On ne peut que se réjouir que Meloni l’arrogante et le piètre navire du gouvernement de droite se soient fracassés sur les rochers de la Sardaigne. Chaque événement et chaque erreur de la coalition réactionnaire au pouvoir qui affaiblit sa crédibilité et sa force est une bonne chose, surtout s’il favorise une réorganisation des forces qui s’opposent à lui et suscite un peu plus d’espoir de pouvoir construire dans le pays une opposition sociale et politique aux choix du gouvernement et du capital qu’il représente.
Les considérations positives, y compris bien sûr la satisfaction légitime de la majorité des citoyen.ne.s sardes de ne pas voir une personne comme Truzzu à la présidence de la région, s’arrêtent cependant ici ; non seulement parce qu’une hirondelle (et une toute petite) ne fait pas le printemps, mais parce que ce qu’il faut, ce n’est pas seulement et pas tant l’unité institutionnelle et électorale des forces d’opposition, par ailleurs très modérées et dont les programmes politiques sont bien insuffisants, tout en portant une grande responsabilité, en raison de leur action passée et de leur politique au gouvernement, dans la dégradation politique du pays et dans la crédibilité acquise par la droite (même si elle est minoritaire), mais bien un mouvement social, politique et revendicatif d’ensemble des classes laborieuses, sans lequel nous n’irons nulle part, et encore moins vers un renouveau printanier.
En outre, le vote sarde lui-même met en évidence et confirme un certain nombre de considérations politiques et démocratiques essentielles. La première est que la moitié de l’électorat est tellement désabusée, éloignée et désintéressée de la compétition électorale qu’elle ne va même pas voter, un état de faiblesse de la démocratie qui non seulement ne peut être ignoré comme l’ont fait les médias, mais doit au contraire être souligné.(...)
L’alliance PD-M5S a gagné grâce aux erreurs de la droite, grâce à la capacité d’Alessandra Todde de présenter une liste avec un visage neuf et renouvelé, attentive aux problèmes d’une région historiquement malmenée, mais elle a gagné avec un écart de moins de 2 000 voix et un pourcentage à peine supérieur à 45 % : 330 000 électeurs par rapport aux 1 447 753 citoyens ayant le droit de vote, c’est-à-dire avec environ 22 % !
Ce fait n’est pas nouveau, il caractérise les « victoires » de tous les vainqueurs, quels qu’ils soient, tant aux élections politiques qu’aux élections régionales et municipales, car il est le résultat des systèmes électoraux mis en place par la droite et le centre-gauche au fil des ans, des mécanismes profondément antidémocratiques conçus pour assurer la capacité de gouverner de la classe dirigeante au détriment de la représentation politique légitime des citoyen.ne.s. Un système qui vise à exclure les partis politiques de la scène politique et à les empêcher de participer aux élections. Un système qui vise à exclure des institutions les minorités politiques, même les plus visibles, et surtout une gauche de classe et de combat.
Nous nous trouvons face à une démocratie « représentative » qui n’est qu’un simulacre. Les extrêmes droites, pourtant minoritaires dans le pays, ont pu profiter de ce système électoral (profitant aussi de la nullité du PD et du M5S), pour conquérir une hégémonie numérique absolue au parlement et exercer un pouvoir qui vise aussi à construire une hégémonie politique idéologique dans de larges couches de la population.
Pour en rester au système électoral spécifique de la Sardaigne, celui qui obtient plus de 40 %, même avec une seule voix d’écart, obtient une majorité de 60 % au conseil régional ; cela va jusqu’à exclure de la représentation de façon absurde même une coalition qui n’atteint pas 10 % ou une liste qui fait moins de 5 %. Il n’est pas étonnant que la moitié de l’électorat trouve tout à fait inutile de se rendre dans les bureaux de vote.
Mais ces remarques sur les lois électorales antidémocratiques, voire anticonstitutionnelles, ne font que mettre en évidence le processus de régression de la démocratie bourgeoise et de ses institutions telles que nous les avons connues depuis la Seconde Guerre mondiale. Face aux contradictions capitalistes et au libéralisme dominant, on assiste depuis des années à une restriction des mécanismes démocratiques, et pas seulement des droits sociaux. Les exécutifs, de plus en plus incontrôlés et dominants, prennent le pouvoir ; la démocratie réelle s’étiole et même la démocratie représentative devient de plus en plus formelle, voire autoritaire. Suite à la dégradation des pouvoirs parlementaires et à la mise en place de systèmes électoraux faussés, l’autonomie différenciée et le présidentialisme/premierministrisme sont l’aboutissement pernicieux de ce processus.
Tout cela nous amène à une seule conclusion, à savoir que la véritable partie, celle qui se rapporte aux rapports de forces entre les classes, tant politiques que sociales, se joue et se jouera sur le terrain de la lutte sociale, de la lutte des classes, d’autant plus que les droites extrêmes ont pour objectif de conserver le gouvernement et de renforcer leur hégémonie sur la société, non seulement par leur propagande tous azimuts et la division des différents secteurs de la classe ouvrière, mais aussi grâce à leur marque de fabrique, la politique de la matraque et l’utilisation d’instruments répressifs, ceux hérités des gouvernements précédents et les nouveaux dont elles se sont abondamment dotées au cours des 15 derniers mois.
Aussi voulons-nous concentrer notre attention sur la construction des mouvements sociaux et en particulier sur l’absolue nécessité d’un mouvement social et syndical qui reparte résolument de l’essentiel, la défense des salaires, de l’emploi, de la santé, de l’école et de la protection sociale pour tous, contre la logique du profit et, bien sûr, contre le réarmement et la guerre.
Les échéances électorales du printemps prochain seront certes importantes, mais telle est la boussole qui permettra de les apprécier et d’y faire face.
Franco Turigliatto Sinistra Anticapitalista (Gauche anticapitaliste)