et les plus polémiques de The Making fut son concept de « classe sociale » (39). Un concept qu’il n’est pas possible de comprendre sans l’inclure dans son projet de rénovation du marxisme et sa lutte contre l’économisme. Pour Thompson, les classes avaient une dimension objective toujours accompagnée d’une dimension subjective :
« Ce que je remets en question, ce n’est pas la centralité du mode de production (et les relations de pouvoir et de propriété correspondant) dans toute compréhension matérialiste de l’histoire. Je remets en question (…) l’idée qu’il est possible de décrire un mode de production en termes ‘économiques’, en laissant de côté comme secondaires (moins « réels ») les normes, la culture, les concepts critiques autour desquels s’organise ce mode de production » (40).
Et, dans la marge d’action laissée par les limites et les pressions déterminantes des situations de classe, la politique se joue en grande mesure, nous dira l’historien, là où se marque la ligne de séparation entre les classes. Pour la politique socialiste, il s’agit précisément de « tracer la ligne, non entre une minorité inconditionnelle mais décroissante et une majorité constante, mais entre les monopolistes et le peuple » (41). Dans cette ligne, dira-t-il des années plus tard : « si l’on est sectaire au point de définir la classe comme étant composée exclusivement de mineurs ou de maçons, on donne la partie comme perdue » (42). Bien qu’on l’ait accusé ultérieurement d’être « populiste », Thompson n’a jamais vu d’incompatibilité entre l’idée de « peuple » et celle de « classe » (43).
La stratégie politique thompsonienne : les conditions matérielles de la liberté, l’Unité de l’Humanité et la critique républicaine de l’Etat
Pour la tradition républicaine millénaire – celle que Thompson découvrit dans l’histoire du premier socialisme -, les individus ne sont libres que s’ils peuvent développer leurs plans de vie sans interférences arbitraires d’autres individus ou entités ; c’est-à-dire s’ils jouissent de la condition d’indépendance/autonomie (« non-domination », selon les mots du philosophe irlandais P. Pettit), une indépendance qui inclut de compter sur les conditions matérielles suffisantes pour que la survie de l’un ne dépende pas des caprices de la volonté de l’autre. Raison pour laquelle cette tradition se consacre à l’élaboration de mécanismes institutionnels et de lois qui empêcheraient la domination des individus par d’autres agents privés (ce que l’on connaît comme dominium), tout en instituant des mécanismes pour contrôler que ces mêmes institutions et lois ne se transforment pas à leur tour en une nouvelle source de domination (imperium). Pour des motifs liés au profond scepticisme avec lequel il considérait qu’il fallait regarder l’Etat, en raison de sa préoccupation pour l’imperium, Thompson appelait « libertaire » la tradition républicaine anglaise des luttes populaires qui cherchait à éviter le dominium et l’imperium, en signalant comme principaux représentants de cette traditions les Levellers, les Diggers, les Jacobins anglais, les républicains irlandais et les chartistes. Raison pour laquelle, hormis le qualificatif de « socialiste humaniste », Thompson aimait se définir aussi comme « communiste libertaire » (44). Ayant à l’esprit à quels mouvements il se référait, je propose que nous traduisions l’expression comme « communiste républicain ». Alors, en quoi consistera la stratégie politique de ce communiste républicain sans parti ? Tout au long de sa truculente et frénétique vie, Thompson passe par différents mouvements politiques au sein desquels ses principes effleureraient les exemples de comment un socialiste du 20e siècle pouvait être républicain.
Le premier de ces mouvements (une fois qu’il ait abandonné le PCGB) fut la New Left. Pour Thompson, les années de gestation de The Marking furent des années d’intense activisme. Il était consterné par ce qu’il considérait comme une rupture générationnelle dangereuse entre une vieille classe ouvrière qui s’était intégrée sans beaucoup de problèmes au consens d’après-guerre (pour une génération qui avait connu l’extrême pauvreté des années 1930, ce n’était pas une moindre affaire qu’entre 1950 et l966 le chômage reste au-dessous de 2 %) et une novelle génération de jeunes rebelles et créatifs, non corsetés par des formes organisationnelles sclérosées (45). Cherchant à faire de nouveau bouger les choses, Saville et Thompson lancèrent, à partir du Yorkshire, une nouvelle revue – The New Reasoner -, alors qu’à Londres un groupe de jeunes socialistes, dirigé par Stuart Hall, avaient créé, par des voies similaires, la revue Universities and Left Review. En 1959, les deux groupes fusionnèrent et coordonnèrent un mouvement connu comme la New Left (46) (la revue s’appellera New Left Review-NLR), qui parvient à s’étendre dans tout le pays : à son moment faste, elle comptait 40 clus et plus de 9.000 souscripteurs. La New Left comptait dans ses rangs des personnalités renommées (Raymond Williams, Ralph Miliband, Alasdair MacIntyre, Raphael Samuel, Gareth Stedman Jones, le syndicaliste Lawrence Daily, l’historienne féministe Sheila Robowthbam, le dramaturge et cinéaste Lindsay Anderson ou l’écrivaine Doris Lessing). Elle organisa une grande partie de la gauche qui ne militait pas dans le Labour, elle dirigea le mouvement pacifiste anti-nucléaire et influença considérablement les débats internes du Parti travailliste. Fin 1961, en pleine euphorie, Thompson envisagea même la possibilité de créer, à partir de la New Left, une plateforme pour les élections nationales (47) ; mais, vu la difficulté à rompre la dynamique des blocs de la guerre froide et aussi en raison de disputes internes (certaines d’entre elles liées au caractère irritable et par moments intraitable de Thompson lui-même), au milieu de l’année 1962, le mouvement avait disparu. La direction de la NLR passa à un jeune homme de 22 ans, Perry Anderson, qui donna un coup de barre à la ligne éditoriale (entre autres, en virant Thompson de la direction). Dès lors, la NLR se mit à donner plus d’importance aux grands débats théoriques et non aux interventions politiques stratégiques, en se consolidant en même temps comme l’une des revues de gauche les plus reconnues et les plus lues. Une rupture avait été consommée entre une « première » et une « seconde » New Left (48).
