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« il n’y a pas d’argent magique… c’est vos enfants qui le paie quand ce n’est pas vous »
E.Macron répondant à une aide-soignante du CHU de Rouen qui l’interpelait sur le manque de moyens de l’hôpital le 5 avril 2018
« la santé n’a pas de prix, le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance , pour prendre en charge les malades , pour sauver des vies quoiqu’il en coûte »
« ...la santé gratuite, sans condition de revenu de parcours ou de profession, notre Etat Providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux…. »
E. Macron intervention télévisée du 12 mars 2020 alors que débutait la pandémie du COVID 19
« Il n’y a pas d’argent magique, ni dans la santé ni ailleurs ». « les médecins, les médicaments ça ne coûte pas rien »
E.Macron, justifiant le doublement des franchises médicales, conférence de presse du 16/01/2024
Le 13 janvier 2024, lors d’un de ses premiers déplacements, au CHU de Dijon, le Premier ministre fraîchement nommé G.Attal déclarait : « Parmi les problèmes à résoudre, l’hôpital est en haut de la pile ». Il ajoutait que le « prochain budget que mon gouvernement aura à présenter sera un budget historique pour l’hôpital public ». Il annonçait « trente-deux milliards d’euros supplémentaires » pour la santé dans les cinq ans à venir.
Ces annonces laissaient-elles présager une inflexion de la politique de santé de l’exécutif français ?
On aurait pu l’espérer à l’heure où chaque jour apporte son lot d’informations sur la crise du système de santé. Dans les services d’urgence saturés, des patients restent en attente des heures et même des jours sur des brancards et parfois y meurent. Le manque de lits et de personnel dans les hôpitaux est général. Sur des territoires entiers, il devient très difficile d’accéder à un médecin généraliste ou spécialiste, ce sont les « déserts médicaux ». L’accès aux soins de toutes et tous devient très difficile.
Il ne fallut que quelques heures pour dégonfler la baudruche. Les trente-deux milliards promis par le Premier ministre n’avaient rien de « supplémentaires » puisqu’ils figuraient déjà dans la loi de programmation des finances publiques votée en décembre 2023. Ils ne concernaient pas seulement l’hôpital, mais l’ensemble de la santé. Arnaud Robinet, président de la Fédération Hospitalière de France [1], élu dont le parti appartient de la « majorité présidentielle » s’exclamait : « Arrêtons ces effets d’annonce qui n’en sont pas du tout, c’est véritablement jouer avec les nerfs des hospitaliers et des acteurs du monde de la santé. ».
Quelques jours plus tard, la déclaration de politique générale du nouveau premier ministre n’évoquait plus aucun moyen supplémentaire pour l’hôpital, et ne proposait que quelques bricolages organisationnels pour remédier à la crise du système de santé.
Après que cinq ministres se soient succédés au ministère de la santé, depuis son arrivée au pouvoir, E. Macron, a envoyé une série de messages clairs sur ses intentions. Il n’existe plus dans le nouveau gouvernement qu’un sous ministre « délégué » à la santé, F. Valletoux sous la coupe de la ministre, Catherine Vautrin une proche de l’ancien président de droite Nicolas Sarkozy, connue pour ses prises de position anti-avortement et anti-mariage homosexuel.
La santé a occupé une place significative dans la conférence de presse présidentielle du 16 janvier 2024 censée « fixer le cap » du nouveau gouvernement pour les prochains mois. E. Macron , a affiché sa volonté d’accentuer les orientations libérales suivies jusqu’à présent. Aucun moyen supplémentaire n’est prévu. Les difficultés seraient, selon le président, en train de trouver des solutions grâce à une meilleure organisation et une « responsabilisation » des usagers par l’argent. Une des annonces phares de cette conférence de presse est l’accord donné au doublement des « franchises » médicales (la part non remboursable des médicaments, examens de laboratoires, consultations médicales). Un pas de plus vers le rationnement des soins par l’argent.
En dépit de ses échecs dans la lutte contre la pandémie du COVID19, de la détérioration du système de santé et de l’aggravation des difficultés d’accès aux soins, le chef de l’exécutif français, persiste dans la voie des contre-réformes. L’absence d’une alternative et d’une riposte à la hauteur de la part du mouvement social et ouvrier lui en laisse, pour l’instant, la possibilité.
I) Les échecs du libéralisme autoritaire face au COVID
Après le premier confinement, le pouvoir reprend la main. [2]
En avril-mai 2020, alors que la France sortait de la première vague de la pandémie et de deux mois de confinement, une forte mobilisation s’était développée dans tout le pays. Elle réunissait à la fois les personnels hospitaliers envoyés « au front », sans moyens et sans protection et de larges secteurs de la société, conscients que les politiques menées par les gouvernements successifs avaient entravé la riposte au COVID 19. Ces mobilisations exigeaient que la santé et l’hôpital public soient enfin reconnus comme une véritable priorité : le « monde d’après », selon l’expression utilisée à cette époque ne devait pas être un retour au « monde d’avant ».
Commencées sous forme de rassemblements devant les hôpitaux les actions sont montées en puissance jusqu’au 16 juin 2020 ou 120 000 personnes dont 20 000 à Paris ont pris part à 220 rassemblements et ont participé à des manifestations réunissant personnels de santé et usagers
Cette mobilisation se nourrissait d’une forte défiance vis-à-vis du pouvoir exécutif, et en premier lieu du chef de l’Etat, qui s’était mis en scène comme « chef de guerre » omniscient contre la pandémie. Les failles et les échecs de sa politique étaient patents et les mensonges répétés de son gouvernement pour tenter de les camoufler n’étaient que trop visibles. L’incapacité à fournir des masques à la population et aux personnels de santé, accompagnée des affirmations des ministres sur leur inutilité voire leur dangerosité en avaient été le symbole.
