Sur le plan informatif il faut retenir que l’entente de principe a été entérinée par environ 75% (74,8% pour être plus précis) des syndiqué.es du Front commun CSN-CSQ-FTQ-APTS qui se sont déplacé.es pour aller voter. Il y a six tables de négociation à la CSQ qui n’ont toujours pas finalisé leur négociation sectorielle (du côté du Grand Nord du Québec) et une fédération qui a rejeté l’entente de principe (FSQ-CSQ). Du côté de la FTQ, il y a un groupe (le Syndicat des employé.es professionnelles et professionnels et de bureau (SEPB)) qui a rejeté l’entente de principe.
Les porte-parole du Front commun intersyndical estiment avoir fait des gains sur le plan de certaines conditions de travail (retraite, vacances, bonification des cotisations de l’employeur aux assurances, etc.) et également de la rémunération (17,4% sur cinq ans avec une clause d’indexation maximale de 1% par année pour les trois dernières années de la convention collective plus des primes ou des avancements rapides dans les échelons pour certain.es salarié.es, une majoration salariale de 10% pour les psychologues etc..
Des concessions ont été faites par la partie syndicale pour arriver au compromis négocié. Ce sont certaines de ces concessions qui semblent être à l’origine de l’insatisfaction de certains groupes de salarié.es syndiqué.es. Ces salarié.es se considèrent comme étant sous valorisés par l’État employeur. Il s’agit d’employé.es de soutien, de concierges, de certain.es techniciennes et techniciens et nous en passons. Pour l’essentiel, l’obtention d’une entente de principe négociée a impliqué que les porte-parole du Front commun intersyndical renoncent au rattrapage salarial et qu’elle et qu’ils acceptent des augmentations différenciées tant dénoncées du côté syndical tout au long des quatorze mois de la négociation. Il a fallu également accepter, du côté syndical, une modification importante à la liste d’ancienneté dans le réseau de la santé.
Il aurait été intéressant d’entendre, lors de cette conférence de presse, qui, parmi les 420 000 membres du Front commun intersyndical, a obtenu plus que le 17,4% d’augmentation salariale ? Combien de postes vont être créés en vue d’améliorer les services à la population ? Combien de postes présentement précaires vont être convertis en postes à temps complet ? En quoi la présente ronde de négociation comporte-t-elle des gains salariaux et des améliorations des conditions de travail pour les femmes à l’emploi de l’État ? Il ne faut quand même pas oublier que ce sont autour de 75% de femmes qui sont à l’emploi des secteurs public et parapublic. Pas une seule fois, durant la rencontre avec les journalistes, le mot femme a été prononcé.
Nous aurions également aimé savoir qui a décidé, parmi les porte-parole syndicaux, que le « bottom line » d’augmentation salariale se situait à 17,4% sur cinq ans ? Pourquoi 17,4% sur cinq ans (accompagné de la clause très minimale d’indexation de 1% maximum pour les trois dernières années) alors que les député.es se sont voté.es 30% plus les augmentations du secteur public et parapublic ? Bref, qui a décidé parmi les porte-parole syndicaux qu’il était impossible d’obtenir plus en exerçant le moyen de pression ultime : la grève générale illimitée ?
La présente ronde de négociation avait un caractère nous disait-on historique, elle correspondait au cinquantième anniversaire du mythique Front commun de 1971-1972, celui du 100,00$ par semaine en faveur du « monde ordinaire ». En quoi le « monde ordinaire » [1] toujours à l’œuvre et très présent au sein des secteurs public et parapublic, sort-il grandi de la plus récente ronde de négociation et surtout mieux valorisé sur le plan de la rémunération ?
L’avenir passe-t-il vraiment par les « Forums de discussion » ?
Lors de cette conférence de presse il nous a été permis d’entendre Magali Picard (FTQ), François Enault (CSN), Éric Gingras (CSQ) et Robert Comeau (APTS) nous répéter qu’elle et qu’ils sont prêt.es, en vue d’améliorer les services à la population, à s’engager rapidement dans une démarche bipartite avec le gouvernement dans le cadre de Forums de discussions. Est-il nécessaire de rappeler que le concept de « Forums de discussion » a été rejeté du revers de la main à deux reprises par la partie syndicale. Il faut donc comprendre que les porte-parole syndicaux sont maintenant disponibles et prêt.es à s’investir dans une sorte de « négociation permanente » avec le gouvernement autour des « problématiques » spécifiques aux secteurs public et parapublic. Les personnes qui participeront à ces forums « jaseront » des problèmes rencontrés en vue de trouver des solutions. Bonne chance aux participant.es et souhaitons à toutes et à tous qu’une telle démarche fonctionne. Jusqu’à maintenant le concept de « négociation permanente » (sans possibilité d’exercer des moyens de pression) et le bipartisme ou le tripartisme ont été un miroir aux alouettes (une chose aux apparences attrayantes, mais trompeuses ou décevantes en réalité).
Pour conclure
Nous maintenons que ce ne sera pas avant la fin du mois de mars 2028 qu’il sera possible de dire si le présent exercice de négociation et le compromis négocié (qui n’a pas suscité une vague irrésistible et débordante d’appui en sa faveur) vont contribuer à attirer et à maintenir en poste celles et ceux qui dispensent les services à la population. Nous avons déjà écrit que l’entente de principe du 28 décembre 2023 comportait des éléments en rupture avec les orientations néolibérales auxquelles adhéraient les différents gouvernements qui se sont succédé au Québec depuis la fin des années soixante-dix du siècle dernier jusqu’à tout récemment. Nous maintenons par contre que la présente ronde de négociation n’a pas permis de sortir de la misère certains salarié.es syndiqué.es qui vont continuer à vivre avec de faibles revenus en provenance de leur travail et plusieurs vont occuper un emploi à statut précaire.
Nous verrons également si la demande syndicale unanime de la mise en place de forums de discussion est réellement porteuse d’une nouvelle ère dans les secteurs public et parapublic : l’ère de la fin du dissentiment [2] ou la fin des conflits. Si tel est le cas, il faudra se dire que nous nous retrouverons sous peu dans un Nouveau Monde : celui où les rêves frais des nouveaux leaders et leurs utopies les moins radicales constituent la base de la détermination des rapports collectifs de travail, rapports collectifs de travail complètement « déconflictualisés ». Il va de soi que dans un tel monde, la critique tous azimuts sera inutile. Qui vivra verra…
Yvan Perrier
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