La concrétisation la plus achevée de la première New Left, en termes d’analyses et de proposition, se trouve dans un long pamphlet, intitulé May Day Manifesto et publié en 1967 sous la direction de Raymond Williams, Stuart Hall et Thompson (une seconde édition faite par William fut publiée en 1968). Son objetif consistait à offrir un nouveau courant de pensée réussissant à unifier de manière systématique les demandes des différentes « campagnes individuelles » (ce qu’aujourd’hui nous appellerions des « mouvements sociaux »), en revitalisant ainsi la proposition d’une société alternative, socialiste et démocratique. Tout en reconnaissant les succès du moment de l’après-guerre, il fut particulièrement lucide pour en identifier les limites et diagnostiquer la quasi-totale capitulation du Labour devant le capital monopolitiste. L’intangibilité de la propriété privée des moyens de production – l’une des vaches sacrées du Pacte – fut mise en relation directique tant avec les poches de pauvreté et d’inégalité existantes (rompant ainsi le mythe selon lequel la société de consommation et des classes moyennes aurait résolu les problèmes de redistribution), ainsi qu’avec l’occupation des principaux lieux de commandement et de pouvoir politique par une fraction d’une petite élite dominante. Le Manifesto diagnostica la rupture de l’ordre économique international qui avait permis une croissance soutenue et une haute rentabilité pour les forces du capital vers 1966-1967, prédisant avec une terrifiante lucidité les conflits syndicaux qui vertébreront la politique britannque dans la décennie suivante. La New Left fut donc pionnière par sa remise en question des limites du pacte social d’après-guerre, raison pour laquelle il serait juste de la voir comme précurseur et inspiratrice des révoltes qui débutèrent en 1968 et, y compris, des courants rénovateurs du Parti travailliste dans les années 1970 (Tony Benn) et actuellement (Jeremy Corbyn). Une idée-force structurait tout le pamphlet : il s’agissait, face à l’employocentrisme et à la conditionnalité des aides du Welfare State, d’assurer le contrôle démocratique sur les ressources matérielles de manière universelle (on critiqua durement l’évaluation des ressources) : il s’agissait de garantir les conditions matérielles de la liberté (49). Mais le mouvement de la New Left échoua et, une fois cet échec consommé, Dorothy et Thompson rejoignirent la section de Halifax du Parti travailliste pour y pratiquer un militantisme « sans enthousiasme ».
Deux ans seulement après la publication de The Making, sa réputation valut à Thompson une offre d’emploi qu’il ne put pas refuser : la direction du Centre d’études en histoire sociale de l’Université de Warwick, récemment créé. A partir de Warwick, Thompson coordonna un important groupe de recherche et organisa divers séminaires avec la participation de personnalités politiques comme son collègue Lawrence Daily (secrétaire général du NUM, le syndicat des mineurs, dont les grèves des années 1970 firent tomber le gouvernement conservateur d’Edward Heath) ou la jeune députée irlandaise Bernardette Devlin (fondatrice de l’Irish Republican Socialist Party). En 1969, Thompson appuya les étudiants de Warwick occupant les facultés pour protester contre la révélation infâme que l’Université collaborait à l’espionnage des professeurs « critiques » et qu’elle avait des archives contenant les dossiers des étudiants « radicaux » (cette affaire fut un scandale national). Bien que Thompson ne se sentit pas particulièrement proche de certains mouvements issus de mai 68 (51), cette rupture a été trop exagérée (on la confond avec son débat avec les althussériens) et on peut trouver sans beaucoup de difficulté des interventions où Thompson adoucissait le ton de sa distance et cherchait des points de convergence (52). Mais son passage à l’Université allait prendre fin. En 1970, il publia un pamphlet dénonçant la marchandisation de l’Université – Warwick University LtD : Industry, Management and the Universities – qui s’avère épouvantablement actuel et qui provoqua un affrontement avec ses supérieurs. Peu après, Thompson renonça à son seul poste universitaire stable et, dès lors, il vécut de ses économies, de ses conférences, de ses publications et du salaire stable de Dorothy (qui avait déjà stabilisé sa carrière académique à l’Université de Birmingham).
Après l’échec de la New Left et l’amertume du débat avec la seconde génération de la NLR, Thompson entra dans une phase d’« isolement » politique » (comme il l’a qualifié lui-même). Ce n’est qu’aux débuts des années 1980 qu’il parviendra à récupérer les infatigables énergies organisatrices pour lesquelles il était connu, cette fois grâce au mouvement pacifiste. Thompson s’était impliqué dans ce mouvement lorsqu’éclata la guerre de Corée en 1950, en dirigeant le Comité pour la paix à Halifax et, après l’essai par le gouvernement britannique en 1957 de la bombe à hydrogène, ave la Campaign for Nuclear Disarmament (CND). En 1979, l’OTAN annonça l’installation de nouveaux lance-missiles au Royaume-Uni et, en réponse à cela, se déclencha un mouvement international où Thompson, laissant de côté ses recherches, joua un rôle fondamental comme dirigeant et comme intellectuel.
Il convient de rappeler que, dans les années 1980, la possibilité d’une guerre nucléaire – au vu de l’interminable et risquée course aux armements, devint non seulement parfaitement vraisemblable, mais même probable (53). Les seigneurs de la guerre et leur interminable armée de bandits intellectuels défendaient la course aux armements comme une bonne stratégie de dissuasion, alors qu’il s’agissait en fait de préparer l’événement belliqueux qu’on attendait se produire à tout moment. Les élites occidentales alimentaient un climat de tension grâce à la manipulation de rapports et d’interventions médiatiques de manière à légitimer non seulement la perte de la souveraineté nationale (déléguée aux USA), mais aussi la coupe des libertés civiles et la répression de la dissidence dans leurs propres pays (cet double mouvement était, pour Thompson, « la structure la plus profonde de la guerre froide »). La seule solution possible envisagée par l’historien britannique consistait dans la création de mouvements nationaux de masse – faisant revivre les meilleurs aspects de l’internationalisme socialiste -, organisés en dehors des grandes organisations centralisées (gouvernements et partis), afin de forcer une sortie unilatérale du conflit en défiant le rival sur le terrain de l’opinion publique (et non plus sur celui des menaces militaires) et rompant ainsi avec les absurdes division de la guerre froide (« Nous devons agir comme si nous étions déjé citoyens européens »). Sa position de non-alignement antincléaire valut à Thompson d’être accusé par la presse soviétique de travailler pour le compte de la CIA et d’être critiqué par un général de l’OTAN (B. Rogers) considérant comme « contre-productif » que les Américains fassent le jeu d’« un certain Thompson » (54). Thompson trouva dans le mouvement pacifiste une actualisation de l’idéal frontpopuliste de sa jeunesse, une affirmation actualisée de l’idée, centrale pour le socialisme, de l’« Unité de l’Humanité », que Thompson avait reconnue, dans The Making, comme un héritage républicain valable de l’internationalisme jacobin.
L’autre front ouvert par Thompson depuis le milieu des années 1970 concernait les profondes transformations juridiques que connaissait le Royaume-Uni (dont l’attaque cotre les jurys populaires). Bien que sa préoccupation pour les droits civils et politiques aient toujours été une constante de son œuvre, le problème s’était accentué après un voyage effectué fin 1976 dans l’Inde de Indira Ganhi (première ministre et fille de Nehru) où Thompson trouva un Etat répressif poursuivant la dissidence intellectuelle et trouvant, pour d’étranges raisons, des appuis dans la gauche radicale européenne. Dès lors, et jusqu’à sa mort, Thompson insista à maintes reprises sur une idée centrale pour la tradition républicaine : l’autorité publique ne justifie pas sa position par elle-même, mais elle la doit à un autre agent qui l’élit comme serviteur public et elle reste donc sujette aux intérêts de ce dernier. Dans une intervention télévisée, Thompson affirma catégoriquement : « Nous n’existons pas parce que l’Etat nous en donne la permission, l’Etat existe pour nous servir » (56).
Face à ce qu’il considérait comme les illusions étatistes du Labour, l’historien britannique affirma :
« Le mouvement ouvrier doit redécouvrir ce qu’on savait déjà au 19e siècle – que l’Etat doit être obligé à subir le contrôle humain et être démocratisé (…). Peut-être dans les 30 prochaines années, quelques-unes de nos plus grandes luttes seront liées à la pratique et au contrôle démocratique de ce qui est déjà une puissante machine étatique » (57).