La déclaration présidentielle au plus fort de la crise, selon laquelle « la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession ne sont pas des coûts ou des charges ; mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe » et l’affirmation « qu’il des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » allaient tellement à l’encontre de la politique menée jusqu’alors qu’ellesn’avaient guère convaincu. Il ne fallut que quelques semaines pour constater le décalage entre ces « éléments de langage » du pouvoir et la réalité de ses décisions.
Le gouvernement répondit à la mobilisation montante, par l’organisation d’une « concertation », appelée le « Ségur de la santé » [3]. Elle consista, au prix de concessions sur les rémunérations des personnels hospitaliers (imposées par le rapport de forces) [4], à ne rien céder sur le fond des politiques libérales : austérité et privatisations.
La signature du « Ségur » par trois fédérations syndicales, l’aspiration à retrouver une vie sociale normale après deux mois de confinement, s’ajoutant à l’épuisement des équipes hospitalières, ont permis alors au pouvoir de reprendre l’initiative. La poursuite de la dégradation du système de santé, faute de mobilisations à la hauteur des enjeux, en a été la conséquence.
Les classes dirigeantes mondiales face à la pandémie
Début mai 2023, l’OMS a déclaré la fin de l’épidémie mondiale de COVID 19 en tant « qu’urgence de santé publique internationale », même si le virus circule et tue toujours. En trois ans, la pandémie aurait causé dans le monde, selon le bilan officiel (reconnu comme sous-estimé) 7 millions de morts dont 168 000 en France.
Le bilan humain, sanitaire et social, très élevé de cette crise mondiale, malgré la mise au point rapide de vaccins, n’était pas une fatalité. Il est la conséquence des choix politiques, sanitaires et sociaux des classes dominantes de la planète et de leur personnel politique. La pandémie les a placés face à des impératifs contradictoires.
D’une part les exigences de l’accumulation du capital supposaient la continuité de la production. Cela impliquait le maintien à leur poste de travail d’une grande partie de celles et ceux qui contribuent à cette production au risque de leur santé et de leur vie.
Cette exigence s’est pourtant heurtée à la réalité. Face à un virus contagieux et virulent, la circulation mondiale des personnes et des marchandises, la concentration de travailleurs sur les lieux de travail, dans les transports en commun, avec souvent des protections très réduites a accéléré la propagation de l’épidémie. Il en a résulté la multiplication des contaminations, des arrêts de travail parfois longs, des hospitalisations saturant les systèmes de santé et une résistance des premierEs concernéEs à être sacrifiéEs sur l’autel des profits. La conséquence en fut un freinage voire une paralysie de la production.
Contrairement aux affabulations complotistes répandues sur les réseaux sociaux, la pandémie n’a pas résulté d’une volonté consciente des ceux qui gouvernement le monde. Elle a, au contraire, représenté une menace directe pour le fonctionnement du système capitaliste que les classes dominantes et les gouvernements ont tenté d’éliminer. Les sommes considérables d’argent public investies pour la mise au point et la production rapide de vaccins en témoignent. Mais les méthodes utilisées, déterminées par les choix de classe de ces gouvernements, ont largement rendu ce combat inefficace. Le prix à payer a été très élevé pour la grande majorité de la population tant sur le plan sanitaire que social et démocratique. Le « laissez faire » criminel et « l’immunité collective » de Trump et Bolsonaro, d’une part ; le « zéro COVID » accompagné d’un confinement policier insupportable de Xi Jin Ping de l’autre, en sont les illustrations extrêmes.
En France, les échecs répétés du libéralisme autoritaire
La politique menée en France a été elle aussi marquée par les choix de classe du pouvoir. Le libéralisme autoritaire d’E. Macron y a freiné et affaibli le combat contre le COVID 19.
Il s’est traduit par le quadruple choix
1) De maintenir à tout prix la production, sans assurer la meilleure protection possible des travailleurs, avec pour effet les contaminations massives sur les lieux de travail dans les écoles et les transports.
2) D’instaurer une gestion autoritaire et répressive de la crise plutôt que démocratique et participative. Liberticide, cette option s’est avérée en premier lieu inefficace.
3) De rejeter toute incursion, dans le droit de propriété quitte à sacrifier l’intérêt collectif. Le refus d’agir pour la levée effective des brevets et de réquisitionner l’industrie pharmaceutique pour produire les vaccins en sont les exemples les plus frappants.
4) De poursuivre les contre-réformes de la protection sociale et de la santé, au prix de la santé des malades (du COVID, et les autres).
Garantir les profits avant la santé
Dès le premier confinement, outre les personnels de santé, les travailleuses et travailleurs du commerce, du nettoyage, de l’aide à la personne des livraisons et des transports…tous ces « gens de rien » que l’on « croise dans les gares » selon l’expression méprisante du président …. devinrent des « héros ». Il « découvrit » que ces invisibles, mal payéEs et exerçant des métiers difficiles, étaient indispensables à la survie de la société. Ce fut pour les envoyer « au front », comme les personnels de santé, mal ou pas protégéEs. Ils ont payé un lourd tribut à la pandémie.
Par la suite, au fil des « vagues » successives, toutes celles et ceux qui participent à la production ou qui la permettent durent retourner au travail et furent souvent contaminéEs.
Les plus précaires, sans possibilité de se mettre en télétravail, contraints de prendre les transports en commun, vivant dans les conditions de logement les plus défavorables furent les plus exposés à perdre leur santé ou même leur vie en essayant de la gagner.
