La présidence a fixé à l’avance le menu de la conférence de presse : d’abord les sujets économiques et sociaux, ensuite la politique intérieure et enfin les affaires internationales. Le président de la République arrive dans la salle des fêtes de l’Élysée, annoncé par un huissier. Les journalistes se lèvent. Georges Pompidou s’installe derrière un petit bureau, seul sur scène. L’ORTF diffuse l’allocution en direct, ce 2 juillet 1970.
Un demi-siècle plus tard, le cérémonial n’a pas changé. La décoration de la salle des fêtes a évolué, mais le reste paraît tout droit sorti d’une cassette d’archives. Après avoir promis de « dire au pays […] où nous allons », Emmanuel Macron a donné l’impression de l’emmener dans sa machine à remonter le temps. Le chef de l’État a annoncé la généralisation du service national universel (SNU), ouvert la porte à celle de l’uniforme scolaire et renoué avec des accents natalistes du siècle dernier.
Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse, le 16 janvier 2024 à l’Élysée. © Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart
L’enjeu de la soirée n’était pourtant pas cosmétique. La promesse en est venue début décembre, dans un contexte improbable : Emmanuel Macron déambulant au Panthéon, un soir, « drapé dans un manteau noir », une journaliste du Monde à ses côtés. Là, encerclé par l’histoire de France, le président de la République lance : « Le moment est venu d’un rendez-vous avec la nation », pour « rappeler la France à elle-même et à ce qu’elle est » et « redonner une espérance, un goût de l’avenir ».
Des semaines durant, personne parmi les conseillers, les ministres et les soutiens d’Emmanuel Macron n’a su expliquer ce que recouvrait ce rendez-vous mystérieux. Et puis, un dimanche soir, l’Élysée appelle quelques journalistes triés sur le volet : le « PR » (comprendre : le président de la République) donnera une conférence de presse mardi. C’est tout ? Ah non, font valoir les stratèges du Palais, ce n’est pas n’importe quelle conférence de presse ! « Un tel format n’a jamais été fait jusqu’à présent », vante l’Élysée. Le Parisien embraye et titre sur « une conférence de presse XXL ».
En arrivant à l’Élysée mardi, difficile de percevoir l’inédit et le XXL. Environ deux cent cinquante journalistes sont accrédités − Nicolas Sarkozy en accueillait deux fois plus il y a quinze ans, le général de Gaulle aussi en son temps. Le format est classique. Le fond aussi, d’ailleurs. Avec des airs de François Hollande qui disait, à la même place il y a dix ans, qu’il serait « président jusqu’au bout », Emmanuel Macron assure qu’il se battra « jusqu’au dernier quart d’heure » et martèle qu’il lui reste « trois ans et demi de mandat ».
Sur scène, Emmanuel Macron parle beaucoup, de tout, visiblement à l’aise. L’exercice, à vrai dire, est à son avantage. Volontiers prolixe, le chef de l’État joue à domicile. Il ne peut être ni coupé ni relancé. Alors, il déroule son « cap », répète en fait tout le bien qu’il pense de son action depuis sept ans.
En 1963, missionné par Le Figaro pour commenter une conférence de presse du général de Gaulle, Raymond Aron écrivait : « C’est une œuvre d’art. L’orateur survole la planète, rappelle le passé et jette des rayons de lumière sur l’avenir. Il distribue blâmes ou éloges aux uns et aux autres. Il couvre de mépris ses adversaires et il ne dissimule pas la satisfaction que lui inspire la France qu’il façonne. »
L’ode à la révolution n’a toujours pas de substance
De la satisfaction, Emmanuel Macron en avait à revendre mardi soir. Sur la vie démocratique, il a déjà « beaucoup innové ». Sur la transition écologique, pourquoi diable « annoncer un nouveau cap » ? « Je pense qu’on a pris des décisions historiques et qu’elles sont les bonnes », balaye-t-il. Sur la santé, le gouvernement a déjà fait ce dont le secteur « avait besoin » et « investi » de façon « historique ». Face à l’inflation, « la France a beaucoup protégé », assure-t-il.
À force de s’auto-congratuler, le président de la République prend toutefois le risque de maintenir son second quinquennat sur la pente glissante dans laquelle il est embarqué. De la réforme des retraites à la loi immigration en passant par la vingtaine de 49-3, les couacs gouvernementaux ou la progression de l’extrême droite, les motifs d’inquiétude ne manquent pas au sommet de l’État. S’il a changé de premier ministre et de gouvernement, s’il a convoqué cet exercice oublié depuis quatre ans, c’est bien qu’Emmanuel Macron lui-même a perçu le trou politique dans lequel il était tombé.
Comment relancer un quinquennat, toutefois, sans rien céder sur le fond ? Le président de la République a tenté de redonner de l’élan à son action en enchaînant les formules apparemment volontaristes. Il faut « retrouver de l’audace », a-t-il martelé, appelant les siens à « envisager ce que nous n’envisagions plus », à ne pas « céder à l’esprit de résignation » ni à la « peur de soulever certains mécontentements ». Le 12 janvier, lors du premier conseil des ministres depuis le remaniement, il avait déjà exhorté les membres de son gouvernement à être des « révolutionnaires ».