Ce « choix oublié » devint fondamental pour Thompson à un moment où le néo-libéralisme de Margaret Thatcher réalisait de profondes réformes de l’appareil d’Etat, bien que cela implique la désobéissance civile :
« Nous devrions récupérer cette tradition démocratique qui nous a été confisquée, la porter au cœur de notre mouvement. Parce que si nous ne le faisons pas, nous courrons le danger de tomber dans cette théorie de l’Etat répressif, selon laquelle nous devons nous opposer à toute loi, à toute police, à tout appareil d’Etat. (…) Je ne m’oppose pas à toute loi en général. Il y aura toujours des lois. Ce que nous devons combattre, ce sont les mauvaises lois, l’imposition et l’administration classiste de la loi. Mais nous devons aussi briser la loi là où (…) nous sommes obligés de le faire » (58)
Et bien que les bonnes lois soient quelque chose de nécessaire, pour l’historien britannique, elles ne sont pas une condition suffisante de la liberté. A ce propos, il est intéressant de lire le pamphlet – Fascist Threat to Britain – qu’écrivit Thompson, à l’âge de 23 ans, et se terminant ainsi : « Ne nous contentons pas des lois. L’unique sauvegarde de nos libertés, si nous voulons empêcher de plus grandes guerres et brutalités, c’est la vigilance constante et éveillée de tout le peuple ».
Ce programme thompsonien de facture républicaine a insisté particulièrement sur le besoin pour les gens de s’auto-organiser de manière démocratique :
« Personne – ni l’avant-garde marxiste, ni l’administrateur éclairé, ni l’humaniste tyrannique – ne peut imposer d’en-haut une humanité socialisée. Un Etat socialiste peut un peu profiter des ‘circonstances’ qui encouragent l’homme social et découragent l’homme acquisitif, qui aident les gens à construire leur propre communauté égalitaire, selon leur propre manière. (…) Le socialisme peut amener l’eau dans la vallée, mais il doit donner la vallée aux porteurs d’eau, car cela portera ses fruits » (59).
Par conséquent, l’expression institutionnelle devra se traduire par une décentralisation du pouvoir administratif, conjuguée à des formes plurielles de propriété (comme l’avait défendu la New Left, en recueillant une tradition britannique qui va des premiers Trade Unions jusqu’au Guild Socialism de G.D.H. Cole) :
« On désirerait voir ce qui peut s’appeler contrôle par les travailleurs, ou une meilleure autonomie, moins d’unités de contrôle ; l’industrie publique sous une forme coopérative, ou des corporations contrôlées par les municipalités. Et que tout cela suscite peut-être une croissance de la conscience locale et régionale. Mais pour des accords économiques, culturels et légaux à plus grande échelle, tu devras établir des accords qui fassent le pont » (60).
Interrogé lors d’un entretien à la fin de sa vie sur quel type d’organisation pourrait mener à bien ces projets, Thompson ne renonçait pas à la forme du parti politique :
« La soupe continue à bouillir. Je crois que peut exister un nouveau type de formation, qui sera une sorte de socialisme plus frais, et je pense qu’il doit mettre beaucoup plus d’emphase sur les processus démocratiques que ce que nous avons vu dans le Parti travailliste ou dans le Parti communiste » (61).
A la fin des années 1980, Thompson commença néanmoins à avoir des problèmes de santé, et ses dernières années seront une course contre la montre pour publier des recherches auxquelles il aurait aimé vouer plus de temps et de soins. Costumbres en común est précisément l’une d’entre elles.
Quelque chose de plus que la loi et l’Etat : l’idée de culture populaire dans Costumbres en común
Costumbres en común peut être considéré comme l’œuvre la plus achevée de Thompson. Il réunit plusieurs articles sur lesquels il travaillait pratiquement depuis les années 1950 lorsqu’il recueillait des matériaux d’archive pour The Making (un travail qu’il continua avec l’aide de Eward Ernest Dodd, son assistant personnel de 1964 à 1979, sans lequel une partie de cette tâche archivistique encyclopédique aurait été impossible. Dans cette œuvre, à la différence des autres, Thompson n’étudia pas tant les processus et la logique du changement, mais les états de conscience passée et les environnements culturels : selon ses prores mots, il était davantage centré sur l’« être » que sur l’« arriver à l’être » (62). Durant les années où il réussit à terminer ses recherches, sa réputation d’historien fut accompagnée d’un degré élevé à la critique émanant de ce qu’il considérait comme une corporation « assez conservatrice » : le lecteur put percevoir comment le ton enthousiate et vibrant de The Making laisse place à une prose certes ferme, mais plus prudente et blindée par un appareil étendu de références bibliographiques (63).
Alors, quelles sont les principales problématiques abordées dans cette œuvre ? La première de toutes, une discussion avec l’historiographie anglaise du 18e siècle qui continuait à considérer de manière classiste et paternaliste les modes de vie des classes populaires. Pour cela, Thompson malmène une compréhension des sociétés précapitalistes comme des sociétés absolument verticales et stables (il n’y eut pas un seul bosquet ou zone de chasse sans « quelque épisode dramatique de conflit autour du droit communal au 18e siècle ») et mit au rancart, en même temps, l’idée qu’il existait pas de capitalisme jusqu’à la révolution industrielle. A l’origine, le capitalisme est agraire et commercial, nous rappelle Thompson, s’appuyant sur Maurice Dobb et Robert Brenner, et son concept-étoile d’« économie morale » désigne précisément l’ensemble des valeurs et des règles que, vêtues ave la rhétorique de la coutume, les classes subalternes firent valoir pour résister aux attaques de dépossession et de privatisation de l’économie politique capitaliste contre les biens communs et le droit communal. Un conflit qui, pour Thompson, était loin d’être fini (64). Une bonne preuve de cela, c’est que depuis la publication de Costumbres en común la littérature sur les biens communs a alimenté infatiguablement la pensée anticapitaliste (65).
D’autre part, Thompson donne un contenu à son concept de « culture plébéienne », en lui rendant ce qu’il a dénommé son « domicile matériel », c’est-à-dire la réciprocité des rapports de classe histoirquement déterminés, où la multitude ne s’identifie pas sans ambages à la culture officielle, ni n’a pas non plus la force suffisante pour pouvoir défier les limites qui la subordonnaient à la classe patricienne. La classe dominante du 18e siècle anglais maintenait son pouvoir par une hégémonie culturelle où les rituels théâtraux du pouvoir naturalisaient cette domination ; celle-ci n’était jamais acceptée dans ses propres termes, mais réinterprétée et disputée par les opprimés, générant un complexe « chant de forces » (66). Thompson trouva à nouveau, comme il le fit dans The Making, les fils de la continuité entre la culture populaire et le mouvement ouvrier du 19e siècle. Parce qu’une partie de cette culture populaire – où le peuple contrôlait la taverne, les fêtes, l’apprentissage des offices, les savoirs ancestraux, les sanctions et les échanges, les formes de rébellion – sera utilisée ensuite par un mouvement ouvrier maintenant différencié par sa conscience d’être une classe aux intérêts opposés et irréconciliables avec ceux de ses employeurs (et de la classe politique qui les défend).
