La réunion d’Ashdod, le 22 novembre, préfigurait l’orgie de provocations qui s’est manifestée au Centre international des congrès de Jérusalem le 28 janvier [voir note 1 de l’article publié sur ce site le 29 janvier] : une parade pour un front ravivé qui réunit le groupe Nachala de la matriarche des colons Daniella Weiss [dont le but est d’établir « de nouvelles communautés en Judée et Samarie »], la lie de l’ancien terrorisme clandestin, sous la forme du militant condamné (mais gracié) Uzi Sharbag [membre de la Résistance juive qui planifiait dans les années 1980 la destruction du Dôme du rocher], les Likoudniks traditionnels et les partis semi-fascistes de Force (pouvoir) juive [Itamar Ben-Gvir] et du Sionisme religieux [Bezalel Smotrich]. Les T-shirts criards, les autocollants, les sautillements jubilatoires sont tous le reflet d’une attitude enhardie : la population de Gaza ne doit pas être traitée comme un peuple – avec le strict minimum fonctionnel de droits – mais comme un obstacle à piétiner grossièrement ! Si leurs motivations immédiates peuvent être la soif de sang ou la gratuité des terrains et de la construction, leur objectif politique est de pérenniser leur ascension et leur pouvoir. « C’est notre dernière chance de reconstruire et d’étendre la terre d’Israël », a prévenu le ministre [du Tourisme] du Likoud, Haim Katz. La détermination politique s’aligne sur des possibilités réelles. Et l’air est chargé de la pestilence de la planification d’après-guerre. Dans tout cela, les Palestiniens n’existent pas.
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En voici un exemple. Le 10 janvier, Yinon Magal – qui a appartenu au même parti de droite dure que le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, et qui a fantasmé à l’antenne sur la possibilité de tuer à la mitraillette ses collègues journalistes « comme le faisait Rocky » (il voulait dire Rambo) – a diffusé une proposition et une pétition censées avoir été compilées par les habitants de l’Enveloppe de Gaza [zones peuplées du district sud d’Israël voisinant sur 7 km la bande de Gaza], le périmètre protecteur des villes que le Hamas a percé le 7 octobre. Selon ce projet, le territoire palestinien serait réduit à deux minuscules districts séparés autour de Khan Younès et Deir Al Balah, le reste de la bande étant entouré d’une zone militaire d’un kilomètre de largeur, les districts les plus au nord étant consacrés à un parc industriel et à une promenade en bord de mer. Des promenades sur la plage pour les Juifs, des ghettos pour les autres. Le fait que la pétition qui accompagne le projet ait à peine recueilli 3000 signatures n’a pas d’importance. Ses auteurs agissent pour plaire à Dieu, pas à l’électorat.
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Le ministre des Affaires étrangères, Israël Katz, a quant à lui utilisé son temps précieux devant les plus hauts diplomates européens (Euronews, 22 janvier 2024) non pas pour approuver un règlement politique durable, mais pour présenter un bricolage digne d’un Etat du Golfe : une île artificielle draguée sur la côte gazaouie pour servir de « plaque tournante commerciale ». Katz ne s’est pas soucié d’expliquer l’utilité d’un port offshore pour un peuple sans foyer, pas plus qu’il n’a semblé comprendre qu’il ne lui appartenait pas de développer le littoral. (Les apparatchiks de l’Union européenne qui ont dû assister à cette présentation vidéo étaient « perplexes », ce qui signifie en langage diplomatique « extrêmement énervés »).
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Il reste environ deux millions de Palestiniens à Gaza. Leur existence devient chaque jour plus tragique et plus désespérée, mais ils sont encore assez nombreux pour retarder sérieusement le retour des colons. Il y a des plans pour cela aussi. Les Services de renseignement, qui donnent des conseils non contraignants au gouvernement israélien, ont suggéré dans un document d’orientation (cinq jours seulement après l’offensive du Hamas) que toute la population soit expulsée vers une « zone désertique » dans le Sinaï (+972 Magazine, 30 octobre 2023). Des efforts de propagande parallèles permettraient de faire comprendre « qu’il n’y a aucun espoir de retour ». L’Institut Misgav (Misgav Institute for National Security and Zionist Strategy), un groupe de réflexion de droite lié au Likoud, a publié une proposition similaire pour le « transfert » forcé de toute la population. Apparemment, le petit groupe messianiste Build Israel a réussi à présenter son propre document à des élus américains (Israel Hayom, 29 novembre 2023) – dont Joe Wilson, allié de l’AIPAC-American Israel Public Affairs Committee et membre républicain du Congrès de Caroline du Sud – suggérant que l’aide étrangère à des pays comme l’Irak et la Turquie soit conditionnée à l’acceptation de milliers de réfugiés palestiniens. Dans une déclaration accompagnant ce plan, les conspirateurs ont déclaré qu’il s’agirait là des « voies correctes, morales et humaines pour la réinstallation de la population de Gaza ».
