La personne du roi Mohammed VI reste un sujet tabou au Maroc. Pour l’avoir oublié, le journaliste Ahmed Benchemsi, directeur des magazine Nichane (en arabe) et Tel quel (en français) comparaîtra en justice le 24 août. Nichane a été retiré des kiosques samedi, et Tel quel n’est pas sorti de l’imprimerie. Entendu lundi pendant plus de vingt heures, Ahmed Benchemsi a été inculpé de « manquement au respect dû à la personne du roi ». Il risque trois à cinq ans de prison.
Politesse. Le journaliste venait de signer un double éditorial, en français et en arabe, où il critiquait les propos du roi Mohammed VI lors de son dernier discours. « Ahmed y parlait de réforme constitutionnelle, critiquait la concentration des pouvoirs au sommet de l’Etat et posait la question de la réelle utilité des élections législatives, explique Driss Bennani, journaliste à Tel quel. Mais ces thèmes ont déjà été abordés maintes fois par la presse indépendante. » Il semble que ce soit surtout la version arabophone de l’éditorial qui ait mis le feu aux poudres. Ahmed Benchemsi a utilisé le darija, l’arabe dialectal marocain, pour interpeller le souverain. Un langage familier, très direct, sans formule de politesse.
« Il y a une totale contradiction entre le discours officiel, où l’on vante les avancées de la démocratie, et les attaques régulières dont sont victimes les journaux indépendants », s’insurge Hajar Smouni, responsable du Maghreb pour Reporters sans frontières. En janvier, un dossier consacré aux blagues marocaines sur la politique, le sexe et la religion avait déjà valu à Nichane une interdiction de deux mois. La journaliste à l’origine de l’article et le rédacteur en chef de l’époque avaient été condamnés à des peines de prison avec sursis et à de fortes amendes. Un an auparavant, un autre titre indépendant, le Journal hebdomadaire, avait été condamné à une amende de 300 000 euros pour diffamation à la suite d’un procès très critiqué.
Les atteintes à la liberté de la presse se multiplient ces dernières semaines. Le directeur et un journaliste d’ Al Watan al An, un hebdomadaire spécialisé dans la révélation d’affaires militaires, comparaissent actuellement devant le tribunal de Casablanca pour avoir publié des documents confidentiels sur la lutte antiterroriste. Le directeur du journal Al Ousbou est pour sa part poursuivi pour « diffusion, de mauvaise foi, de fausses nouvelles ». Pour Ahmed Benchemsi, « nous assistons à une offensive généralisée contre la presse menée par les autorités, qui font preuve d’une fébrilité extrême ».
Ali Amar, directeur du Journal hebdomadaire, partage cette analyse. Il accuse le gouvernement de « terroriser la chaîne de production de la presse indépendante ». « Selon le code de la presse, en cas de défaut du directeur de la publication ou du rédacteur en chef, la responsabilité de l’imprimeur pourrait être engagée, précise-t-il. On cherche à créer un filtre de censure supplémentaire. »
Ces pressions aboutissent à créer des réflexes d’autocensure. Le directeur commercial de l’imprimerie Idéale, qui édite les titres dirigés par Ahmed Benchemsi et le Journal hebdomadaire, a été convoqué dimanche par la police. Echaudé, l’homme aurait dès le lendemain hésité à distribuer le Journal hebdomadaire, en découvrant la couverture : une photo des années 40 montrant la poitrine d’une jeune femme. « Il a alors décidé d’envoyer une copie du magazine aux autorités afin de recevoir leur autorisation, affirme Ali Amar. N’ayant aucune réponse, il a fini par décider de le distribuer malgré tout lundi soir. »
Réimpression. De leur côté, les journalistes de Nichane et de Tel quel soutiennent que les deux titres seront réimprimés sans l’éditorial contesté. « Nous avons déjà perdu près de 120 000 euros dans l’affaire », confie Driss Bennani.
A un mois des législatives, le 7 septembre, on s’interroge sur la véritable raison de ces attaques. « Le gouvernement espère bien faire rentrer les journaux indépendants dans le rang, analyse Ali Amar. Ils ne veulent surtout pas que l’on remette en cause la transparence de ces élections ou que l’on émette des doutes sur la démocratie. »
* Paru dans le quotidien Libértion le 8 août 2007.
