Les enfants de Naama Abiyat sont tout ce qui lui reste. Je rencontre cette mère de cinq enfants, âgée de 29 ans, à l’intérieur d’une tente aux murs fins où elle vit dans le sud de la Cisjordanie occupée ; la tente est presque vide, à l’exception d’une couverture qu’elle a reçue de passant·es et de quelques rondins de bois. Ses enfants interrompent de temps à autre notre conversation, réclamant son attention et lui faisant savoir qu’ils ont froid.
Jusqu’à il y a deux mois, Abiyat avait sa propre chambre, une maison, un jardin et une oliveraie à Al-Qanoub, un petit village familial de 40 habitant·es situé au nord d’Hébron. Entre le 11 octobre et le 1er novembre, cependant, toute la communauté a fui après une série de pogroms perpétrés par des colons israéliens venus de la colonie voisine d’Asfar et de l’avant-poste adjacent de Pnei Kedem. Les colons ont brûlé les maisons, lancé leurs chiens sur les animaux de la ferme et, sous la menace d’une arme, ont ordonné aux habitant·es de partir sous peine d’être tués.
Depuis, Abiyat et ses enfants errent, sans terre et sans maison. Avec quatre autres familles déplacées d’Al-Qanoub, iels ont installé des tentes temporaires à la périphérie de la ville de Shuyukh, plus proche d’Hébron.
Le jour de l’expulsion, les colons ont refusé de leur laisser prendre quoi que ce soit dans le village en flammes : la carte d’identité de son mari, les véhicules, les matelas, les téléphones portables, les sacs d’olives, les clés – « et mes vêtements », ajoute l’un de ses fils. Tout a été laissé sur place, et une grande partie a été volée. Le fils aîné d’Abiyat, âgé de 11 ans, ne peut plus se rendre à son école près du village, car personne ne peut l’y conduire.
Dans les jours qui ont précédé la décision de sa famille de fuir le village, Abiyat dormait dehors avec ses enfants, craignant que les colons ne mettent le feu à leur maison pendant qu’elle et ils dormaient, comme cela était arrivé à l’un de ses voisin·es. « La nuit, nous fermions la maison à clé, nous éteignions les lumières et nous descendions dans les oliviers pour dormir sous le ciel », raconte-t-elle.
Aujourd’hui, Abiyat s’efforce de trouver un moyen d’acheter du bois de chauffage pour l’hiver. « Je vous parle et tout mon corps explose », dit-elle. « Ici, tout n’est que scorpions et serpents. Les enfants sont dans un état mental difficile. Plus rien ne les passionne dans la vie ».
Sous le couvert de la guerre, 16 villages palestiniens de Cisjordanie – où vivaient collectivement plus de 1 000 personnes – ont été entièrement dépeuplés à la suite d’une recrudescence de la violence des colons et des pogroms contre les communautés d’éleveurs palestiniens. Séparées de leurs communautés et contraintes de vivre sous des tentes sur des terres appartenant à d’autres Palestinien·nes, les familles déplacées réclament toutes la même chose : pouvoir rentrer chez elles.
Ils nous ont dit que nous avions une heure pour partir
Avant le début de la guerre, le village de Southern a-Nassariyah, dans la vallée du Jourdain, abritait cinq familles, soit 25 personnes au total. Le 13 octobre, toutes ces familles ont fui leurs maisons sous la menace de violences de la part des colons israéliens. Elles vivent actuellement dans des tentes près du village de Fasayil, sur un terrain appartenant à un résident local qui les a autorisées à rester à condition qu’elles quittent les lieux avant le mois d’avril. Les familles déplacées ne savent pas où elles iront ensuite.
« Ils ont fait de nous des ouvriers. Par Dieu, ils ont fait de nous des travailleurs », déclare Musa Mleihat, en posant une tasse de thé sur un tabouret à l’extérieur de la tente qui est devenue sa maison. Le jour de son expulsion, il a perdu sa terre, ce qui signifiait la perte de son gagne-pain : ne pouvant plus faire paître son troupeau, il a été contraint de vendre la plupart des moutons et des chèvres de sa famille.
Certain·es des autres villageois·es ont commencé à travailler comme ouvrier·es agricoles dans les localités voisines. La colonie de Tomer, par exemple, connue pour ses dattes et ses ananas, embauche des travailleurs et des travailleuses palestinien·nes qu’elle paie illégalement au-dessous du salaire minimum. De nombreuses et nombreux villageois·es déplacé·es affirment que le fait de devenir ouvrier agricole fait partie du prix à payer pour être chassé·es de leurs terres.