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En tout état de cause, il est acquis que moins de Palestiniens – sans compter ceux qui ont déjà été tués – vivront dans leur patrie une fois que les Israéliens en auront fini avec eux ! Appeler cela « moral et humain » ou une « migration volontaire » respire l’autodéfense préventive contre les entraves du droit international. Mais on peut faire confiance aux colons et à leurs alliés pour dire ce que d’autres n’oseraient pas. Lors de la conférence de Jérusalem du 28 janvier, le ministre israélien des Communications, Shlomo Karhi, a décrit exactement et clairement ce qu’ils entendent par là : « Volontaire », a expliqué Karhi, est « un état que vous imposez [à quelqu’un] jusqu’à ce qu’il donne son consentement ».
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Si Benyamin Netanyahou avait proposé des plans concrets pour l’avenir de Gaza, il y aurait moins de place pour les plans d’anéantissement sauvages des autres. Il ne l’a pas fait. Il ne fait aucun doute que lorsque le gouvernement dévoilera sa proposition, celle-ci contiendra la cruauté si ouvertement affichée ailleurs, simplement enveloppée dans le langage rassurant de l’apaisement et de la raison. C’est dans cette brèche que le mouvement des colons opère. « Netanyahou nous a laissé une ouverture », a déclaré Daniella Weiss le 28 janvier. « Il encourage cette pression. » Et c’est de Weiss et de son proche collègue Yossi Dagan, le maître de la Cisjordanie, que vient la véritable menace. Lorsqu’ils publient leurs cartes, avec des épingles soigneusement placées sur Gaza City, Khan Younès et Rafah, leur intention est étayée par des décennies d’expérience en tant que bras paramilitaire non officiel du projet israélien de construction de la nation.
Dans l’une des rares déclarations claires du gouvernement sur ses intentions d’après-guerre, le ministre de la Défense Yoav Gallant, fraîchement blâmé par la Cour internationale de justice [pour sa déclaration qualifiant les Gazaouis d’« animaux »], a déclaré qu’Israël ne réoccuperait pas la bande de Gaza. Il a également insisté sur la « liberté d’opération militaire », un régime de sécurité très semblable à celui de la Cisjordanie, qui rend la vie infernale aux Palestiniens et enhardit les colons qui les remplacent. L’expulsion des Palestiniens de leurs maisons et de leurs fermes en Judée et en Samarie commence généralement par la désignation d’un territoire comme « terre de prospection », « terre d’Etat », « zone militaire fermée » ou « zone de tir », catégories approuvées par les tribunaux et appliquées par l’armée. Dans un sens morbide, ce processus typiquement « faux-légal » a déjà été réalisé à Gaza par des bombes aveugles et de la dynamite, sans qu’aucun ordre ou mandat ne soit nécessaire.
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Toute région tampon ou ligne de défense entourant dans l’après-guerre la bande de Gaza est précisément la zone convoitée par les colons comme incubateur d’une nouvelle phase de reconquête, réappliquant leurs méthodes et leur formation exercées dans les environs de Jénine et d’Hébron, cette fois sur une terre pulvérisée et déracinée, vidée de sa population. Là, ils peuvent installer leurs avant-postes et leurs blockhaus, qui seront suivis par des enclaves fortifiées, et créer un fait accompli : un réseau de « banlieues » et de villes de garnison dotées d’infrastructures essentielles telles que des autoroutes, des stations d’épuration et des lignes électriques que la police et l’armée n’ont pas d’autre choix que de défendre. L’ancien chef du Mossad, Tamir Pardo, a déclaré : « Des conneries », en réaction au sous-titre de la conférence du 28 janvier : « La colonisation apporte la sécurité ». « Ils ne nous défendent pas, a-t-il ajouté, c’est à nous de les défendre. » Ce qui est précisément le but recherché.