Sous couvert de « l’intérêt des enfants », la politique menée dans l’Education nationale par le ministre Blanquer ne parvint jamais à cacher son objectif réel : maintenir les écoles ouvertes pour permettre aux parents d’aller au travail. Semaine après semaine des protocoles aussi changeants qu’incompréhensibles pour les élèves, leurs parents et les enseignants se sont succédé, sans montrer la moindre efficacité. Ils firent des établissements scolaires de puissants vecteurs de la pandémie. L’incurie autoritaire de Blanquer déboucha le 13 janvier 2022 sur une grève très massive des personnels de l’éducation soutenue par les élèves et leurs parents.
L’absence de toute protection sérieuse sur les lieux de travail et d’enseignements a contrasté avec les mesures de privation de liberté très dures dans tous les autres domaines de la vie sociale. L’interdiction de déplacement, les couvre-feux, les lourdes restrictions pesant sur toute activité hors du travail (-loisirs, sports, culture, convivialité….), ont ramené l’existence de millions de travailleurs/euses au slogan « métro, boulot, dodo » . Ce décalage accompagnant la gestion autoritaire de la crise n’a fait que nourrir la défiance et l’incompréhension vis-à-vis des nécessaires mesures de protection face au virus.
Les « stop and go » : les échecs d’une gestion autoritaire
Au lieu de chercher à convaincre, de mobiliser de manière consciente la population, pour construire collectivement et démocratiquement les réponses réfléchies et adaptées pour combattre le virus, E.Macron choisit la voie « jupiteriennne » [5] autoritaire et répressive. S’étant auto-proclamé chef de guerre, c’est sur le mode militaire du général donnant des ordre à ses troupes et les faisant sanctionner quand elles ne les appliquent pas qu’il a prétendu gérer la crise. Le discrédit qui pesait sur lui et son exécutif après le mouvement des gilets jaunes et la réforme de retraite a rendu cette politique encore plus inopérante et insupportable.
Les nécessaires gestes de protection contre le virus ne furent souvent pas vécus comme des contraintes que l’on s’impose parce qu’on en comprend la nécessité, qu’on dispose des moyens matériels de les appliquer et qu’on participe activement à leur mise en œuvre. Ils apparurent comme des mesures répressives auxquelles chacunE cherche s’il le peut à échapper. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la levée des couvre-feux, et des confinements se soit chaque fois accompagnée de l’abandon généralisé des précautions élémentaires et aient favorisé la montée d’une nouvelle « vague » portée par un nouveau variant du virus.
Le traçage numérique par des applications en lieu et place d’un travail de proximité fait par des équipes sanitaires de terrain, outre les dangers qu’il représente pour les libertés, a lui aussi montré sa faible efficacité.
La stratégie autoritaire du pouvoir s’est traduite par la succession des « stop and go » : restrictions strictes quand la vague de contamination menaçait de déborder le système hospitalier, suivies d’assouplissement quand la situation s’améliorait. Elle a toujours eu un temps de retard sur le virus. L’inefficacité de cette stratégie a amplifié son rejet et a nourri l’exaspération. Elle fut pourtant poursuivie à l’occasion de la vaccination.
Le 4 décembre 2020 E. Macron déclarait au média en ligne Brut « je ne crois pas à la vaccination obligatoire pour ce vaccin. Je crois beaucoup plus au travail de conviction par la transparence qu’à l’obligation ». Six mois plus tard, confronté à une résurgence de la pandémie, le gouvernement instaurait la vaccination obligatoire pour certaines professions et le « pass vaccinal » restreignant drastiquement la vie sociale des non-vaccinés.
Les résultats de cette injonction vaccinale punitive sur la partie de la population la plus vulnérable et la plus éloignée de la vaccination ne furent pas probants : alors que dans de nombreux pays européens, la couverture vaccinale, sans obligation, s’est approchée de 100 % pour les plus de 80 ans, elle est restée de 87 % en France. Dans les quartiers les plus pauvres, les plus éloignés du système de santé, les taux de vaccination sont restés bas, alors que les personnes à risque (diabétiques, obèses ou hypertenduEs), y sont les plus nombreux.
Vaccins : la propriété privée et les brevets contre l’intérêt général
Outre sa gestion autoritaire, la politique d’E.Macron concernant les vaccins fut marquée par le refus de lever les brevets et de réquisitionner l’industrie pharmaceutique dans l’intérêt général.
Au début de l’année 2022, alors qu’il prenait la présidence de l’Union européenne pour six mois, le président français reçut une tribune signée par cent trente personnalités du monde scientifique, syndical, associatif à l’initiative du collectif « brevets sur les vaccins anti-Covid, stop : réquisition ».
Elle dénonçait son refus de soutenir la demande de levée des brevets portée par l’Inde et l’Afrique du Sud et rappelait que : « Les seuls bénéficiaires des brevets sont les actionnaires des entreprises pharmaceutiques, qui engrangent 1 000 dollars de revenus par seconde […]. Elle rappelait le bilan très limité du mécanisme de solidarité « COVAX » derrière lequel s’abritait le président français et ajoutait : « En décembre 2021, comme le souligne Oxfam, la France et l’Union européenne ont vacciné plus de 70 % de leur population, contre seulement 3 % de vaccinéEs dans les pays à faible revenu. Devant ces chiffres sans appel, certains parlent d’apartheid vaccinal. […] »
Cet appel traçait enfin une alternative possible : « Médecins sans frontières et Human Rights Watch recensent plus de 100 sites en capacité de produire rapidement des vaccins à ARN-messager. Pour fabriquer 8 milliards de doses d’un vaccin équivalent au Pfizer avec 1 386 salariéEs répartis sur cinq sites, 9,43 milliards de dollars suffiraient selon les calculs des chercheurs de l’Imperial College, en lien avec l’association Public Citizen. 9,43 milliards de dollars, à comparer à plus de 30 milliards de dollars donnés aux laboratoires pharmaceutiques pour vacciner seulement la partie la plus riche de la population mondiale. De quoi vacciner à deux doses la partie de l’humanité privée de vaccins ! »
E. Macron resta sourd à cet appel, comme il l’avait été tout au long de la crise sanitaire aux demandes de levée des brevets et de réquisition des industries pharmaceutiques pour répondre aux besoins.
