Rome. Le samedi après-midi l’honorable député Salvatore Cannavò, alors qu’il était à la tête du cortège qui protestait contre George W. Bush, a dit quelque chose comme : j’ai une lettre dans la poche mais je veux encore attendre quelques heures...
« Et maintenant les quelques heures ont passé, en effet ». Justement. « Eh oui, en somme je parlais de mon rapport avec Rifondazione comunista. Un rapport qui, malheureusement, s’est cassé. » Cassé ? C’est un terme un peu vague, monsieur le député. « Je veux dire qu’en ce qui me concerne, je considère que l’expérience de Rifondazione est arrivée à son terme, quelle est terminée. Naturellement, de cela je devrais de toute façon discuter avec les camarades de mon courant... ». « La Gauche critique ». « En septembre nous tiendrons notre première conférence nationale ».
Ces paroles et ces projets risquent d’être un coup dur pour son parti.
« Regardes, pour être sincère, mon rapport avec le parti s’est déjà profondément modifié à la suite de l’expulsion du sénateur Turigliatto. » C’était en effet connu... « Je ne participais plus, en réalité, à la vie du parti. Je ne prenais pas part à sa direction et j’étais hors de la vie quotidienne du groupe parlementaire. »
Et puis, samedi, il s’est retrouvé à la tête d’une manifestation.
« Ce que j’ai vu, ce que j’ai ressenti, cela compte ce que j’ai éprouvé... » Il tente d’expliquer. « Pendant que moi et d’autres camarades de Rifondazione nous étions dans ce magnifique cortège du mouvement, qui n’avait rien à faire avec ces cinquante voyous, cette marmaille... le sommet du parti était par contre isolé, terriblement isolé, à la place du Peuple. » La scène est éloquente, il la raconte. « Je le sais. J’ai envoyé un de mes camarades pour voir. Giordano [secrétaire du PRC] était entouré de quelques dizaines de personnes. La vérité c’est que, ce samedi, sous un mode photographique, plastique, nous avons été mis face à la faillite de la ligne politique de Rifondazione. »
En quoi consiste-t-elle ? « Être à la fois dans la lutte et dans le gouvernement. Tu vois, c’est une règle non écrite de la politique italienne... » Laquelle ? « Tu ne peux pas être en même temps dans le gouvernement et dans le mouvement. En Italie une telle opération ne peut réussir. Et Rifondazione, ce qui n’est pas un hasard, depuis plusieurs mois ne réussit plus à parler avec les mouvements en lutte, avec les ouvriers... »
Vous pensez à l’accueil frisquet que les ouvriers de Mirafiori [Fiat] ont réservé il y a quelques jours à Franco Giordano et au ministre Paolo Ferrero. « Tout à fait. Ce fut une journée terrible. Si tes camarades, ton électorat ne te reconnaît plus, cela veut dire que tu as fait faillite. »
Qui est responsable de cette politique ? « Tout le groupe dirigeant » Pouvez-vous être plus précis ? « Fausto Bertinotti » Quelles sont les erreurs qu’il a commises ? « Deux. Avant tout il a sous-estimé les rapports de forces réels dans ce pays. Il était convaincu à la veille des élections que le centre-gauche allait tout rafler alors que nous disions qu’on assistera à un équilibre substantiel. » Ensuite ? « Il croyait que les mobilisations de masse allaient conditionner l’activité du gouvernement. Mais, par contre, il ne voulait pas savoir ce que nous avions réussi à déclencher dans le nord-est, contre la base états-unienne de Vicenza ».