Au sud-est de Ramallah, les 180 habitant·es du village de Wadi al-Siq ont également été déplacé·es de force à la suite d’un pogrom de colons. Le 12 octobre, des colons et des soldats ont fait irruption dans le village, ont tiré sur les femmes et les enfants et les ont chassé·es, avant de kidnapper trois hommes, de les menotter, de les déshabiller, d’uriner sur eux, de les battre jusqu’au sang et d’abuser d’eux sexuellement.
« Après avoir bandé les yeux des gens, ils nous ont dit que nous avions une heure pour quitter le village, et qu’après cela, quiconque resterait serait tué », raconte Abd el-Rahman Kaabna, le chef du village. Trois mois après l’expulsion, il a encore du mal à surmonter cette expérience, qui a profondément affecté ses enfants : depuis, ils font pipi au lit.
Kaabna explique que sa vie entière a changé à la suite de l’expulsion. La communauté de Wadi al-Siq a été complètement démantelée : la plupart des villageois·es, dont Kaabna, sont dispersé·es dans des tentes à l’est et au sud de la ville de Ramun, tandis que d’autres se trouvent près de la ville de Taybeh, à proximité de Ramallah. Tous vivent sur les terres d’autrui.
« Nous nous sentons comme des étrangers ici », dit-il. « Nous n’avons pas les maisons dans lesquelles nous avions l’habitude de vivre, avec des champs ouverts et des pâturages. Aujourd’hui, je vis dans une oliveraie et le propriétaire me demande sans cesse combien de temps nous allons rester ».
Les fils de Kaabna, âgés de 6 et 8 ans, ne vont plus à l’école depuis l’expulsion. À Wadi al-Siq, il y avait une école pour les élèves jusqu’à la huitième année, mais après le départ des habitant·es, « les colons ont volé tout ce qu’il y avait à l’intérieur, y compris les livres des enfants. Il y a un mois, ils ont amené un tracteur et ont démoli toutes nos maisons ».
Le village était rempli de souvenirs
Les colons ont détruit ou brûlé les maisons de plusieurs des villages que les Palestinien·nes ont été contraint·es d’abandonner au cours des derniers mois, rendant ainsi impossible le retour de leurs anciens habitants. Les colons achèvent ainsi le travail de la politique du gouvernement israélien qui, depuis des années, cherche à forcer les Palestinien·nes à quitter la zone C : ils refusent de reconnaître leurs villages, les empêchent d’avoir accès à l’eau et à l’électricité et démolissent leurs maisons. Selon les données fournies par l’administration civile – le bras bureaucratique de l’occupation – à l’ONG israélienne de défense des droits à la planification Bimkom, entre 2016 et 2020, elle a délivré 348 fois plus de permis de construire à des colons israéliens qu’à des Palestinien·nes vivant dans la zone C.
Le village de Zanuta, dans les collines du sud d’Hébron, qui comptait 250 habitant·es avant le début de la guerre, est le plus grand village à avoir fait l’objet d’un nettoyage ethnique par les colons au cours des derniers mois. Les colons ont ensuite détruit l’école du village, ainsi que 10 bâtiments résidentiels. Lorsque les habitant·es de Zanuta ont tenté de rentrer chez elles/eux, un inspecteur de l’administration civile leur a dit que s’iels installaient une seule tente, l’armée la considérerait comme une « nouvelle construction » et la démolirait.
Après avoir fui leurs maisons, les habitant·es de Zanuta ont été dispersé·es dans six endroits différents : certain·es vivent actuellement près du point de contrôle de Meitar, à l’extrémité sud de la Cisjordanie, d’autres près de la colonie de Tene Omarim, et d’autres encore ont loué des terres là où iels ont pu en trouver. « Nous nous manquons les un·es aux autres », me dit Fayez al-Tal, un ancien habitant du village. « Depuis le jour où nous avons quitté Zanuta, nous ne nous sommes pas vus ».
Non seulement les habitant·es ont perdu la plupart de leurs pâturages, mais elles et ils ont également été contraint·es de vendre la plupart de leurs troupeaux en raison des frais considérables – 70 000 NIS (environ 18 500 dollars) par famille – nécessaires au transport de tous leurs biens hors du village détruit, à l’achat de nouvelles tentes et cabanes et à l’achat de nourriture pour les moutons et les chèvres restants, qui ne peuvent plus paître.