L’autre grand champ de bataille consistait à remettre en question les supposées théories du développement, selon lesquels la Révolution industrielle et l’élimination des droits communaux supposaient une amélioration dans la qualité de vie des Anglais par rapport aux périodes antérieures. Loin d’être le cas, pour l’historien britannique, les classes populaires expérimentèrent cette « grande transformation » (comme l’appellerait Polanyi) (67) comme une perte de leurs libertés traditionnelle et lui opposèrent d’innombrables formes de résistance. Dans ce grand conflit, nous dit l’historien britannique, une grande place est occupée par le processus de « chosification » du droit - « On ne concevait plus les droits communs comme des choses, mais les droits des personnes sur les choses, articulées comme des pratiques effectives de consommation, de commerce et d’échange » - qui imposa par la force une notion capitaliste de propriété et à laquelle la multitude opposa ses propres notions de droit (68). Et Thompson avertit que, de la même manière dont ce concept absolu de propriété exclusive de la terre fut exporté aux colonies pour justifier le pillage et l’exploitation des populations indigènes, au 20e siècle les théories du développement continuaient d’être utilisées pour saigner et voleer les pays du dénommé « Tiers Monde ». Dans ces batailles, l’historien britannique lança une estocade mortelle à la thèse connue de Garret Harding et de sa « tragédie des communs » (69), selon laquelle si les ressources matérielles ne se gèrent pas au travers de la privatisation (avec une propriété privée exclusive et excluante), elles sont alors condamnées à l’abus et à la surexploitation des parasites (free riders). Thompson se situe ainsi aux côtés d’autrices comme Elionor Ostrom ou Janet M. Neeson (70), qui nous ont enseigné que les terres communes n’étaient pas des lieux chaotiques et sans normes, mais exactement le contraire : des systèmes complexes de normes aux racines centenaires où se garantissait le droit à l’existence d’un groupe déterminé d’habitants et qui se faisait de manière soutenable dans le temps (71).
En ce sens, le grand protagoniste de Costumbres en común est l’article intitulé « La economia ‘moral’ de la multitud en la Inglaterre del siglo XVIII ». Bien que, dans cet articcle, Thompson délimite le « sens étroit » du concept d’« économie morale » aux émeutes de subsistance, il reconnaîtra aussi qu’il ne se voyait légitimer par « aucun droit d’auteur sur l’expresion » et signalera que plusieurs historiens avaient employé ce terme pour désigner comment des communautés paysannes ou proto-industrielles déterminées régulaient les rapports « économiques » avec des normes non-monétaires (72). Il est certain que Thompson avait lui-même employé ce concept pour expliquer les sanctions économiques et les attentes partagées servant de normes pour les biens-fonds et y compris pour le savoir professionnel d’artisans conscient du fait que s’ils étaient déqualifiés ils entreraient sur les marchés du travail récemment créés avec une force négociatrice moindre (73). Le concept d’« économie morale » a montré sa fertilité en permettant à différents historiens d’aborder tout à quoi l’économie orthodoxe était restée aveugle, d’une certaine manière en rendant à l’analyse économique la substance qu’avaient les premières recherches d’économie politique antérieures au courant marginaliste de la fin du 19e siècle (74). En résumé, ce que Thompson examine dans cette œuvre, c’est – selon ses propres paroles – la « dialectique de l’interaction entre ‘économie’ et ‘valeurs’ », en reprenant ainsi la critique à l’économisme d’œuvres antérieures.
Les rapports économiques sont en même temps des rapports moraux ; les rapports de production sont en même temps des rapports d’oppression ou de coopération entre personnes ; et il existe une logique morale, à l’égal d’une logique économique, dérivant de ces rapports. L’histoire de la lutte de classe est en même temps l’histoire de la moralité humaine (75).
En adoptant l’optique de « l’histoire d’en bas » - en sauvant les voix et les témoignages des opprimés et traditionnellement oubliés -, Thompson put découvrir qu’une fois les cadres juridiques paternalistes de l’Angleterre précapitaliste liquidés, ce fut grâce aux coutumes que purent survivre les idées morales sur la régulation de l’activité économique. En dernière instance, l’ « économie morale » des pauvres renversa la grande « muraille de Chine » qui avait empêché de comprendre le mouvement socialiste comme l’héritier de la tradition républicaine-démocratique. C’est pour cela que Costumbres en común peut être considéré comme un approndissement complétant les trouvailles de The Making.
Et ce fut précisément cette optique qui lui permettait de voir la « loi » comme un champ de bataille – auquel s’ajoutait une idée de la « culture » et des « coutumes » où les vieilles valeurs peuvent survivre sous des formes nouvelles – Thompson proposa quelques clés pour répondre à un problème qui l’accompagna toute sa vie : comment expliquer la réalité de manière à ce que, sans renvoyer à un passé idéalisé ou à un futur inconnu, et sans perdre l’objectivité nécessaire qu’implique sa propre discipline, se montrent en même les ressources disponibles dans notre présent pour transformer cette même réalité ? Parce que la Révolution industrielle a supposé une révolution dans les « attentes » des gens et a créé de nouveaux besoins, l’alternative au capitalisme devra « réapprendre quelques-uns des arts de vivre perdus ». Peut-être alors cette culture populaire qui a résisté au capitalisme – priorisant le temps libre sur la recherche du bénéfice maximum – aura pourtant quelque chose à nous enseigner, et un rappel « de ses autres besoins, attentes et codes peut rénover notre sens de la série de possibilités de notre nature » (p. 28).
Thompson aimait dire que l’énorme concentration de la propriété que connaissait le capitalisme avancé rendait presque non-nécessaire la censure des voix dissidentes, parce que le jeu des intérêts suffisait à faire que les véritables questions (des questions comme : « Quelle vie voulons-nous vivre ? » ou « Vers où nous dirigeons-nous comme société ? ») ne furent jamais posées et n’eurent jamais de réponses (76). Alors, plus de 25 ans après sa mort, face à la Bête d’un capitalisme contreréformé qui a fini par liquider le pacte social d’après-guerre, qui alimente et promeut la vague réactionnaire secouant le monde, et dont l’insatiable voracité marchandise toujours davantage d’espaces de la vie humaine et menace de dilapider, de manière irréversible, les ressources de la planète, Thompson nous invite pourtant à repenser le pari anticapitaliste à partir d’une culture populaire innovatrice. Une culture politique sauvant le meilleur de la tradition démocratique et socialiste (au sens large qu’avait ce mot au 19e siècle), qui trace les mécanismes institutionnels pour garantir universellement et inconditionnellement le droit à l’existence, qui permette d’assurer d’une manière juste les besoins de soins des personnes, qui récupère la dimension écologique des biens communs, qui subordonne les droits de propriété aux règles définies démocratiquement en vue du bien commun et qui suscite les impulsions sociales en désactivant les impulsions « acquisitives ». Car « si nous ne pouvons pas croire à l’existence d’une culture populaire créative et innovatrice, alors nous ne pouvons pas croire à la démocratie dans l’absolu » (77). Thompson nous invite, en somme, à avoir le courage de rouvrir les vraies questions, parce que, pour paraphraser ses propres mots, « ce n’est pas une question que nous pouvons faire à l’histoire. Cette fois, il s’agit d’une question que l’histoire nous fait » (78).