Son nationalisme vaccinal, et l’apartheid qui en découlait vis-à-vis des pays du « sud », outre la discrimination scandaleuse qu’ils instauraient vis-à-vis des populations de ces pays ont eu un effet boomerang. Au lieu de protéger les populations des pays riches (dont la France) qui ont monopolisé les vaccins, ils ont favorisé l’émergence et la propagation de nouveaux variants dans les pays du Sud (Amérique latine, Afrique du Sud, Inde…), qui ont à leur tour alimenté de nouvelles « » vagues » en Europe et en Amérique du Nord.
Un système de soins au bord de la rupture
Il faut enfin rappeler que la lutte contre la pandémie, malgré la mobilisation et les sacrifices des personnels de santé, a été entravée par la poursuite des politiques d’austérité qui ont affaibli l’hôpital public. Les malades directement touchés par le COVID, mais aussi l’ensemble des patients dont les opérations ou les soins ont été différés ou déprogrammés en ont subi les conséquences, parfois irréversibles.
L’épuisement, les conditions de travail de plus en plus insupportables, et l’absence d’espoir de toute amélioration ont poussé de nombreux soignants à déserter l’hôpital. Ces départs, non compensés par l’arrivée de nouveaux professionnels, ont nourri de nouvelles fermetures de lits et de services qui se poursuivent aujourd’hui. Le bilan s’est compté en morts évitables et retard de soins entrainant des séquelles irréversibles.
La psychiatrie publique (et tout spécialement la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent), sinistrée n’a répondu que de manière très dégradée aux demandes de soins en très forte augmentation.
Les personnes âgées ont été particulièrement touchées par les délais d’attente aux urgences, le manque de lits de réanimation, les difficultés d’accès aux soins dans les hôpitaux. Dans les établissements pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Les prises en charge inhumaines du fait du manque général de moyens ont été aggravées dans les établissements privés lucratifs par la recherche du profit maximum. Il a fallu les révélations d’un journaliste d’investigation sur le groupe ORPEA [6], pour que le pouvoir s’en soucie, et prenne quelques mesures, sans rien régler sur le fond.
Un mouvement social et ouvrier sur la défensive
Pendant les trois premières années du mandat d’E.Macron, les politiques de santé du pouvoir s’étaient heurtées à des résistances significatives [7]. Après juin 2020 et la signature du « Ségur de la santé » l’épuisement, le traumatisme des épreuves subies, l’absence d’espoir d’amélioration ont profondément modifié l’ambiance dans les services. A part la forte mobilisation des personnels n’ayant pas obtenu la prime de 183€ du « Ségur », les colères ont continué de couver dans les hôpitaux, mais elles ont cessé de s’exprimer sous forme collective, à quelques exceptions près. La fuite individuelle en quittant le travail, pour ne pas « laisser sa peau », est souvent apparue à beaucoup comme la seule issue. Elle n’a fait que davantage casser les collectifs de travail et rendre plus difficiles les luttes.
Le syndicalisme hospitalier, affaibli et avec des capacités de mobilisation limitées a été fortement impacté par la pandémie. De nombreuses équipes ont eu et continuent d’avoir de grandes difficultés à fonctionner. L’inertie des directions des fédérations syndicales du fait de leur impuissance à agir et/ou de leur refus d’organiser des actions d’ampleur, coordonnées, n’a fait que renforcer le repli sur soi et la passivité des salariées. Les collectifs (« interurgences » "interhôpitaux) qui avaient mobilisé dans la période précédente, n’ont pas davantage réussi à peser.
Contrairement à ce qu’ont affirmé Macron et ses ministres, une alternative à leur politique existait, tout au long de la crise COVID. C’est l’impuissance du mouvement social et ouvrier à la formuler et à l’incarner qui a laissé les mains libres au pouvoir.
Cette alternative aurait consisté à mettre en œuvre, pratiquement, dans les villes, les quartiers, les entreprises des initiatives concrètes, avec les acteurs de terrain auto organisés, pour assurer de manière participative la protection de la population (fabrication de masques, lutte contre les contaminations, aide aux personnes qui devaient s’isoler, etc.). Par la suite, il aurait fallu promouvoir de manière active une politique de vaccination par la persuasion tout en s’opposant aux mesures punitives vis-à-vis des personnes non convaincues par la vaccination.
Les appels, les initiatives unitaires pour la levée des brevets et la réquisition de l’industrie pharmaceutique sont restés trop limités pour inverser cette tendance.
Faute de telles perspectives, les colères ont pu être dévoyées par des forces réactionnaires (complotistes, anti-vax, extrême droite), notamment au cours de l’été 2021. Le refus de la politique vaccinale autoritaire a suscité une mobilisation avec des manifestations importantes. Le mouvement ouvrier en a été quasi absent. Même là où des initiatives ont été prises par des forces progressistes, elles n’ont pu, à de rares exceptions, imposer un rapport de force suffisant face aux forces réactionnaires.
