Marche d’ouverture du FSM, Katmandou, 15 février 2024 Ofxam Asia
Sergio Ferrari - Quel bilan tirez-vous de cette nouvelle édition du Forum social mondial ?
Eric Toussaint - Il a été très positif, principalement en raison de la participation de secteurs populaire très divers et parmi les plus opprimés. Je pense notamment aux Dalits, la caste des intouchables, aux peuples natifs et indigènes, historiquement marginalisés mais très organisés, aux forces syndicales, à de nombreuses féministes issues des classes populaires.
La majorité était originaire du Népal et d’Inde. Les organisateur·ices ont compté 18 000 inscriptions (de plus de 90 pays, ndlr) et lors de la manifestation d’ouverture du jeudi 15, entre 12 et 15 000 participant·es se sont mobilisé·es.
Cependant, le FSM en tant que tel n’a pas atteint la même représentation qu’au cours de sa première décennie d’existence, depuis sa fondation à Porto Alegre, au Brésil, en 2001. Il y avait très peu de participant·e·s venant d’Europe, d’Amérique latine ou d’Afrique. Bref, un bon niveau de participation régionale mais une faible présence des autres continents. Cela montre les difficultés du FSM à prendre des initiatives globales ayant un impact réel.
Où en est le FSM aujourd’hui ?
Nous percevons une réalité contradictoire. D’une part, le Forum social mondial ne constitue plus une véritable force d’attraction et de propulsion. D’autre part, c’est le seul espace de rencontres altermondialistes qui perdure au niveau mondial. C’est pourquoi il est encore important pour des réseaux internationaux comme le CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, ndlr) d’y participer.
Je suis convaincu que, si le FSM avait une force réelle – telle que nous l’avons obtenue en février 2003, lorsque nous avons appelé à de grandes mobilisations pour la paix et contre la guerre en Irak – son pouvoir serait aujourd’hui significatif : à la fois pour faire face au génocide en Palestine et pour aider à construire un large frein à la croissance de l’extrême droite que l’on peut observer dans de nombreuses régions du monde.
Si le FSM ne parvient pas à être une telle force, que devraient faire les secteurs progressistes ?
Je pense que la formule d’un FSM avec seulement des mouvements sociaux et des ONG mais sans partis politiques progressistes (comme défini dans la Charte de principe de 2001) ne permet pas une organisation adéquate de la lutte contre l’extrême droite.
Face à la montée de l’extrême droite et des projets fascistes, il faut chercher un autre type de convergence internationale. Dans ce sens, le CADTM, avec d’autres acteurs sociaux, a contacté le PSOL (Parti Socialisme et Liberté) et le PT (Parti des Travailleurs) de Porto Alegre, berceau du Forum Social Mondial depuis 2001, pour proposer la création d’un Comité d’organisation qui convoquerait une réunion internationale en mai pour discuter de la marche à suivre, en vue d’une grande réunion dans un an.
Des acteurs importants, tels que le mouvement brésilien des travailleurs sans terre (MST), pourraient y participer activement. S’ils ont réussi à se libérer de Jair Bolsonaro au Brésil, avec une large alliance politique et sociale, il est essentiel d’en tirer des leçons politiques concrètes. Le Forum social mondial pourrait continuer, mais nous sommes convaincu·es qu’un nouveau cadre unifiant toutes les forces capables de se mobiliser est nécessaire.
Il y a des initiatives comme l’Assemblée mondiale des peuples qui réfléchissent déjà dans ce sens…
Bien sûr, elle devrait être impliquée et jouerait un rôle. Mais nous avons besoin d’une nouvelle initiative de front uni plus large. Sa construction serait large et diverse, incorporant des courants allant de la 4e Internationale à la social-démocratie, en passant par l’Internationale progressiste, à travers toute la gamme des sensibilités de gauche. Ainsi que des organisations et personnalités progressistes aux États-Unis (par exemple Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez, le syndicat automobile UAW qui a remporté une victoire importante en 2023). Et des partis et mouvements de gauche d’Europe, d’Afrique, d’Asie et de la région arabe.
Il est nécessaire de convaincre le plus grand nombre de forces possible, y compris celles qui doivent surmonter les différences et les divisions historiques, et qui comprennent et acceptent le grand défi prioritaire du moment, à savoir la lutte contre l’extrême droite.
Nous savons qu’un tel appel ne sera ni simple ni facile à concrétiser : il exige une grande générosité et une forte volonté politique. La complexité du moment historique et les dangers qui pèsent sur l’humanité et la planète nous imposent d’essayer d’y arriver.
Sergio Ferrari