Julio Martínez-Cava (membre du comité de rédaction de la revue Sin Permiso)
Barcelone, février 2019
Notes
1) Jordi Mundó, David Casassas et Pablo Castaño ont eu l’amabilité de réviser et de corriger une ébauche préalable de ce texte. Toute la responsabilité de son contenu final m’incombe.
2) Nous nous limiterons à signaler ici quelques références pouvant servir de guide aux lecteurs. Pour un choix de texte très représentatifs de sa pensée, cf. la compilation réalisée par sa femme Dorothy, E.P. Thompson, Obra esencial. Barcelona, Crítica, 2002. La liste la plus complète de ses écrits se trouve chez A. Llacuna, « E.P.Thompson. Un comentario bibliográfico », in : J. Sanz, J. Babiano y F. Erice (eds.). E.P. Thompson. Marxismo y Historia social. Madrid, Siglo XXI, 2016. Une reconstruction fine de la trajectoire intellectuelle de Thompson peut être trouvée dans S. Hamilton, The Crisis of Theory. E.P. Thompson, The New Left and the Postwar British Politics. Manchester, Manchester University Press, 2011. Une étude solidement documentée, reconstruisant les rapports complexes entre l’activisme politqiue de Thompson et ses développements théoriques peut être ttrouvée chez C. Efstathiou, E.P. Thompson. A Twentieth-Century Romantic. Londres, Merlin Press, 2015. Une bonne analyse de la formation intellectuelle de Thompson, selon une méthodologie bourdieusienne, est celle de A. Estrella, Clío ante el espejo. Un socioanálysis de E.P. Thompson, Cádiz, Universidad de Cádiz, 2012. L’œuvre classique (quasi-biographique) de B. Palmer reste une référence obligée : E.P. Thompson. Objeciones y oposiciones. Valencia, Universidad de Valencia, 2004. Malheureusement, par décision familiale, les archives de Thompson avec sa correspondance et d’autres documents sont fermées jusqu’en 2043, bien qu’une partie de cette correspondance se trouve dispersée dans les différentes archives d’universités anglaises. La réception de l’œuvre de Thompson en Espagne fut tardive, mais eut un impact considérable. Sa principale œuvre, The Making of the English Working Class (publiée en 1963) ne fut traduite en Espagne qu’en 1977 (Editorial Laia). Dans ce processus de réception, il convient de mentionner l’imprescriptible et précieuse tâche de Josep Fontana, qui obtint la publication d’une grande partie de l’œuvre de Thompson par la maison d’édition Crítica (Barcelone), sous la direction de Gonzalo Pontón. Cf. Miseria de la teoría, 1981 ; Tradición, revuelta y consciencia de clase. Estudios sobre la sociedad preindustrial, 1984 ; La formación de la clase obrera in Inglaterra, 1989 ; Costumbres en común, 1995 ; Agenda para une historia radical, 2000 ; et l’anthologie de texte citée antérieurement. Récemment, la figure de Thompson a suscité davantage d’attention chez le public de langue hispanique et quelques-unes de ses œuvres ont été rééditées ou traduites pour la première fois en castillan (cf., en plus de cette réédition, Los orígenes de la ley negra. Un episodio de la historia crdiminal inglesa. Madrid, Siglo XXI, 2010 ; La formación histórica de la clase obrera in Inglaterra. Madrid, Capitán Swing, 2012, prólogo de Antoni Domènech ; ou E.P. Thompson, Democracia y socialismo [compilación y edición crítica de Alejandro Estrella]. México, UAM, Unidad Cuajimalpa, 2026). Pour approfondir le legs de Thompson dans l’historiographie espagnole, le lecteur peut consulter l’anthologie E.P. Thompson, Marxismo y historia social, op.cit.
3) Avec l’aide de sa mère, Thompson recueillit les lettres, les écrits et les poèmes de son frère, qui furent publiés sous le titre : There is a Spirit in Europe : a memoir of Frank Thompson. Londres, Golancz, 1947. A la fin des années 1970, il entreprit une enquête sur les circonstances suspectes de la mort de son frère, en publiant les conférences de manière posthume dans l’une de ses œuvres les plus intéressantes (mais peu connues) : Beyond the Frontier : the Politics of a Failed Mission, Bulgaria 1944. Standford, Standford University Press, 1997.
4) On peut s’imaginer les difficultés qu’affrontaient les scientifiques sociaux dans une ère aussi polarisée. Tandis que Staline incluait dans ses premières purges les institutions académiques liées à la discipline historique (cf. Pierre Broué, Comunistas contra Stalin. Masacre de une generación. Málaga, SEPHA ; 2008), les Etats-Unis finançaient à coups de millions des fondations travaillant à favoriser « un virage à droite dans l’enseignement des sciences sociales », afin de pouvoir contrecarrer l’avancée de l’histoire sociale que dirigeaient Thompson et d’autres historiens (cf. J. Fontana, La historia después del fin de la historia. Barcelona, Crítica, 1992).
5) Cf. le documentaire « Rear Window : A Life of Dissent. The Life and Work of E.P. Thompson », sur Tariq Ali Tv (disponible sur : http://tariqalitv.com/porfolio/s2e23-e-p.thompson)
6) Pour l’histoire du Groupe d’historiens, cf. H.J. Kaye, The British Marxist Historians. Houndmills, Palgrave Macmillan, 1995.
7) Cf. K. Tribe, Genealogies of Capitalism. Londres, Macmillan, 1981. Un résumé de ce fameux débat peut être lu chez E.M. Wood, The Origins of Capitalism. A Longer View. Londres, Verso, 2002.
8) Durant ces années, Thompson fut particulièrement sensibles aux lectures de Trotsky et d’Isaac Deutscher, dont il s’inspira pour ses critiques postérieures au stalinisme (jusqu’en 1958, les écrits du jeune Marx – qui influencèrent tant ces processus de rénovation « humanistes » des gauches – n’avaient pas été publiés en anglais). Son respect pour les grands intellectuels trotskystes ne devrait pas cacher son dédain pour le dogmatisme professé par les différents groupes trotskystes britanniques (cf. les opinions de Thompson, par exemple, dans « El humanismo socialista. Une epístola a los filisteos », 1957, ou dans Miseria de la teoria, 1978.)
9) Past & ; Present est l’une des revues académiques les plus importantes sur le champ historiographique, toujours en vie. Dès ses origines, elle s’autofinança et tenta d’éviter le sectarisme autocomplaisant, raison pour laquelle elle institua comme norme que le comité éditorial devait inclure plusieurs personnes non-marxistes avec capacité de veto sur les articles et que les articles devaient être acceptés à l’unanimité par le comité. Comme le dirent ses créateurs, « nous tentons de continuer, ou de revivre, dans la période d’après-guerre les politiques d’unité au sens large que nous avions apprises dans les jours de l’antifascisme avant la guerre » (C. Hill, R.H. Hilton, E.J. Hobsbawn, « Past and Present. Origins and Early Years », Past and Present, No. 100 (août 1983), pp. 3-14.