La fin de la pandémie en 2023 n’a pas permis au mouvement social et ouvrier de reprendre l’initiative dans le secteur de la santé. La grande mobilisation interprofessionnelle contre la nouvelle réforme des retraites (janvier-juin 2023), peu suivie dans le secteur hospitalier, n’a pas inversé cette tendance. La défaite de ce mouvement n’a pas aidé à redonner espoir aux salariéEs de la santé. Ils sont pour l’instant sur la défensive, même si les questions de santé restent au cœur du débat politique.
La crise, une opportunité pour les contre-réformes
Piètre chef de guerre dans la lutte contre la pandémie, E.Macron a, pendant la même période, pleinement joué son rôle de « président des riches », au service du Capital. La crise sanitaire a été pour lui, une opportunité pour accélérer les contre-réformes de la protection sociale et du système de santé qu’il avait engagées depuis 2017. Privé d’une majorité absolue au parlement, après sa réélection en avril 2022, il n’en a pas moins poursuivi son offensive en utilisant tous les ressorts antidémocratiques que lui offre la Constitution gaulliste de 1958. [8]
1) Macron et « l’argent magique », ou comment utiliser la Sécurité sociale comme arme anti-crise pour mieux la détruire.
Pendant les premières années de son quinquennat E. Macron avait accentué les politiques d’austérité de ses prédécesseurs [9]. Quinze milliards d’économies étaient prévues en cinq ans sur l’Assurance maladie [10] dont la moitié sur les dépenses hospitalières.
Le manque de financement de la Sécurité sociale est la conséquence des politiques de « baisse du coût du travail » pratiquées par les gouvernements successifs. En 2012 le socialiste F.Hollande avait instauré le CICE (Crédit d’Impôts Compétitivité Emploi). Ce cadeau fiscal aux patrons, de 20 milliards d’€ par an, était accordé, sans contrepartie, au nom de « créations d’emplois » jamais démontrées [11] Le CICE a été transformé par E. Macron en exonération définitive d’une partie des cotisations que les employeurs doivent verser pour financer la Sécurité sociale. Ce pactole s’ajoute aux précédentes exonérations. Pour l’année 2023, il atteint 87,9 milliards d’€ (en hausse de 7% par rapport à 2022). Ce cadeau aux patrons et aux actionnaires est un choix politique de classe. Il crée de toutes pièces le prétendu « déficit » de la Sécurité sociale que Macron prétend ensuite combattre en réduisant les dépenses.
Le 5 avril 2018, une aide-soignante interpela le président, en visite au CHU de Rouen, sur le manque de moyen de l’hôpital. Il répondit qu’il n’y avait pas « d’argent magique » pour financer les dépenses hospitalières. La même réponse fut apportée tout au long de l’année 2019 aux personnels des services urgences en grève pendant plusieurs mois, puis à la mobilisation de l’ensemble du monde hospitalier fin 2019 pour refuser de satisfaire les revendications.
Pourtant, début 2020, confronté au risque d’effondrement de l’économie résultant de la pandémie, E. Macron sortit de son chapeau des milliards « d’argent magique » afin d’assurer un revenu de remplacement aux salariés confinés chez eux et de financer les dépenses exceptionnelles du système de santé (hôpitaux, tests, masques, puis vaccins). Ce fut le « quoiqu’il en coûte ». Au mépris de tous les serments libéraux, le « déficit » de la Sécurité sociale passa de 1,9 milliard en 2019 à 39,7 milliards en 2020. Il fut donc multiplié par 20. [12]
Comme le souligne Nicolas Da Silva : « alors qu’au nom de la santé, il n’était pas possible d’améliorer le système de soins en 2019, il a été possible, au nom de la santé de faire voler en éclats tous les dogmes en 2020 » [13]
Le risque d’écroulement de l’économie une fois éloigné, l’orthodoxie libérale a repris ses droits. Macron et son ministre des finances décrétèrent la fin du « quoiqu’il en coûte ». Après avoir utilisé la Sécurité sociale comme arme « anti crise », ils décidèrent de se servir de la crise pour mieux détruire la Sécurité sociale. Le « déficit » devint un argument pour justifier une nouvelle cure d’austérité notamment pour le système de santé.
Alors que les profits des grandes entreprises atteignent des niveaux sans précédent [14], les dépenses sociales exceptionnelles liées à l’épidémie ont été transformées en « dette » de la Sécurité sociale ; une « dette » que les assurés sociaux vont devoir rembourser, en y ajoutant les intérêts versés aux banques. Pendant neuf ans ils devront s’acquitter de la Contribution au Remboursement de la Dette Sociale (CRDS) [15], un impôt particulièrement injuste de 0,5% qui pèse uniformément sur tous les revenus. Il sera, pour l’essentiel, à la charge des classes populaires. Dans le même temps, les exonérations de cotisations sociales patronales continuent de progresser.
2) Moins de Sécu, plus d’assurances et de « franchises »
Le désengagement de la Sécurité sociale pour financer la santé entraine l’exigence d’autres modes de financement du systéme de santé. La protection sociale française s’aligne progressivement sur le modèle dit des « trois piliers » voulu par l’Union européenne. Une couverture sociale minimale, financée par l’Etat (pilier 1) est complétée par des assurances « complémentaires » d’entreprise (pilier 2) et/ou individuelles dites « surcomplementaires » (pilier 3).