Le Maroc poursuit à tour de bras la presse indépendante
Après avoir fait saisir les magazines « TelQuel » et « Nichane », le régime de Mohammed VI inculpe le directeur des deux hebdos. Cette nouvelle affaire témoigne d’un durcissement du régime à l’égard de la presse.
Par Arnaud Vaulerin avec AFP
A un mois des élections législatives, l’affaire jette une nouvelle ombre su les relations détestables entre la presse indépendante et le royaum marocain de Mohammed VI
Le directeur des magazines marocains Tel Quel (francophone) et Nichane (arabophone) saisis ce week-end a été inculpé lundi de « manquement au respect dû à la personne du roi » mais comparaîtra libre à son procès qui doit s’ouvrir le 24 août. Samedi et dimanche, Ahmed Benchemsi avait été interrogé durant vingt heures par la police. Avant d’être présenté à un procureur de Casablanca, Ahmed Benchemsi avait reproché aux autorités d’avoir lancé une « offensive généralisée contre la presse ».
Lundi, Ali Ammar, directeur du Journal Hebdomadaire a également accusé le pouvoir de « terroriser la chaîne de production de la presse indépendante » après le retard de plusieurs heures constaté dans l’impression de l’édition de lundi : l’imprimeur affirmait vouloir obtenir l’aval du ministère de la Communication. La directrice générale de ce ministère a cependant « catégoriquement démenti avoir demandé ou reçu un tel exemplaire pour avis. C’est absolument faux », a affirmé à l’AFP Fatiha Layadi. L’éditorial d’Ahmed Benchemsi, écrit en darija (dialecte arabe marocain) sur le mode de l’interpellation, critiquait les propos du roi Mohammed VI lors de son discours du trône prononcé le 30 juillet, concernant les élections législatives du 7 septembre. En revanche, aucune poursuite n’a été engagée contre Nichane pour son dossier intitulé Le sexe dans la culture islamique, illustré de tableaux de peinture et accompagné de citations d’anciens poètes et auteurs arabo-musulmans sur la sexualité.
Lundi, le Comité de protection des journalistes a condamné la saisie et la destruction partielle des magazines, samedi : un « acte flagrant de censure », selon l’ONG américaine de défense de la presse. En juillet, CPJ avait déjà indiqué que le royaume marocain était « l’un des Etats au monde où la liberté de la presse avait particulièrement régressé ces dernières années ».
En janvier, deux journalistes de Nichane avaient été condamnés à trois ans de prison avec sursis et une amende de 80.000 dirhams (7.220 euros) pour avoir publié un dossier intitulé « Comment les Marocains rient de la religion, du sexe et de la politique ». Ils avaient été condamnés pour « diffamation envers l’islam et la monarchie ».
« C’est vraiment le retour aux années 70 où toutes les publications marocaines devaient être soumises à la censure préalable », a affirmé pour sa part Ali Ammar, le directeur du Journal Hebdomadaire. Cet hebdo, ainsi que TelQuel et Nichane sont fabriqués par l’imprimerie Idéale à Casablanca. Interrogé par l’AFP, le patron de l’imprimerie Youssef Ajana a confié avoir envoyé « pour avis et par précaution » au ministère de la Communication un exemplaire du Journal Hebdomadaire.
Il a ensuite, de son propre chef, décidé d’imprimer le magazine. Le Journal Hebdomadaire présentait cette semaine un numéro spécial de 100 pages sur « un siècle de révolution sociale au Maroc à travers la photographie ».
En outre, le directeur et un journaliste d’Al Watan al An, sont inculpés après la publication le 14 juillet d’un dossier intitulé « les rapports secrets derrière l’état d’alerte au Maroc », en citant des « documents confidentiels ». Le procès doit se poursuivre mardi devant le tribunal correctionnel de Casablanca qui a maintenu en détention le journaliste Mustapha Hormatallah et laissé en liberté provisoire le directeur Abderrahim Ariri.
Mardi également se poursuit le procès du directeur de l’hebdomadaire Al-Ousbou, Mustapha Alaoui, inculpé pour « diffusion, de mauvaise foi, de fausses nouvelles », à propos des négociations entre le royaume marocain et le Polisario sur le Sahara occidental. La couverture des élections législatives risque d’être très compliquée pour la presse marocaine.
* LIBERATION.FR : mardi 7 août 2007.