10) Thompson fut espionné depuis son passage dans l’armée, en 1943, jusque vers plus ou moins 1963. Tous les historiens décédèrent avant de connaître l’existence de ces archives, excepté Hobsbawn, qui demanda d’y accéder, ce qui lui fut refusé, deux ans avant sa mort. Cf. R. Norton-Taylor, « MI5 spied on leading British historians for decades, secret files reveal », The Gardian (24 octobre 2014). Disponible sur : https://www.theguardian.com/world/2014/oct/24/mi5-spied-historians-eric-hobsbawm-christopher-hill-secret-files (dernier accès : 4 février 2019).
11) William Morris. De romántico a revolucionario. Valencia, Ediciones Alfonso el Magnánimo, 1988 [1955].
12) W. Abendroth, Historia social del movimiento obrero europeo. Barcelona, Cultura Popular, 1968 ; G. Eley, Historia de la izquierda en Europa, 1850-2000. Barcelona, Crítica, 2003.
13) Pour l’histoire de ces « naissances » de constitutions, cf. G. Pisarello, Un largo Termidor. Historia y crítica del constitucionalismo antidemocrático. Madrid, Trotta, 2011.
14) Une histoire sociale de la classe ouvrière britannique et de ses conquêtes législatives se trouve dans l’essai monumental de Selina Todd, El pueblo. Auge y declive de la clase obrera (1910-2010). Madrid, Akal, 2018 [2015].
15) « El punto de producción » [1960], in : Democracia y socialismo, op.cit. pp. 360-361
16) Cf. l’entretien réalisé par Josep Fontana, lors de la visite de Thompson en Espagne dans les années 1980 : « Sobre història, socialisme, lluita de clases i pau (Conversa amb E. P. Thompson) », L’Avenç, 74, septiembre de 1984. On peut trouver une appréciation très similaire du momentum démocratique de 1943-1947 chez G. Lukács, El asalto a la razón. Barcelona, Grijalbo, 1976, epílogo, p. 618.
17) L’une des meilleures explications de l’événement se trouve chez J. Saville, « The Twentieth Congress and the British Communist Party », The Socialist Register, 1976, pp. 1-23 ; avec un complément chez J. Saville, « Edward Thompson, the Communist Party and 1956 », The Socialist Register, 1994, pp. 20-31.
18) « Je suis contre la théorie et la pratique du centralisme démocratique tel que le pratiquent les partis communistes. Je crois que toutes ces jolies phrases se réduisent finalement au contrôle d’une élite sur tout le monde » (lettre de Thompson à Howard Hill, 10 décembre 1968, Archivo Nacional, KV-2-4294 (164.2). Cf. aussi l’entretien de A. Whitehead (1991), disponible sur : https://www.andrewwhitehead.net/political-voices-ep-thompson.html. Bien que Thompson ne ménageait pas les critiques acides, il réservait son artillerie pour le Parti travailliste, dont il dit qu’il était « absurdement, ouvertement antidémocratique » et qu’il pratiquait « une chose bien pire que le centralisme démocratique, le ‘centralisme imbécile’ (imbecilic entralism) ».
19) Cf. particulièrement The National Archives (United Kingdom), KV-2-424, 44A et 45A (20 mai et 10 juin 1952). Malgré cela, dans sa première édition de William Morris (1955), Thompson écrivit que l’Union Soviétique de Staline représentait la réalisation des principes de Morris (un passage éliminé dans la réédition de 1976). Cette contradiction ne fut pas résolue jusqu’à la rupture de 1956. Ce qui paraît arbitraire, non seulement parce qu’existent des critiques marxistes au stalinisme, quasiment depuis sa création (cf. un article de A. Domènech, « El experimento bolchevique, la democracia y los críticos marxistas de su tiempo », Sin Permiso, 15, 2017, et dans la préface de F. Fernández Buey à A. Pannekoek, K. Korsch y P. Mattick, Crítica del bolchevismo. Barcelona, Anagrama, 1976), mais parce que la Yougoslavie de Tito, où Thompson avait travaillé comme volontaire, avait été condamnée par Staline en 1948. Thompson reconnaîtra dans plusieurs entretiens et articles que lui et ses collègues géraient de manière incommode leur conscience de ce qu’était réellement le stalinisme.
20) Cité dans M. Davis, « ’Los principios comunistas’ y los historiadores en el 1956 británico », Nuestra Historia, 2 (2016), pp. 123-130.
21) « Acción y elección. Una respuesta a la crítica » [1958], in : Democracia y socialismo, op.cit., p. 255.
22) La comparaison avec Lukács n’est pas fortuite, car les deux penseurs insistèrent sur ce que Thompson nomma « l’idée centrale du socialisme » : l’être humain est capable de se transformer soi-même en un sens moral, au-delà de l’aveugle nécessité économique ; l’idée socialiste ne peut se réduire à la socialisation des ressources productive, mais doit aussi consister en une transformation radicale du mode de vie. Lukács disait que faciliter ce « nouveau type humain » était quelque chose de nécessaire, parce que « personne ne se convertit au socialisme dans la perspective de posséder une automobile, surtout s’il en a déjà une dans le système capitaliste » (cité dans M. Sacristan, « Sobre el ‘marxismo ortodoxo’ de György Lukács » [1971], in : Nous Horitzons, 218, 2018). Thompson manifesta son admiration pour le philosophe hongrois : « Tant que la tradition communiste abrite des hommes comme celui-ci, je veux continuer à y être associé » (« El socialismo y los intelectuales » [1957], in : E. P. Thompson, Democracia y socialismo. Ciudad de México, siglo XXI, 2016). Thompson reçut aussi l’influence d’un autre grand marxiste occidental, A. Gramsci, bien que sa découverte fut – selon ses propres mots – tardif, moyen et incomplet.
23) Une dégénérescence s’appuyant sur certains « silences » adoptés par Marx par rapport à des questions culturelles et axiologiques. Cf. particulièrement les articles parus dans Democracia y socialismo, op.cit., et l’entretien avec Fontana, op.cit.
[24] Thompson offre une analyse de critique politique et littéraires de ces tendances in : « Outside the Whale », Out of Apathy. Londres, Stevenson and sons, 1960 [il existe une traduction espagnole : G. Orwell y E. P. Thompson, Dentro y fuera de la ballena, Madrid, Editorial Revolución, 1984].
25) « Agenda para una historia radical », in : Agenda para una historia radical, op.cit.
26) C. Hill, « The Norman Yoke », in : J. Saville (ed.), Democracy and the Labour Movement. Londres, Lawrence and Wishart, 1954.
27) C’est précisément le titre de l’essai (publié à titre posthume) sur la figure du jacobin anglais J. Thelwall, in : E. P. Thompson, The Romantics. England in a Revolutionary Age. New York, The New Press, 1997.
28) Cf. la nécrologie de E. Hobsbawn dans l’édition espagnole La formación de la clase obrera en Inglaterra, op. cit.
29) Op. cit., p. 127.
30) Le lecteur peut se demander quel rôle jouait la femme dans l’historiographie thompsonienne. Il est certain que Thompson ne négligea jamais l’exploitation féminine et, dans ses premiers écrits, on peut détecter cette préoccupation. Mais cela ne lui évita pas que sa grande œuvre, The Making, fasse l’objet de plusieurs critiques provenant du féminisme, qui signalaient le manque d’une perspective de genre articulée dans l’analyse de la formation de classe. Que ce soit en raison de ces critiques ou parce qu’aucun intellectuel honnête ne pouvait rester en dehors du renouveau féministe de la seconde vague, il est certain que depuis les années 1970 nous pouvons enregistrer une sensibilité et une attention particulière sur ce thème (quelque chose que l’on percevra facilement dans Costumbres en común et dans Agenda para une historia radical).