Certains dans le parti commencent à penser que proposer Bertinotti à la présidence de la Chambre des députés fut une erreur stratégique. « Ce fut une erreur. Sensationnelle. Grossière. Je l’ai dit immédiatement. Mais je me rappelle que nombre de camarade souriaient, me regardaient avec un air de suffisance, comme si quelque chose d’évident m’échappait, comme si je ne comprenais pas. »
Et vous dites que maintenant entre Rifondazione et le mouvement il y a une fracture et que... « Réfléchis, si les dirigeants de Rifondazione avaient un tout petit peu de perception de la réalité, ils convoqueraient immédiatement un congrès extraordinaire. »
Le professeur Massimo Cacciari soutient que Rifondazione est maintenant devenue un poids pour l’Olivier. « Vous l’avez remarqué ? Cacciari remarque que Rifondazione est en, difficultés et il l’attaque. Mais eux, non. Ils tentent de résoudre le problème de leur faiblesse en s’alliant avec d’autres faibles. Avec les Verts, avec le PdCI [1], avec les mussiani [2] ? Savez-vous où cela finira ? » Non, où ? « Ils deviendront un courant extérieur du Parti démocrate. »
Et vous, par contre ? « Comment nous ? » Que comptez-vous emporter de Rifondazione ? Et pour faire quoi ? « Nous nous compterons en septembre, lors de la conférence nationale. »
Samedi, dans la manifestation, il y avait au moins cinquante mille personnes. « Halte là ! Ce que vous dites, c’est un piège... Nous n’avons pas organisé cette manifestation pour fonder un parti. »
Et qu’allez-vous faire maintenant à la Chambre ? « Vous voulez savoir comment je vais voter ? » Au moins. « Je déciderai au cas par cas. Et pour être mieux compris : je me battrai pour que le projet de loi Bersani, sur la libéralisation, ne puisse pas passer s’il n’est pas modifié. » C’est vraiment un lutteur. « Je suis cohérent. Il fut un temps, le savez-vous, où la cohérence fut une valeur au sein de Rifondazione. »
Et aujourd’hui, comment préférez-vous vous définir ? « Écrivez que j’étais et que je reste un communiste. »
* Nous reproduisons ci-dessus l’article qui a été publié par Corriere della Sera le lundi 11 juin 2007 : http://archivio.corriere.it/archiveDocumentServlet.jsp?url=/documenti_globnet/corsera/2007/06/co_9_070611094.xml. Traduit de l’italien par JM.
* Fabrizio Roncone est journaliste, reporter au quotidien Corriere della Sera, principal quotidien italien.
La gauche : selon Cannavò, sa rupture avec les mouvements est irréversible
ANSA
Rome, 11 juin. « La gauche gouvernementale a rompu de manière irréversible sa relation avec les mouvements. Ce qui est arrivé le 9 juin n’est que la conséquence d’une situation qui se développe depuis des années, qui dépasse même le seul gouvernement au sein duquel ils ont fait tant d’erreurs ». Ainsi Salvatore Cannavò, porte-parole de la Gauche critique, dresse le bilan de la situation des partis de la gauche radicale après le flop de leur initiative de la place du Peuple.
« Le projet fondamental du PRC — poursuit-il — a échoué. Le problème tient tant à la ligne politique qu’au groupe dirigeant inadéquat ». Face à cette faillite les partis de gauche s’unifient, mais pour Cannavò « l’archipel de la gauche gouvernementale fut écrasé par le pacte stratégique réalisé avec le Parti démocrate ».
Le porte-parole de la Gauche critique fait savoir en outre qu’il a envoyé une lettre à la direction du parti pour annoncer « la suspension du financement du parti ». « Il y a quelques jours — explique-t-il — ils m’ont fait savoir verbalement qu’ils suspendaient le financement de la tendance parce qu’elle était maintenant externe au parti et parce qu’elle participait au cortège No War, contre la guerre. Flavia D’Angeli a demandé des explications au sein de la direction du PRC — poursuit le député — mais n’a pas obtenu de réponse. Alors j’ai décidé de suspendre mon financement du parti. Je verserai dorénavant ma part sur un compte spécial, séparé du mien, en attente d’une clarification. »
Lorsqu’on lui demande si maintenant son lien avec le PRC est définitivement cassé, le député du PRC répond : « S’il n’y avait que moi, Salvatore Cannavò, la relation serait déjà rompue, mais — précise-t-il — je ne peux prendre une telle responsabilité sans la décision de l’ensemble de la Gauche critique. En automne nous convoquerons une conférence nationale lors de laquelle nous déciderons que faire ».
* ANSA est la principale agence de presse italienne. Nous reproduisons ici son article du 11 juin 2007. Traduit de l’italien par JM.