En effet, parmi les habitant·es de l’enclave assiégée, comme parmi les Palestinien·nes et leurs sympathisant·es dans le monde entier, les réactions à l’arrêt ont été mitigées. Certain·es ont vu dans la décision de la Cour d’intervenir une avancée majeure dans la reconnaissance et la protection des droits des êtres humains des Palestinien·nes. Cependant, la décision de ne pas appeler à un cessez-le-feu – ce que l’Afrique du Sud, le pays requérant, avait demandé à la Cour – a été perçue par de nombreuses et nombreux habitants de Gaza comme un manquement au strict minimum, permettant à Israël de continuer à ravager la bande de Gaza et sa population.
Alors que les Palestinien·nes de Gaza continuent de réclamer la fin de la guerre, attendant désespérément des nouvelles d’une avancée dans les négociations entre Israël et le Hamas, +972 s’est entretenu avec des habitant·es du nord de la bande de Gaza pour connaître leur point de vue sur la décision de la Cour. Le sentiment dominant était la consternation, qui n’a fait que s’accentuer dans les jours qui ont suivi l’arrêt, Israël semblant n’avoir tenu aucun compte des mesures provisoires de la Cour.
Kamal Al-Yazji, 23 ans, a été déplacé du quartier d’Al-Daraj dans la ville de Gaza lorsque sa maison a été bombardée. Il est depuis lors hébergé à l’école Al-Rimal, dans la ville de Gaza, qui est gérée par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugié·es de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). M. Al-Yazji a utilisé un célèbre proverbe arabe pour décrire l’arrêt de la CIJ et la réaction de la communauté internationale : « En d’autres termes, les juges ont rendu leur décision depuis la sécurité et le confort de La Haye, et auraient probablement appelé à un cessez-le-feu s’ils s’étaient trouvé·es elles-mêmes ou eux-mêmes à Gaza ».
« Chaque seconde de retard dans l’instauration d’un cessez-le-feu entraîne la mort d’une âme, d’un être humain, la destruction d’une maison, la destruction d’une famille », a-t-il déclaré. « Cela cause des difficultés et un chagrin incroyables à davantage d’enfants ».
Abu Malik, un avocat de 45 ans déplacé du quartier Sheikh Radwan de la ville de Gaza et désormais réfugié à l’hôpital Al-Shifa, est d’accord : « Le monde n’a pas rendu justice aux Palestinien·nes depuis 1948, et il continue de nous ignorer avec son silence ».
« Plus de 100 jours de guerre n’ont pas suffi à faire reconnaître au monde notre situation désespérée », a-t-il poursuivi. « Plus de 30 000 Palestinien·nes mort·es [y compris les milliers de personnes disparues et présumées mortes] et 70 000 blessé·es ne suffisent pas à convaincre le monde qu’Israël commet un génocide à Gaza ? Le procès de l’Afrique du Sud contre Israël était une raison d’espérer. Que quelqu’un nous écoute. Mais franchement, je ne m’attendais pas à une décision positive de la CIJ, comme un cessez-le-feu immédiat ou l’autorisation pour l’aide humanitaire d’entrer dans les parties nord de la bande de Gaza ».
Fahmi Al-Rubai, 32 ans, est originaire du quartier de Shuja’iya et a été déplacé à plusieurs reprises depuis le début de la guerre dans différents quartiers de la ville de Gaza. « Nous espérions que la décision de la Cour ferait pression sur Israël pour qu’il arrête la guerre, mais quelques jours après la décision préliminaire, le lundi 29 janvier, nous nous sommes réveillés avec des tirs intenses dans notre quartier ».
« Je ne sais pas qui peut nous aider », a-t-il ajouté. « Je ne sais pas qui peut arrêter la guerre. Si la CIJ échoue, nous n’avons plus que Dieu ».
Mustafa Majdi, originaire de Shuja’iya, a perdu 47 membres de sa famille dans des frappes aériennes israéliennes à la mi-novembre. « Tous étaient des civils », a-t-il déclaré à +972. « J’espérais que la CIJ ordonne un cessez-le-feu immédiat, afin que je puisse enterrer mes proches qui sont encore sous les décombres. À quoi sert cette Cour si elle ne peut pas arrêter la guerre ou forcer Israël à me permettre d’enterrer ma famille ? »
Amein Abedalal, un habitant de Shuja’iya âgé de 45 ans, a été déplacé dans le quartier voisin d’Al-Sha’af. Il espérait que cette décision entraînerait une augmentation de l’aide humanitaire, mais cela n’a pas été le cas. « Israël se moque du droit et de la pression internationale », déplore-t-il. « Notre situation ne s’est pas du tout améliorée après l’arrêt. Je ne peux qu’espérer que l’aide quotidienne augmentera ».
Abu Ramzi Jendia, un homme de 65 ans qui vit dans le stade Palestine de la ville de Gaza – le terrain de football national qui a été transformé en abri pour les personnes déplacées est un peu plus optimiste. « Il y a maintenant l’espoir que la pression exercée sur Israël conduira à un cessez-le-feu total qui perdurera pour les habitants de Gaza », a-t-il déclaré.
« Bien que la CIJ n’ait pas ordonné de cessez-le-feu, nous avons eu le sentiment que quelqu’un se souciait de nous dans ce monde », a-t-il poursuivi. « Nous avons au moins eu l’impression que le monde commençait à ressentir notre douleur ».
Mahmoud Mushtaha