Les 85 habitant·es d’Ein al-Rashash, un village de bergers situé près de Ramallah, ont emballé leurs affaires et se sont enfui·es dès les premiers jours de la guerre. « Le village était rempli de souvenirs de notre enfance », explique l’un des habitant·es. Aujourd’hui, les villageois·es vivent dans des tentes et des cabanes en aluminium qu’iels ont construites sur un sol rocheux, à côté de la ville de Douma. Iels ne savent pas ce qu’iels feront ensuite.
« Il n’y a pas de colons ici, mais il y a d’autres problèmes : l’administration civile », explique Awdai, qui a vécu à Ein Rashash. Après que lui et d’autres ont commencé à monter leurs tentes, un drone de l’administration civile est venu les photographier. Un ordre de démolition pourrait bientôt suivre.
Le gouvernement soutient les colons
Ces dernières années, des dizaines d’avant-postes de bergers ont été établis dans toute la zone C de la Cisjordanie et sont devenus l’un des moteurs de l’augmentation de la violence à l’encontre des Palestinien·nes. Pour de nombreux anciens habitants des villages dépeuplés, la peur des « voyous » des colons n’est pas la seule raison de leur déplacement, ni ce qui les empêche de rentrer chez eux. Le problème le plus profond est le soutien qu’ils reçoivent de l’armée et de la police israéliennes.
« Nous savons comment nous protéger », explique al-Tal, de Zanuta. « Mais si nous le faisons, les soldats nous tireront dessus ou nous finirons en prison. Le gouvernement soutient les colons. Dans le passé, raconte-t-il, lorsque les soldats ou la police arrivaient dans le village lors d’un raid des colons, ils arrêtaient les Palestinien·nes ». Les habitant·es de chacun des villages déplacés disent la même chose : l’armée protège les agresseurs et arrête ceux qui sont attaqués.
Le 3 janvier, une audience s’est tenue à la Cour suprême israélienne concernant un recours déposé au nom des habitant·es de Zanuta et d’autres villages entièrement ou partiellement dépeuplé·es. L’appel exigeait que l’État précise comment il s’y prend pour protéger ces communautés des colons et demandait aux autorités de créer des conditions sur le terrain qui permettraient aux communautés déplacées de retourner sur leurs terres.
Qamar Mashraki-Assad et Netta Amar-Shiff, qui représentaient les Palestinien·nes, ont déclaré aux juges que la police ignorait régulièrement les plaintes concernant les violences commises par les colons et refusait systématiquement de recueillir des preuves sur le terrain. En outre, l’armée n’agit pas conformément à l’obligation qui lui incombe en vertu du droit international de protéger la population occupée.
Lors de l’audition, Roey Zweig, un officier du commandement central des FDI – qui est responsable des unités de l’armée qui opèrent en Cisjordanie et de la construction dans la zone C – a affirmé, de manière absurde, que la violence des colons avait en fait diminué ces derniers temps grâce aux mesures que l’armée a commencé à mettre en œuvre. Tout au long de son intervention, Zweig – qui, en 2022, alors qu’il était commandant de la brigade de Samarie, avait déclaré que « le projet de colonisation et l’armée ne font qu’un » – a qualifié les villages dépeuplés d’« avant-postes palestiniens », reprenant le terme utilisé pour désigner les communautés israéliennes installées au sommet des collines de Cisjordanie, qui sont ostensiblement illégales, même au regard de la loi israélienne.
Les habitant·es de chacun des villages dépeuplés connaissent les noms des colons qui les ont terrorisés, ainsi que les colonies ou les avant-postes dont ils sont issus. Pendant des mois, voire des années, ces colons se sont systématiquement employés à les expulser, à s’emparer de leurs terres et à les menacer de violence.
Pourtant, selon un responsable de la sécurité qui s’est entretenu avec +972 Magazine et Local Call, la gestion de la violence des colons et de l’expulsion des communautés palestiniennes « ne fait pas partie du mandat » de l’administration civile. Les plaintes pour discrimination dans les permis de construire ou l’application de la loi, a déclaré le fonctionnaire, devraient être « dirigées ailleurs » parce que l’administration civile est « seulement un organe exécutif », et non « politique ».
Yuval Abraham