Faire l’union, même avec de tous petits partis, semble être devenu mission impossible à gauche. Il y a encore quelques jours, quatorze élu·es issu·es de différents mouvements signaient une tribune invoquant le risque d’une « conquête du pouvoir par Marine Le Pen en 2027 » et l’impératif d’enrayer une dynamique qui s’appuierait sur un score écrasant toutes les autres listes, au soir des élections européennes. Mais l’argument ne suffit toujours pas à triompher des logiques d’appareil, articulées de manière plus ou moins sincère à des divergences de fond.
Jeudi 22 février, deux événements sont apparus comme les ultimes soubresauts des tentatives de rassemblement électoral. En début d’après-midi, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) de Philippe Poutou et Olivier Besancenot
© Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart avec AFP et REA
Le NPA – qui a fait scission il y a peu, précisément en raison d’un désaccord sur cette possibilité d’alliance – avait pourtant levé ses réserves sur le volet « Europe » du programme de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Mais rien n’y a fait.
Plus tard dans la soirée, la perspective d’une alliance à gauche a été ranimée par un communiqué de Génération·s, le parti fondé par Benoît Hamon, historiquement très unitaire et débattant depuis plusieurs mois sur sa stratégie aux européennes. L’affaire a cependant pris un tour grotesque, à coups de bataille pour la maîtrise du compte X (ex-Twitter) du mouvement.
Pagaille à Génération·s
Le communiqué, cosigné par les coordinateurs Léa Filoche et Arash Saeidi, affirme que les militant·es ont voté majoritairement (59 % des quelque 450 suffrages exprimés, dans un parti qui revendique 1 500 adhérent·es) pour faire alliance avec la liste de LFI emmenée par l’eurodéputée Manon Aubry. Mais à peine les Insoumis s’étaient-ils félicités de ce ralliement que ce dernier a été désavoué par le « parlement » de Génération·s.
Léa Filoche et Arash Saeidi ont en effet été suspendus de leurs fonctions par cette instance. Le bureau exécutif du parti a repris les rênes, et affirmé dans un communiqué, pour le dénoncer, que les « ex-coordinateurs [ont] pris la responsabilité de communiquer en leur nom propre ». « Je suis toujours coordinateur, répliquait Arash Saeidi vendredi. Si Benoît Hamon veut me suspendre parce que j’ai consulté les adhérents sur la manière de construire une liste d’union, qu’il le dise ».
Le protocole d’accord entre LFI et Génération·s, que Mediapart a pu consulter, propose au parti hamoniste une place dans la direction de campagne, un·e candidat·e positionné·e « a minima à la 6e place sur la liste de l’Union populaire », et sa « liberté d’expression et d’action » est conservée. Des arguments non négligeables alors que l’option d’une alliance avec les Écologistes, « plus simple sur le plan programmatique, était moins-disante en termes de positionnement sur la liste », concède Sophie Taillé-Polian, députée Génération·s du Val-de-Marne.
Celle-ci dénonce toutefois un « coup de force » des coordinateurs et privilégie une autre hypothèse qui commençait selon elle à faire consensus à Génération·s : « Notre parti pourrait faire campagne de manière désintéressée, sans être sur aucune liste, pour appeler à voter malgré tout à gauche contre le RN, et défendre une perspective de rassemblement dans la foulée. »
« L’expression qui retient mon attention, c’est celle des adhérents qui ont voulu adresser un message. Libre à Génération·s d’en faire ce qu’elle en fait », observe à distance Paul Vannier, coresponsable des batailles électorales au sein du mouvement mélenchoniste, qui doit présenter sa liste le 16 mars.
Avec le NPA, l’invocation d’un différend sur l’Ukraine
Ces deux événements peuvent apparaître picrocholins, dans la mesure où ils impliquent des appareils qui ne comptent que quelques centaines de membres actifs et disposent d’un poids électoral marginal (Génération·s compte trois député·es siégeant dans le groupe écologiste à l’Assemblée nationale, tandis que le NPA n’en a aucun). Mais la faiblesse des enjeux en dit justement long sur la difficulté éprouvée par LFI à constituer une liste sinon commune, en tout cas rassembleuse de la gauche aux élections européennes.
Sur le papier, l’hypothèse avait du sens, dans un contexte de convergences programmatiques et d’un Rassemblement national (RN) puissant. Dans les faits, deux ans après la séquence unitaire de la Nupes en juin 2022, même la plus modeste des alliances s’apparente à la quadrature du cercle. Intérêts partisans, divergences stratégiques sur la recomposition de la gauche et désaccords de fond sur les questions internationales expliquent ce paradoxe.
Une incohérence de nos candidats sur cette question n’est pas possible.
En ce qui concerne le NPA, le refus de LFI est justifié par un désaccord sur la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne (UE). Les Insoumis y sont défavorables. Comme ils l’expliquent dans leur propre communiqué, le programme de la Nupes « posait comme objectif l’harmonisation sociale et fiscale au sein de l’Union européenne afin de tirer les droits vers le haut ». « Plutôt que de faire de fausses promesses d’adhésion intenables aux pays candidats, renforçons les coopérations avec les voisins de l’UE », défend Manon Aubry.