La Sécurité sociale a été créée pour permettre à tous/toutes d’accéder « aux meilleurs soins », sans barrière financière. Son but était de faire de la santé un « bien commun » financé collectivement par les employeurs [16] pour répondre aux besoins de chacunE, indépendamment de ses revenus. A l’inverse, c’est aujourd’hui un système de santé « à péage », qui monte en puissance. La santé tend à devenir un « choix » de consommation individuelle dépendant des ressources de chacunE. C’est clairement la perspective tracée par E. Macron, lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024. Justifiant le doublement des « franchises » médicales à la charge du malade, il n’a pas hésité à affirmer : « Au moment où je vois ce que nos compatriotes peuvent dépenser pour les forfaits de téléphonie, la vie quotidienne… Se dire qu’on va passer de 50 centimes à 1 euro pour une boîte de médicaments, je n’ai pas le sentiment qu’on fait un crime terrible ».
Selon un récent sondage de l’IFOP [17] 37% des patients interrogés ont déjà renoncé à se soigner alors qu’ils en avaient besoin. Les principaux motifs donnés sont l’augmentation du coût de la vie (87%) , la non-prise en charge par la Sécurité sociale et la mutuelle de la totalité des frais (84%), la nécessité d’avancer le prix des consultations (78%).
Conséquence du déremboursement de soins et produits de santé par la Sécurité sociale, les tarifs des mutuelles et assurances complémentaires santé, indispensables pour accéder aux soins se sont envolés. Selon une enquête de l’association de consommateurs « Que Choisir ? » la hausse moyenne des tarifs des mutuelles, après avoir été de +7,1% en 2023, est d’environ +10% en 2024. Elle peut atteindre 30% pour certainEs retraitéEs.
Selon la même association, les tarifs des mutuelles avaient déjà bondi de 47% entre 2006 et 2017, alors que l’inflation a été de l’ordre de 17%. L’association souligne, de plus, la part considérable des « frais de gestion » de ces complémentaires. Ils avaient progressé de 30% entre 2010 et 2016. En moyenne, moins de 75% des cotisations aux assurances complémentaires reviennent aux assurés sous forme de remboursements contre 96% pour l’Assurance maladie (Sécurité sociale)
E. Macron et ses gouvernements ont activement contribué à augmenter la part des assurances complémentaires santé. On en citera ici trois exemples.
1) Le « forfait urgence » a été créé en 2022. Il est acquitté par les patients qui se présentent dans un service d’urgence, sans être hospitalisés par la suite. Moyen de sanctionner les patients qui viennent « inutilement » aux urgences, il peut être pris en charge par les mutuelles.
2) En octobre 2023, le taux de prise en charge des soins dentaires par la Sécurité sociale est passé de 70 à 60 %. Cette diminution doit être compensée pour les mutuelles (quand elles la prennent en charge) qui la répercutent sur leurs cotisations.
3) Le 100% santé, présenté comme l’une des mesures sociales phares d’E.Macron est un facteur d’augmentation des tarifs des mutuelles. Ce dispositif permet le remboursement intégral des modèles les moins chers de lunettes, prothèses dentaires et auditives. Il présente un avantage certain pour celles et ceux qui en bénéficient. Mais la « gratuité » qu’il accorde est là aussi, essentiellement à la charge des mutuelles, avec pour conséquence la hausse des cotisations.
3) Une santé de plus en plus inégalitaire
C’est le tableau d’un pays de plus en plus inégalitaire en matière de santé que présente la France après sept années de mandat d’E. Macron
- Tout en bas de ce tableau, se situent les étrangers en situation irrégulière, dont l’accès aux soins, déjà très restreint, est menacé. Une campagne honteuse de la droite et de l’extrême droite exige la suppression de l’Aide médicale d’Etat (AME) qui assure une protection santé minimum aux migrants sans papiers. L’AME, dont le coût est en réalité dérisoire (0,5% du budget de l’Assurance maladie) n’a finalement pas été abolie à l’occasion la loi dite « Darmanin » [18], mais le gouvernement s’est engagé à l’aménager rapidement dans un sens très restrictif.
-Viennent ensuite les 5% de la population qui ne disposent pas d’une mutuelle et qui sont placés devant le « choix » de faire face à des frais médicaux très élevés qu’ils n’ont pas les moyens de payer, ou de renoncer aux soins.
- Au sein même de celles et ceux qui ont une assurance complémentaire, les inégalités sont criantes. Celles et ceux dont les fins de mois sont difficiles sont contraints pour des raisons financières de se contenter des contrats les moins chers n’offrant qu’une couverture médiocre avec le risque de renoncer à des soins nécessaires. Seuls les revenus les plus élevés peuvent s’offrir des contrats qui garantissent une couverture complète (voire même le superflu, s’ils le souhaitent) .
- Les jeunes, les femmes et les plus âgés sont spécialement frappéEs par ces inégalités, notamment en raison de leurs plus faibles revenus. La logique de l’assurance s’impose au détriment de la solidarité. Ainsi le « risque » présenté par la personne âgée étant plus élevé, les cotisations des « seniors » aux assurances ou aux mutuelles augmentent avec l’âge et grèvent des retraites déjà faibles.
Les difficultés d’accès aux soins pour des raisons financières se cumulent avec les difficultés dues à l’étiolement du système de santé. Dans les « déserts médicaux », les possibilités de rendez-vous médicaux sont rares et tardives. Elles contraignent souvent à des déplacements lointains. La fermeture des urgences des établissements hospitaliers de proximité rend encore plus difficile l’accès rapide à l’hôpital, et contribue à l’engorgement des services restant.
Le désengagement du financement public du système de santé s’accompagne d’une volonté du pouvoir de stigmatiser et punir des classes populaires toujours soupçonnées de « profiter » d’une protection sociale trop généreuse. Pour les « responsabiliser » les sanctions financières punitives se sont multipliées depuis la pandémie. Le doublement des franchises en est la dernière illustration.