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L’armée israélienne est un filet de sécurité. Equipés de fusils fournis par l’Etat, les colons ne vivent que pour l’occasion de provoquer des affrontements qui sont le prétexte pour s’emparer d’encore plus de terres, et de faire couler encore plus de sang. « La violence continue et systématique exercée par les colons, a déclaré l’ONG israélienne B’Tselem, fait partie de la politique officielle d’Israël. Elle conduit à la prise de contrôle massive des terres agricoles et des pâturages palestiniens. Il est tout à fait approprié à notre époque néolibérale – et c’est une inversion ironique de l’économie des start-up technologiques israéliennes – que l’avant-garde de la brutalité de l’Etat soit « externalisée », comme le dit l’universitaire Tareq Baconi, « auprès de ses pionniers coloniaux » (The New York Review, 3 mars 2023, « Enforcing Apartheid in the West Bank »). Une telle méthode « n’est pas une rupture du monopole de l’Etat sur la violence ; c’est la délégation de cette violence à des exécutants à la frontière ». Les colons se sont autoproclamés sentinelles des zones frontalières, à la fois guetteurs et avant-garde de l’Etat, alors même qu’ils se rebellent, avec une arrogance toute divine, contre le pays qu’ils espèrent étendre.
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L’aile politique des colons est beaucoup plus visible et puissante qu’elle ne l’était en 2005, lorsque des troupes ont été envoyées pour nettoyer des colonies comme le Gush Katif dans le cadre du « désengagement » de Gaza du gouvernement Sharon. A la Knesset, les personnages habituels comme Bezalel Smotrich et le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir sont aidés par plusieurs Likoudniks de la fraction dominante dans leur tentative d’amender la loi passée sur le désengagement pour permettre la libre circulation des Israéliens dans la bande de Gaza. Ben-Gvir, quant à lui, est tout aussi content de tirer avec une arme de poing sur des manifestants que de menacer de retirer son parti du Pouvoir juif du gouvernement d’urgence et de faire s’effondrer la coalition de Netanyahou. Ces types ne sont pas des dissidents, mais les porte-parole d’une idéologie cultivée dans les colonies, qui aujourd’hui ferment la boucle pour s’imposer dans le courant dominant. Etaient présents à la conférence du 28 janvier près de la moitié de la coalition gouvernementale et cinq ministres en exercice.
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Néanmoins, on nous répète de ne pas prêter attention à ces maniaques et à ces fous. Ce ne sont que des charlatans, ces colons, bruyants mais sans importance ; ne vous inquiétez pas et écoutez les adultes dans la salle. « Israël n’est pas sur le point de reconstruire des colonies dans la bande de Gaza », a déclaré le journaliste israélien Anshel Pfeffer, chef de file de l’école libérale et laïque [journaliste à Haaretz et membre de l’Institut Montaigne] ; les sondages ne les soutiennent pas, de toute façon – comme si les sondages d’opinion (ou la démocratie) importaient à ceux qui veulent hâter l’aube du jour du Jugement dernier. Pendant ce temps, les responsables des Etats-Unis affirment être très « troublés » par les menaces des colons et sont « sans ambiguïté » dans leur opposition, ce qui revient à dire qu’ils ne sont pas si troublés que cela. L’administration Biden a envisagé de sanctionner Ben-Gvir et Smotrich [en fait quelques sanctions contre certains colons criminels, sans effets effectifs]. Ce faisant, elle a donné un coup de pied dans la fourmilière des colons.
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Il n’est guère réconfortant de savoir que chacune de ces déclarations fanfaronnes faites par un ministre-colon finira sur la feuille d’accusation de La Haye, preuve de la violation par Israël de l’ordonnance provisoire de la CIJ de ne pas inciter au génocide. Les colons continuent d’agir comme si le droit international et national était aussi pertinent à leurs yeux que les vies palestiniennes. Dans leur guerre sur deux fronts contre la laïcité de l’Etat israélien et contre la nation palestinienne, ils complotent pour une « fin rapide », comme l’a dit Bezalel Smotrich dans son « Plan décisif » de détraqué, publié en 2017 : un aboutissement pour la phase de « gestion du conflit » qui a vu Netanyahou empêcher les efforts d’autodétermination pendant des décennies au prix de l’instabilité, et une fermeture complète sur la possibilité d’un règlement juste. Smotrich exige « la souveraineté totale d’Israël ». « Toute solution doit être basée sur la suppression de l’ambition de réaliser l’espoir national arabe entre le Jourdain et la Méditerranée. » Parler de « solutions » impliquant l’éradication ou le déplacement d’un peuple rappelle les plus mauvais souvenirs historiques, et il est presque de mauvais goût de mettre le mot « final » devant ce terme. Mais lorsque Smotrich et les colons disent qu’ils veulent que cet état de fait soit « irréversible », il est difficile de penser à autre chose.
James Robins