Le système de santé de Gaza avait déjà du mal à fonctionner avant la guerre ; après plus de 100 jours de combats, il a atteint un niveau catastrophique. Avec plus de 60 000 blessé·es et des dizaines de milliers de malades, leurs chances de recevoir des soins appropriés – y compris des interventions vitales – s’amenuisent rapidement.
Dans les circonstances actuelles à Gaza, le manque d’accès aux soins médicaux a des conséquences critiques. Les médecin·es font état de personnes gravement blessées qu’elles et ils n’ont pas pu sauver, et d’autres qui restent handicapées à vie faute d’un traitement approprié qui aurait pu leur épargner une vie de souffrance et de douleur. Des épidémies facilement évitables grâce à des soins appropriés se propagent rapidement, mettant en danger des dizaines de milliers de vies.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, sur les 36 hôpitaux qui fonctionnaient dans la bande de Gaza avant la guerre, seuls 14 fonctionnent aujourd’hui – sept dans le nord et sept dans le sud. Même ces hôpitaux ne sont que partiellement opérationnels : seuls certains services fonctionnent, les équipes médicales sont sollicitées au-delà de leurs capacités et doivent faire face à de graves pénuries de personnel, d’équipement, de médicaments, de carburant pour faire fonctionner les installations, de nourriture et d’eau pour les patients et les équipes. Les hôpitaux fonctionnant à plus du double de leur capacité, les patient·es sont traités à même le sol. Deux autres hôpitaux, à Khan Yunis, ne fournissent que des services de base, et uniquement aux personnes qui s’y abritent. Depuis le début de la guerre, plus de 90 établissements de santé et 80 ambulances ont été endommagés.
Les organisations humanitaires signalent qu’Israël met des obstacles insurmontables au transfert de fournitures médicales vers les hôpitaux, principalement dans le nord de Gaza, et qu’elles ont du mal à évacuer les blessés en raison, entre autres, des bombardements incessants, de la destruction des routes, de la pénurie de carburant et des difficultés à coordonner le transfert des fournitures ou des personnes blessées.
L’absence de services médicaux de base est particulièrement inquiétante compte tenu de la propagation constante des maladies infectieuses, due aux conditions difficiles qui règnent dans les camps de déplacés surpeuplés : plus d’un million de personnes sont entassées sans eau potable, sans nourriture suffisante ou sans conditions permettant de maintenir une hygiène de base. Des dizaines de milliers de cas d’infections respiratoires, de diarrhées (en particulier chez les enfants de moins de 5 ans) et d’hépatite A ont déjà été signalés et n’ont pas été traités. Cette situation exacerbe naturellement les maladies chroniques telles que le diabète, les maladies cardiaques, l’hypertension artérielle, le cancer et les troubles mentaux.
Israël affirme que la responsabilité de cette terrible réalité incombe uniquement au Hamas, qui utilise les hôpitaux pour établir des centres de commandement, creuser des tunnels, cacher des armes et organiser des attaques, entre autres. Toutefois, ces affirmations n’annulent pas la protection spéciale accordée par le droit humanitaire international aux hôpitaux, aux équipes médicales, aux patient·es et aux personnes déplacées. Elles n’exonèrent certainement pas Israël de ses obligations, car le principe de réciprocité ne s’applique pas dans ce corpus juridique : une partie qui viole les règles n’autorise pas l’autre partie à faire de même. Les actions du Hamas ne déchargent en rien Israël de sa responsabilité pour les dommages causés aux civil·es.
Néanmoins, Israël a violé ces règles à plusieurs reprises depuis le début de la guerre. Alors qu’il sait pertinemment que les hôpitaux abritent des centaines de patient·es et des dizaines de milliers de personnes déplacées, il les traite comme des cibles militaires légitimes. Il exige leur évacuation immédiate, bien que la population qui s’y trouve n’ait aucun endroit sûr où aller. Il bloque également l’entrée d’une aide humanitaire suffisante, notamment de fournitures médicales, pour répondre aux besoins croissants.
Étant donné qu’Israël affirme aujourd’hui avoir réussi à exercer un contrôle effectif sur au moins une partie de la bande de Gaza, il en deviendrait la puissance occupante, en l’absence d’une autre entité contrôlant le territoire. Cela conférerait à Israël des devoirs positifs à l’égard de la population, notamment celui de fournir lui-même les soins médicaux nécessaires. Le contrôle militaire ne va pas de soi, et ce contrôle s’accompagne d’une responsabilité à l’égard des civil·es vivant dans le territoire occupé.
Le droit international humanitaire prévoit une protection spéciale pour les populations les plus vulnérables qui ne peuvent se protéger elles-mêmes, afin de garantir que toute personne ayant besoin de soins médicaux les reçoive. En refusant ces soins, on condamne des milliers de personnes à Gaza à la mort, à la douleur et à des souffrances indescriptibles. Cette approche est à la fois immorale et illégale, et vide de son sens un principe moral essentiel du droit international humanitaire.
1 février 2024
B’tslem