« Deux ans après le début de l’agression russe en Ukraine, alors qu’une série de têtes de liste en font déjà un sujet central de la campagne, une incohérence de nos candidats sur cette question n’est pas possible, explique Paul Vannier. Nous sommes opposés à l’entrée de l’Ukraine dans l’UE, et force est de constater que le NPA n’était pas sur cette position. »
Le NPA, lui, refuse en effet de rejeter la perspective d’une intégration de l’Ukraine, sans la soutenir complètement. « On serait plutôt sur une abstention, explique à Mediapart Christine Poupin, porte-parole du NPA. Nous avons des relations et des discussions avec des forces de gauche en Ukraine, qui subissent les effets du marché et qui espèrent avoir un peu plus voix au chapitre en adhérant à l’Union européenne. On essaye de comprendre leur point de vue, c’est une position internationaliste. »
Le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure a sauté sur l’occasion pour affirmer que la « perspective d’adhésion [devait] être maintenue sauf à favoriser les forces réactionnaires ».
Là où les choses se compliquent, c’est que LFI n’a pas toujours fait de cette question un casus belli. Les Écologistes, auxquels les Insoumis ont longtemps proposé la tête de liste, sont ainsi favorables à l’intégration de l’Ukraine dans l’UE. Le parti Génération·s, encore courtisé par LFI, partage lui aussi l’objectif d’un élargissement. Or dans le protocole d’accord existant entre les deux formations, le mot « Ukraine » n’apparaît même pas.
Quelle conception de l’union de la gauche ?
L’argumentaire de LFI sur l’Ukraine laisse donc sceptique la direction du NPA. « Le gouffre aurait été beaucoup plus important avec les écolos qu’avec nous sur cette question-là, où on a cherché à avoir des vraies discussions, regrette Christine Poupin. À l’arrivée, ça ressemble à un faux prétexte. »
C’est davantage pour des enjeux de perception externe de la liste que l’alliance avec le NPA pourrait avoir échoué, dans un contexte où toutes les organisations modérées avaient déserté l’union. Dans son texte d’orientation adopté en janvier 2024, LFI plaide ainsi pour une « liste ouverte » et pour « faire de chaque rendez-vous électoral [d’ici 2027] un rendez-vous d’adhésion avec notre programme de rupture et notre méthode d’implication populaire à la base ». L’idée d’un face-à-face avec le seul NPA aura mis le holà à son intégration.
Le député LFI Paul Vannier conforte cette explication, en analysant de la façon suivante la différence entre les deux formations : « Là où la position de LFI consiste à regrouper autour du programme de rupture de la Nupes avec une perspective majoritaire, de conquête de positions politiques, la position du NPA consisterait plutôt à construire un pôle de gauche radicale, dans une orientation stratégique différente de celle que nous voulons porter. »
« Ils ont sans doute estimé que ça les tirait trop de notre côté »,confirme Christine Poupin du NPA. Elle n’en regrette pas moins ce raté : « La réponse de LFI est un mauvais coup, pas contre nous, mais contre cette aspiration à l’unité de la gauche de combat qui dépasse nos simples rangs. »
La désunion actuelle […] est le fruit d’une responsabilité collective.
Du côté des responsables de Génération·s qui ne sont pas favorables à un accord avec LFI, c’est aussi sur la façon dont l’union se construit que les réticences sont fortes. « Dans le protocole d’accord avec LFI, il est demandé que l’alliance aille au-delà des européennes et concerne les élections municipales de 2026 et l’élection présidentielle suivante », remarque Sophie Taillé-Polian, qui craint entre les lignes de s’emprisonner dans un tête-à-tête avec LFI. En l’état, le texte inclut l’objectif d’« ancrer les dynamiques nées de la Nupes dans le plus grand nombre de communes possibles ».
« La désunion actuelle n’est pas le fait de telle ou telle formation, mais d’une conjonction d’actes politiques pris par les uns et les autres, témoigne Sophie Taillé-Polian. C’est le fruit d’une responsabilité collective. C’est pourquoi je ne souhaite donner le point à personne. Nous pouvons nous tenir à l’écart des logiques partisanes car nous n’avons pas de sortants. Profitons-en pour encourager à un travail en commun après le mois de juin. » Selon elle, le bureau exécutif de Génération·s travaille à un nouveau vote interne, plus satisfaisant, qui deviendra la véritable orientation stratégique du parti.
Du côté de LFI, les reproches des partenaires initiaux de la Nupes sont écartés pour mieux pointer la supposée résistance du « vieux monde ». « Il y a un refus complet de l’union de la part des appareils, déplore ainsi Paul Vannier, mais nous ne cesserons pas d’y œuvrer de la meilleure façon possible. L’intention n’a pas disparu, les périls sont trop grands. »
Mathieu Dejean et Fabien Escalona