4) Hôpitaux, Urgences, EHPAD, après la pandémie, la crise s’approfondit !
Le drame vécu avec le COVID 19 n’a rien changé à la politique de l’exécutif vis-à-vis de l’Hôpital.
Les fermetures de lits, de services, d’établissements se poursuivent. Selon une étude de la DREES (ministère de la Santé) [19] en 2022, le nombre de lits hospitaliers a été réduit de 6713 soit -1,8% après avoir diminué de 1,4% en 2021. En 9 ans, ce sont 39 000 lits d’hospitalisation complète qui ont disparu.
Là aussi, le pouvoir utilise la crise pour forcer l’allure. Le manque de médecins hospitaliers [20], le départ massif de personnels aboutissent à de nouvelles fermetures de lits faute de personnel, qui ne sont pas réouverts par la suite.
Selon les directions d’hôpitaux elles-mêmes [21], l’inflation massive des coûts en 2023 n’a pas été prise en compte pour fixer les budgets hospitaliers, pas plus que les modestes améliorations des rémunérations (revalorisations, travail de nuit et gardes). Le manque de financement pour l’année écoulée s’élève à 1,9 mrd d’€. Faute de budgets, les quelques avantages acquis en matière salariale doivent être compensés par des réductions d’emplois. Pour l’année 2024, avec un taux d’évolution de 3,2% très inférieure aux coûts réels prévisibles, la sous-évaluation serait de 2 mrd d’€, et contraindra à de nouvelles compressions d’effectifs [22].Arnaud Robinet, président de la Fédération Hospitalière de France, élu appartenant pourtant à la « majorité présidentielle » déclarait : « Le temps où l’hôpital public était la variable d’ajustement des débats sur la dette doit s’arrêter » [23].
Le principal symptôme de la crise hospitalière est « l’engorgement » des services d’urgence, ou des patients séjournent, faute de place sur des brancards pendant des heures.
La crise des urgences qui avait éclaté en 2019 n’a fait que s’aggraver pendant et après la pandémie. La nomination comme ministre en 2022 de F. Braun, médecin urgentiste, ne l’a pas enrayée. L’association, Samu Urgences de France, dont il était auparavant président n’a cessé de dénoncer les conséquences dramatiques de la situation. Dans une enquête (partielle) menée entre décembre 2022 et janvier 2023, elle a recensé 150 cas de décès attribués au séjour prolongé de patients aux urgences. Selon Yonahan Freund, médecin urgentiste à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, et auteur principal de cette étude. « La surmortalité est de 46%, presque 50% donc, si vous avez passé une nuit sur un brancard aux urgences. Pire, si on s’intéresse plus spécialement aux patients âgés qui ont une autonomie limitée, donc encore plus fragiles, ces patients-là meurent près de deux fois plus s’ils passent une nuit sur un brancard plutôt que dans un lit d’hospitalisation classique ».
Outre l’impossibilité de consulter, en ville, un médecin dans un délai rapide, la cause réelle de l’engorgement des urgences est l’insuffisance des lits hospitaliers. Les patients restent des heures ou des jours aux urgences, parce qu’il n’y a ni lits ni personnels pour les recevoir dans les services où ils devraient aller. Cette pénurie est la conséquence directe des choix politiques du pouvoir et non, comme celui-ci voudrait le faire croire d’une utilisation abusive des urgences par les patients.
Les mesures prises pour y remédier (filtrage des urgences, renvoi vers des consultations non programmées) ne s’attaquent pas au cœur du problème et ne peuvent qu’améliorer à la marge la situation, tout en augmentant les risques pour les malades.
Aucune solution n’a été apportée, ni à la crise des soins de ville, ni à la crise hospitalière et les déclarations du nouveau Premier ministre, G. Attal comme celles du président de la République lors de sa conférence de presse du 16 janvier, ne font que reprendre les quelques recettes inopérantes et mesures punitives des années précédentes en les aggravant. L’objectif d’E.Macron de « désengorger » les urgences, annoncé d’abord pour décembre 2023, n’a pas été tenu. L’Hypothèse qu’il puisse l’être, comme annoncé, pour fin 2024, semble malheureusement bien improbable.
5) Macron, promoteur actif du capitalisme sanitaire
L’austérité budgétaire n’est qu’une des faces de la politique de santé du pouvoir. Elle concerne exclusivement le financement du service public de santé. Son but premier est, nous l’avons vu, la « baisse du coût du travail », en exonérant les patrons d’une part de leurs cotisations sociales.
Mais, dans le même temps, la réduction de la place du service public poursuit un autre objectif : favoriser la création et le développement d’un marché de la santé au profit d’un capitalisme sanitaire à la recherche de débouchés lucratifs. Pour y parvenir, l’argent public ne manque pas.
Au cours des dernières années, encouragé par les pouvoirs publics, le capital industriel et financier a connu une expansion rapide dans le domaine de la santé. Les laboratoires pharmaceutiques sont passés, depuis longtemps, aux mains de grands groupes capitalistes. Il en va de même aujourd’hui pour une grande partie des cliniques qui ont cessé d’être la propriété de leurs médecins actionnaires. Les EHPAD privés à but lucratif sont en pleine expansion. Cette évolution concerne maintenant aussi les soins de ville (médecine de ville, pharmacies d’officine, cabinets de radiologie, laboratoires d’analyse médicale) jusqu’alors aux mains de professionnels libéraux [24]. Les cabinets médicaux ou petits établissements dirigés par des professionnels libéraux, sont rachetés par des groupes, capables d’y investir massivement des capitaux et d’y appliquer des méthodes industrielles. Pour Benoit Poulain, chef des fusions et acquisitions pour le Groupe Elsan [25] dans la revue « Décideurs Magazine » : les « fonds d’investissement ont un véritable rôle de moteur. Ils permettent de moderniser, d’optimiser et d’industrialiser le secteur médical. »
Comme le souligne Nicolas da Silva [26],« L’apport en capital permet parfois de financer des investissements lourds et il implique toujours une réorganisation du travail. La financiarisation renforce les logiques de concentration et d’industrialisation des soins, souvent initiées par la politique publique elle-même ». Le même auteur souligne que ces investissements sont effectués là où ils sont susceptibles de devenir rentables, et non en fonction des besoins de la population. La financiarisation a, pour lui, une autre conséquence : la multiplication de surcoûts non remboursés par la Sécurité sociale.