31) Ibíd. p. 541.
32) Ibíd. p. 208.
33) Las peculiaridades de lo inglés y otros ensayos. Valencia, Centro Francisco Tomás y Valiente, 2002 [1965].
34) Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=MI7n7M6nAOA.
35) Ibíd. pp. 209-210 y 885.
36) L’historienne Florence Gauthier et ses collaborateurs, tirant de l’oubli A. Mathiez, ont solidement liquidé ce schéma orthodoxe. Cf., par exemple, F. Gauthier, « La importancia de saber por qué la Revolución Francesa no fue una ‘revolución burguesa’ » (2014 [1997] disponible sur : http://www.sinpermiso.info/textos/la-importancia-de-saber-por-qu-la-revolucin-francesa-no-fue-una-revolucin-burguesa ; Y. Bosc et M. Belissa, Robespierre. La fabrication d’un mythe. Paris, Ellipses, 2013. Un coup prémonitoire à ce schéma rigide se trouve chez Thompson, Las peculiaridades de lo inglés, op.cit.
37) A. Domènech, El Eclipse de la fraternidad. Una visión republicana de la tradición socialista. Barcelona, Crítica, 2004 [prochaine réédition à Madrid, Akal, 2019] ; S. White, « The Republican Critique of Capitalism », Critical Review of International Social and Political Philosophy, vol. 14 (5), 2011, pp. 561-579 ; A. Gourevitch, From Slavery to the Cooperative Commonwealth. Cambridge, Cambridge University Press, 2014 ; Roberts, W. C. Marx Inferno. The Political Theory of Capital. Princeton, Princeton University Press, 2016 ; B. Leipold, Citizen Marx. The Relationship between Karl Marx and Republicanism. Oxford, Thèse de doctorat, 2017.
38) Pour les républicains, tout omme pour Thompson, la liberté est dans une relation constituve avec la loi, c’est-à-dire qu’il n’y a pas moins de liberté parce qu’il y a une régulation publique, mais les régulations publiques sont créatrices de la liberté (cf. P. Pettit, El republicanismo. Una teoría sobre la libertad y el gobierno. Barcelona, Paidós, 1999 [1997] et A. Domènech & ; M. J. Bertomeu, « El republicanismo y la crisis del rawlsismo metodológico », Isegoría : Revista de filosofía moral y política, 33, 2005, pp. 51-76). L’influence de la tradition républicaine sur la pensée de Thompson a été signalée (au passage) par M. Kenny dans The First New Left : British Intellectuals after Stalin. Londres, Lawrence & ; Wishart, 1995 ; aussi, de manière plus abondante mais selon une conception étroite et extraordinairement limitée de cette tradition, chez G. Foot, The Republican Transformation of Modern British Politics. Basingstoke, Palgrave, 2006.
39) Sur ce concept, on a déversé des flots d’encre que nous ne répéterons pas ici. Une bonne défense se trouve chez E. Meiksins Wood, « The Politics of Theory and the Concept of Class : E.P. Thompson and His Critics », Studies in Political Economy, 9:1, 1982, pp. 45-75 et chez X. Domènech, Hegemonías. Crisis, movimientos de resistencia y procesos políticos (2010-2013). Madrid, Akal, 2014. Ma propre version sur « La actualidad del concepto marxista de ‘clase social’ » (disponible online : http://www.sinpermiso.info/textos/la-actualidad-del-concepto-marxista-de-clase-social)
40) « Historia y antropología », Agenda para una historia radical, op. cit., p. 39.
41) « Revolución » [1960], in : Democracia y socialismo, op.cit., p. 365 [1960].
42) « Recovering the libertarian tradition », Leveller Magazine, 22, 1979, pp. 20-22.
43) Toujours et quand ils s’articuleront correctement et non en éludant le problème comme le fera le mal-nommé « postmarxisme » de E. Laclau (auquel Thompson formula une critique dans Miseria de la Teoría).
44) Dorothy Thompson, préface à E.P. Thompson, Obra esencial, op. cit.
45) « Commitment in Politics », Universities & ; Left Review, 6, Spring 1959, pp. 50-55.
46) L’histoire de la New Left peut se lire (avec ses différentes versions) chez M. Kenny, op.cit. ; D. Dworkin, Cultural Marxism in Postwar Britain. Durham, Duke University Press, 1997 ; E. Meiksins Wood, « A Chronology of the New Left and Its Successors, Or : Who’s Old-Fashioned Now ? », The Socialist Register, 31, 1995.
47) Ce ne serait ni la première, ni la dernière fois que Thompson défendit des positions conjoncturelles que l’on pourrait considérer comme « volontaristes », quelque chose que ses critiques lui reprochèrent à maintes reprises.
48) La « seconde » New Left s’était transformée, selon Thompson, en un mouvement d’intellectuels qui se faisait même gloire de sa déconnection avec les luttes des mouvements populaires. Contre cette gauche élitiste, Thompson entreprit une croisade intellectuelle ayant débuté avec Las peculiaridades de lo inglés et terminée par la fameuse publication de Miseria de la teoría. En décembre 1979, eut lieu l’ultime bataille de cet affrontement dans le fameux débat de St. Paul, dans une vieille église de l’Université d’Oxford, où – face à un Stuart Hall, critique, mais d’esprit constructif -, un Thompson furieux et amer finit par ruiner toute possibilité d’entente. Les interventions se trouvent dans R. Samuel (ed.), Historia popular y teoría socialista. Barcelona, Crítica, 1984. Le récit du débat de St. Paul se trouve S. Hamilton, op. cit.
49) Pour une critique lucide et actuelle de l’employmentcentrisme et une contreproposition d’économie politique démocratique, on peut voir D. Casassas, Libertad incondicional. La renta básica en la revolución democrática. Barcelona, Paidós, 2018.
50) Parmi ses fruits principaux, on trouve Whigs and Hunters. The origin of the Black Act. Londres, Allen Lane, 1975 et en coédition, Albion’s Fatal Tree : Crime and Society in Eighteenth-Century England. Londres, Allen Lane, 1975.
51) Cf. dans la préface et « Carta abierta à L. Kolakowski » (in : Miseria de la teoría, op.cit.), le ton et l’attitude sceptique qui montrent une certaine rupture générationnelle.
52) Par exemple, dans Writing by the Candlelight. Londres Merlin Press, 1980. Ou dans le fait que justement durant les années de la plus grande mobilisation étudiante et de la culture alternative juvénile, Thompson entreprit une enquête sur les formes de protestation de la jeunesse anglaise du 18e siècle (dans le cadre d’une correspondance avec l’historienne N. Zemon Davis, cf E. P.Thompson & ; N. Zemon Davies, La formación histórica de la cacerolada. Charivari y Rough Music. Correspondencia y textos afines. 1970-1972. Madrid, Libros Corrientes, 2018).
53) Cf. les interventions (y compris celle de Thompson) dans le volume coordonné par A. Domènech, Protesta y sobrevive. Madrid, Blume, 1983. Thompson participa à la marche de Madrid contre l’entrée de l’Espagne dans l’OTAN.
