« Dans les années 2000, oui j’ai fait le tour du monde en business class et dormi dans des hôtels 5 étoiles aux frais des grandes entreprises du Cac 40 », confesse-t-il aujourd’hui, treize ans après avoir quitté l’hebdomadaire. J’étais jeune, j’avais besoin de manger et j’étais par ailleurs dans un environnement au JDD qui assumait ça sans problème. Bien sûr, j’essayais de faire mon travail au mieux, mais il est évident que ce type d’invitation conduit à écrire des papiers plus positifs. »
Le journaliste se souvient avoir parcouru l’Afrique pendant une semaine dans le jet privé de Bolloré. « Dans mon article, j’avais tout juste intégré deux paragraphes sur les accusations de corruption contre lui, ce qui avait d’ailleurs suffi à provoquer un coup de fil au journal d’un responsable de la communication de Bolloré. »
Cela n’avait pas vraiment surpris Yann Philippin : « Ces voyages de presse, c’est un deal implicite. C’est vieux comme la communication. » Et pas propre au monde des affaires : « Quand un ministre vous convoie dans un jet privé du gouvernement, il vous fait sentir qu’il vous accorde un privilège. Et vous le propose parce qu’il sait bien qu’il vous sera dès lors beaucoup plus difficile de dire du mal de lui. C’est un mécanisme psychologique classique que des chercheurs ont démontré dans les relations laboratoires-médecins : pas besoin que les cadeaux soient énormes, des invitations à des colloques, des goodies, des stylos… » Il en faut peu pour amadouer, « pour se sentir redevable ».
À l’époque, Yann Philippin vit cependant mal la situation. Sans compter que certaines de ses informations sont censurées. Il décide de partir et atterrit à Libération, « où la politique était beaucoup plus stricte en matière de cadeaux et d’invitations ». Puis à Mediapart, en 2015.
Yann Philippin raconte tout cela pour expliquer que ce type de pratiques n’est pas propre au PSG. « Mais le PSG a quelque chose en plus, une espèce de magie, détaille-il. « The power of football », écrit le directeur de la communication du club à sa femme quand il lui annonce par SMS qu’il s’est débrouillé pour accélérer son obtention de la nationalité française.
Dans le dossier judiciaire sur les barbouzes du PSG, dont Mediapart s’est fait l’écho cette semaine, on apprend que l’ancien directeur de France Football, entre autres privilèges, s’est fait inviter à grands frais au Qatar. Et que, comme directeur, il n’hésitait pas à censurer un papier gênant pour le club. Ou, à l’inverse, à écrire des articles avantageux sur les stades de la Coupe du monde au Qatar, sans un mot sur les ouvriers qui y mouraient. Il a aujourd’hui été embauché par le PSG.
Un journaliste du Monde a rendu un service au directeur de la communication du club de foot. Deux mois plus tard, il recevait des billets pour le Parc des Princes.
« Les cadeaux du PSG ont une valeur très supérieure à leur valeur monétaire, analyse Yann Philippin. Un maillot dédicacé ou une place en tribune, cela ne coûte rien au club contrairement à un vol en classe affaires qu’offrirait classiquement une entreprise du CAC 40. Mais pour ceux qui en bénéficient, surtout quand ils sont supporters du club, ça n’a pas de prix. On le voit avec l’ex-vice président de l’Assemblée nationale, qui a rendu de grands services au PSG, avec l’aide de Gérald Darmanin, pour éviter au club de payer des impôts lors du transfert de Neymar : son fils a été escort kid lors du premier match du joueur brésilien sous le maillot parisien. Il était juste à côté d’une star planétaire lors de son entrée sur la pelouse, et ça c’est le graal pour des fans. Un autre de ses enfants a eu une photo dédicacée avec Neymar. »
Le PSG bénéficie d’un autre atout dans son stade du Parc des Princes, qu’on appelle « la corbeille » ou le « carré ». Un bout de tribune réservé aux ultra VIP : chefs d’entreprise, ministres, stars du showbiz… « Et ces places-là ne sont pas à vendre. Être dans ce carré n’a donc littéralement pas de prix. C’est la présidence du club qui les attribue. C’est la vitrine et l’objet d’influence du Qatar, propriétaire du club. »
Le PSG et le Qatar ne se contentent cependant pas d’offrir. Ils savent aussi punir. Si les journaux qui suivent l’actualité sportive enquêtent sur le club, ils risquent d’être boycottés. L’Équipe, en 2018, a été interdit pendant des mois par le club de suivre les entraînements et les conférences. Aucune interview de joueur ne lui était accordée. Cela s’est reproduit en 2021 quand Lionel Messi a signé. Le PSG a « osé » consacrer sa Une au salaire XXL qu’allait toucher le joueur argentin. En clair, faire son travail d’information. Le club a immédiatement décidé que jamais Messi n’accorderait d’interview à L’Équipe.
Pire : comme nous l’avons révélé cette semaine, le président Nasser El-Khelaïfi a validé en 2018 une opération massive sur les réseaux sociaux, menée grâce à de faux comptes Twitter, visant à salir, discréditer et faire peur à celui qui était à l’époque directeur de la rédaction du quotidien, Jérôme Cazadieu, qui s’est constitué partie civile dans ce dossier.
Face à ces révélations, Nasser al-Khelaïfi a mené une grande opération de communication et de diversion cette semaine. Il a accordé trois interviews, dont l’une à L’Équipe, dans laquelle il parle notamment de Mbappé. Le président du club n’a pas souhaité « faire de commentaires sur les affaires judiciaires en cours » à L’Équipe (alors qu’il y a répondu le même jour dans Le Parisien), ce dont le quotidien sportif ne semble donc pas lui tenir trop rigueur. Ou ne se juge pas en mesure de.
À Mediapart, tout est plus simple. Nous ne suivons pas l’actualité sportive, nous n’espérons aucune interview de joueur, et nous n’acceptons aucun cadeau. Le PSG s’est donc jusqu’à présent contenté de ne pas répondre à nos questions et de nous dénigrer, nous aussi, via des campagnes de désinformation et de calomnies sur Twitter.
Michaël Hajdenberg, coresponsable du pôle Enquête.