Début janvier 2023 , E. Macron rappelait avoir investi 19 milliards d’€ dans le système de santé. Encore faut-il décrypter ces chiffres. Cet investissement est prévu sur 10 ans, mais surtout il ne concerne que très partiellement l’hôpital public, et pas du tout son fonctionnement. Tout au plus contribue-t-il à désendetter partiellement l’hôpital étranglé par un manque de financement chronique, et les intérêts à verser aux banques.
Les 19 milliards d’investissements sont largement affectés à « l’innovation en santé ». Le 29 juin 2021, E. Macron avait en effet dévoilé, devant les industriels des industries pharmaceutiques, et les institutions de recherche un plan de 7 milliard d’€ pour « faire de la France la première nation innovante en santé en Europe. « L’argent magique » coulait à flots pour encourager le développement de la recherche et de l’industrie privées. Présent à cette réunion, le président de la fédération française du médicament F. Collet avait exprimé sa gratitude : « les mesures annoncées… nous donneront les moyens de restaurer la compétitivité et l’attractivité de la France » [27] avait il déclaré.
Doctolib : quand une plateforme privée prend le pouvoir sur l’organisation des soins
Avec l’affaiblissement et le recul du secteur public, l’Etat crée sa propre impuissance et rend indispensable le recours au secteur privé, qui prend alors la main sur l’organisation du système de santé et lui impose ses propres objectifs. L’exemple de la plateforme de réservation de rendez-vous en ligne Doctolib, est, de ce point de vue particulièrement éclairant. Il illustre aussi comment la crise sanitaire a été utilisée pour favoriser son ascension.
Créé en 2013, Doctolib [28] permet de trouver et de réserver en quelques clics un rendez-vous médical. Dans un contexte de pénurie, Doctolib rend service aux patients qui peinent à trouver un rendez-vous, et aux médecins libéraux et établissements hospitaliers qui y trouvent un moyen commode pour gérer leurs consultations et réduire leurs frais de secrétariat médical. La start-up est ainsi devenue une « licorne » (estimée à une valeur de plus d’un milliard de dollars). Son succès a été favorisé par l’adhésion de grosses structures publiques (l’AP-HP à Paris en 2016 APHM à Marseille en 2019). La place dominante qu’avait acquise cette structure privée avant la pandémie lui a permis de se présenter comme indispensable à l’occasion de la vaccination, même si deux autres entreprises se sont aussi vu attribuer le marché. En retour, la vaccination lui a permis de renforcer encore son quasi-monopole.
Dès lors, comme le souligne Justin Delèpine [29], « Doctolib se rapproche donc de ce qu’on nomme une infrastructure essentielle, c’est-à-dire un acteur économique par lequel nous sommes obligés de passer ». Tout comme Bla Bla Car ou Uber, elle détermine et oriente par ses algorithmes les choix de ses utilisateurs.
Pendant la pandémie, les professionnels de santé ont ainsi perdu tout contrôle sur les priorités dans la vaccination. Leurs agendas ont été remplis d’office par celles et ceux qui maitrisaient le mieux les outils informatiques, au détriment de personnes qui auraient dû en raison de leur âge ou de leur état de santé être prioritaires.
Doctolib, entreprise privée qui oriente vers le soin en fonction de ses propres critères est très peu régulée. Son monopole ouvre la porte à une uberisation du systéme de santé, où médecins, professionnels et établissements de santé seront comme les chauffeurs et cyclistes Uber, sous le contrôle et la domination d’une application privée.
A la croisée des chemins : se ressaisir et agir
Après 4 années marquées par l’expérience de la crise sanitaire mondiale, le système de santé français est aujourd’hui dans une situation critique. La possibilité pour toutes et tous d’accéder à des soins de qualité régresse.
Le pouvoir a utilisé la crise sanitaire, non pour rompre avec ses politiques d’austérité et de privatisation dont la crise a montré l’échec, mais au contraire pour aller plus loin et plus vite dans ses attaques contre la Sécurité sociale, l’hôpital public et favoriser l’émergence d’un système privé, inégalitaire. Seules une mobilisation sociale articulant la lutte des personnels de santé et un combat social de l’ensemble de la population peuvent inverser cette tendance.
L’épuisement des personnels, l’affaiblissement du mouvement syndical et social, sont les obstacles à surmonter pour y parvenir. Des forces militantes qui ne baissent pas les bras s’y emploient. Le « Tour de France pour la santé » a réussi a fédérer des forces significatives du mouvement social et ouvrier et à rendre visibles les exigences de soins gratuits accessibles à toutes et tous grâce au 100% Sécu [30] et à un système public de santé non soumis à l’austérité. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que cette volonté se diffuse à la base et mobilise à la base les équipes militantes et les personnels de santé, ainsi que des secteurs significatifs de la société.
C’est pourtant la seule voie possible, et le temps presse.
Le 15 février 2024
J.C.Laumonier