L’esprit de Marat et Danton n’a visiblement toujours pas passé les portiques de l’Élysée. Assise avec les autres ministres, à la droite du chef de l’État, Rachida Dati s’assoupit discrètement. À sa décharge, la nouvelle ministre de la culture a entendu mille fois, en deux décennies de vie politique à droite, les nouvelles marottes présidentielles : l’ordre, l’autorité, la lutte contre les incivilités, l’immigration illégale et le trafic de drogues, la « libération des énergies »…
Le président de la République a réaffirmé mardi la tonalité droitière de son cap, débarrassée des pudeurs dont elle se parait jusqu’alors. Le « réarmement civique » passera par la généralisation du service national universel (SNU), par des heures d’instruction civique et d’histoire de l’art en plus, par l’apprentissage de La Marseillaise en primaire ou encore par l’expérimentation de l’uniforme. Sur le plan économique, la direction est la même : augmentation des fonctionnaires « au mérite », lutte contre les « normes inutiles » et pour l’innovation, éloge à « la France des classes moyennes », doublement souhaité de la franchise sur les médicaments…
La reprise d’un slogan de Zemmour et Ciotti
À côté de cette longue énumération, les quelques réformes de « progrès » font figure de maigres consolations pour les soutiens au chef de l’État venus de la gauche − étonnamment silencieux mardi soir à l’heure d’applaudir la prestation présidentielle. Emmanuel Macron cite pourtant les lois bioéthiques, la constitutionnalisation de l’avortement, la loi à venir sur la fin de vie… « Mais le progrès va aussi avec une forme d’ordre républicain », tempère-t-il immédiatement.
Rapidement évoquées, la transition écologique et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ne mettent que quelques secondes à être pondérées − l’une par sa nécessaire acceptabilité sociale, l’autre par l’importance de la présomption d’innocence. Esquissant le « regret » de « ne pas avoir dit à quel point la parole des femmes est importante », il assume, comme toujours, son soutien à Gérard Depardieu.
Loin des accents de sa première campagne en 2017, Emmanuel Macron a définitivement épousé l’air du temps, se muant désormais en président de l’ordre. Autour de lui, on se persuade que l’enjeu des élections européennes de juin réside dans le choix que fera l’électorat de la droite traditionnelle, tiraillée entre la majorité et le Rassemblement national (RN).
Alors, mardi, le président de la République adresse quelques clins d’œil peu discrets à cette frange de l’opinion. Ainsi de son appel à ce que « la France reste la France », dans un copier-coller surprenant du slogan d’Éric Zemmour lors de la campagne présidentielle de 2022, lui-même chipé à Éric Ciotti, candidat fin 2021 à l’investiture du parti Les Républicains (LR).
Des questions soigneusement choisies
Comme le député des Alpes-Maritimes, devenu président de LR, Emmanuel Macron limite d’ailleurs ses critiques en direction de l’extrême droite. « C’est le parti de l’appauvrissement collectif » et « de la colère facile », a lancé le président de la République, appelant à « bousculer les habitudes » pour contrer une formation qui aurait « piqué son programme à l’extrême gauche ». Pas un mot, en revanche, de la filiation et des propositions racistes et xénophobes du parti de Marine Le Pen.
Au milieu de ce vaste défilé des sujets, Emmanuel Macron apporte son soutien à sa ministre de l’éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, engluée dans la polémique depuis les révélations de Mediapart sur la scolarisation de ses enfants. « La ministre a eu un propos public qui a été maladroit, a minimisé le président de la République. Elle s’en est excusée, elle a bien fait. » Évoquant son « indulgence », il a également appelé à « respecter un choix qui fait partie de la vie intime, familiale ».
Des enjeux politiques de toute cette affaire, il n’aura pas été question. Pas plus que du rapport accablant de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) sur Stanislas, l’établissement où la ministre a scolarisé ses enfants, révélé le jour même dans notre journal. Mediapart a tenté, pourtant, de poser la question à Emmanuel Macron. Représenté au premier rang, notre journal a redoublé d’efforts pour se saisir du micro distribué par les attachés de presse de l’Élysée. En vain.
Là encore, les vieilles pratiques du temps de l’ORTF ont traversé les époques. Dans un ballet savamment orchestré, les conseillers présidentiels en charge de la communication désignent les journalistes, qui multiplient les SMS discrets pour intégrer la liste des heureux élus. Quelques stars du petit écran sont là, comme Laurence Ferrari et Sonia Mabrouk de CNews, qui claquent la bise à Bruno Roger-Petit, le conseiller mémoire du chef de l’État.
Malgré les mains tendues et les messages, nombreux, Mediapart ne sera pas parvenu à interroger le chef de l’État, ni sur Stanislas ni sur le reste. Au bout de deux heures vingt du one man show présidentiel, l’entourage du chef de l’État lui glisse qu’il est temps de « rendre l’antenne ».
Une fois les caméras éteintes, les journalistes entourent un conseiller présidentiel, lui demandent quelle audience ils espèrent pour ce raout multidiffusé. « Je ne sais pas, répond-il. L’exercice est tellement inédit… » On croit à une boutade. On hésite. Et puis non. Après tout, Georges Pompidou n’est plus là pour le contester.
Ilyes Ramdani