54) C. Efstathiou, op. cit.
55) A. Domènech, « Socialismo, ¿de dónde vino ? ¿Qué quiso ? ¿Qué logró ? ¿Qué puede seguir queriendo y logrando ? », in : M. Bunge y C. Gabetta (comps.) ¿Tiene porvenir el socialismo ?. Barcelona, Gedisa, 2015, pp. 71-124.
56) Intervention télévisée de E. P. Thompson sur Channel Four Television, 1982. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=DGhWxFj3SZo& ;feature=youtu.be
57) « Recovering the libertarian tradition », op. cit.
58) « Recovering the libertarian tradition », op. cit. A la fin de sa vie, Thompson restait préoccupé par le fait qu’une partie de la gauche ne valorise pas suffisamment les libertés civiles et politiques, et parce que sous les nouvelles modes académiques de la gauche se cachait une retraite des valeurs républicaines qu’il avait toujours défendues. Face à cette retraite, Thompson proposait de « redécouvrir un vocabulaire de rationalité et d’universel réhabilité (…) les causes de la rationalité et de l’internationalisme, et quelques-unes (sinon) de toutes les causes des Lumières ont maintenant besoin – au vu de leur impopularité très à la mode – de défenseurs tenaces » (« Los finales de la guerra fría : una réplica » in : R. Blackburn, Después de la caída. El fracaso del comunismo y el futuro del socialismo. Barcelona, Crítica, 1993 [1991]).
59) « Outside the Whale », op. cit.
60) Witness against the Beast. William Blake and the Moral Law. Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. XXV.
61) Entretien con A. Whitehead, op. cit.
62) « Historia y antropología », op. cit.
63) « Una entrevista con E. P. Thompson », Tradición, revuelta y consciencia de clase, op.cit. p. 296.
64) « L’économie morale naît comme résistance à l’économie ‘de libre marché’ (…) La grande grève des mineurs britanniques, en 1948, fut un exemple tardif d’un tel affrontement, bien que les forces ‘du marché libre » apparurent sous le masque de toutes les ressources de l’Etat » (p. 383).
65) Cf., par exemple, P. Linebaugh, El Manifiesto de la Carta Magna. Comunes y libertades para el pueblo. Madrid, Traficantes de Sueños, 2013 [2008] ; U. Mattei, Bienes comunes. Un manifiesto. Madrid, Trotta, 2013 ; B. Coriat, Le retour des communs. La crise de l’idéologie propriétaire. Paris, Les Liens qui Libèrent, 2015.
66) Raison pour laquelle il est conseillé de lire cette œuvre avec Las peculiaridades de lo inglés et avec l’article « El entramado hereditario : un comentario », in : Agenda para una historia radical, op.cit.
67) Récemment, le chercheur Tim Rogan a récupéré les liens entre les figures de Thompson, Polanyi et Tawney comme économistes moraux articulant une critique qui préfigure une notion de communauté au-delà de l’utilitarisme (individualiste) et du collectivisme (étatique). Dans une lettre à son frère Michael, écrite en janvier 1958, Polanyi considère que sa propre position est « d’une certaine manière siminaire » à l’humanisme socialiste de Thompson. Il n’existe aucune référence disponible sur le fait que Thompson connaisse l’œuvre de Polanyi, bien que Rogan ait défendu que les ressemblances soient trop fortes pour que Thompson ne se soit pas inspiré partiellement de La Gran Transformación, de Polanyi (cf. The Moral Economists. R. H. Tawney, Karl Polanyi, E. P. Thompson, and the Critique of Capitalism. Princeton, Princeton University Press, 2017, p. 157 et suivantes).
68) Sur l’histoire du concept de « propriété » dans la tradition continentale européenne, Jordi Mundó discerne des formes de « propriété simultanée » face à la « propriété exclusive » et explique l’irréalité juridique de celle-ci. Cf. J. Mundó, « De la retórica absolutista de la propiedad al sentido común de la propiedad limitada », Sin Permiso, 16, 2018, pp. 35-63 ; parallèlement, Fabienne Orsi a rappelé comme l’idée de « propriété publique », liée traditionnellement à la condition de citoyenneté, fut remplacée dans le droit administratif à la fin du 19e siècle par l’idée que seul l’Etat pouvait montrer juridiquement la « propriété publique ». Cf. F. Orsi, « Biens publics, communs et Etat : quand la démocratie fait lien », in : en VVAA (eds.) Vers une république des biens communs. Paris, Les Liens qui Libèrent, 2018, pp. 247-257.
69) G. Hardin, « The tragedy of the commons », Science, 162, 1968, pp. 1.343-1.348.
70) E. Ostrom, El gobierno de los bienes comunes. La evolución de las instituciones de acción colectiva. México DF, FCE, 2000 [1990] ; J. M. Neeson, Commoners, Common Right, Enclosure and Social Change in England, 1700-1820. Cambridge, Cambridge University Press, 1993.
71) « Londres et ses environs n’auraient pas de parcs aujourd’hui si les communiers n’avaient pas défendu leurs droits » (p. 148). Une partie du meilleur legs du travaillisme d’après-guerre fut précisément la loi qui régulait et créait 10 parcs nationaux. Cette loi put être promulguée seulement dans le contexte des luttes pour les biens communs, dans ce cas, l’accès aux parcs et le droit public à passer par eux. Pour une brève histoire, on peut voir le court Mass Trespass, publié in Roar Magazine en 2018. Disponible online : https://roarmag.org/films/mass-trespass/
[72] Sans aller plus loin, l’historienne française Florence Gauthier a proposé de concevoir l’« économie morale » de Thompson comme synonyme de la catégorie d’« économie politique populaire » proposée par Rousseau et reprise ultérieurement par Robespierre et les Jacobins. Thompson se déclara d’accord avec cette idée. Cf. F. Gauthier « De la economía moral a la economía política popular. La fructífera intuición de E. P. Thompson », SociologíaHistórica, vol. 3, 2014, pp. 397-426.
73) Cf. La formación de la clase obrera en Inglaterra, op. cit.
74) Bien que Thompson ne partageait pas cette notion de l’économie politique classique (cf., par exemple, dans ce volume : « La economía moral revisada »). Pour le concept original d’économie politique et la scission des sciences sociales après le tournant marginaliste, cf. J. Mundó « Particularismo epistémico, fragmentación académica e interdisciplinariedad », Ludus Vitalis, Vol. 19, 35, 2011, pp. 245-248 y D. Casassas, La ciudad en llamas. La vigencia del republicanismo comercial de Adam Smith. Barcelona, Montesinos, 2010, pp. 195-205.
75) « William Morris », in : Agenda para una historia radical, op. cit., p.123.
76) « The Fight for a Free Press », The National Archives (United Kingdom, KV-2-4290, 43A (1951) ; « The Segregation for Dissent » (1961), in : Wrigthing by the Candlelight (op.cit.) et son intervention télévisée sur Chanel Four (1982).
77) Intervention télévisée sur la BBC, à l’occasion de la publication de Costumbres en común : https://www.youtube.com/watch?v=s2CN3BerJdU& ;feature=youtu.be
78) Beyond the Frontier, op. cit.