Hiroshima et Tchernobyl, traumatismes fondateurs de la peur du nucléair semblent oubliés. Aujourd’hui, l’heure est au lancement de programme nucléaires civils et à l’affirmation d’un « droit à la bombe ». Ce retour du nucléaire est-il irréversible ou soumis à la possible résurgence de la peur susceptible de renaître à mesure que le nucléaire, civil comme militaire, se répand ? Le est nucléaire est ouvertement recherché. Il présente des avantage indéniables. L’énergie nucléaire confère une certaine indépendance énergétique, permet la maîtrise au moins partielle des coûts, facilite le respect des engagements de Kyoto. Ces avantages sont d’autant plus séduisants que le prix du baril flambe. De fait, en 2005, le coût de l’électricité a augmenté de 16 % en Allemagne, pour l’essentiel en raison du prix du gaz, qui suit de près celui du pétrole, alors qu’en France, le prix de l’électricité à court, moyen et long terme est resté stable.
L’arme nucléaire est un facteur de puissance. Le contre-exemple de l’Irak sert de référence aux quêtes nucléaires actuelles. Le pays a été envahi en 1991 et en 2003, invasions qui n’auraient sans doute pas eu lieu si l’Irak avait sanctuarisé son territoire grâce à l’arme nucléaire. De nombreux pays se sont convertis au nucléaire. Les prises de position en faveur du nucléaire civil se sont multipliées ces dernières années dans l’Union européenne et aux Etats-Unis. L’Argentine, le Brésil, l’Algérie, l’Arabie Saoudite, la Syrie, la Jordanie, l’Egypte et les pays du Conseil de coopération du Golfe ont annoncé le lancement de programmes électronucléaires. Mais c’est en Asie que la croissance démographique et les retombées de la croissance économique rendent l’option nucléaire impérative, et d’abord pour la Chine et l’Inde. L’accord de coopération nucléaire signé ces jours-ci par l’Inde avec les Etats-Unis devrait y contribuer. Quant à l’arme nucléaire, quatre Etats ont, soit révélé qu’ils la possédaient, soit annoncé qu’ils cherchaient à s’en doter, quitte à se mettre hors la loi. L’Inde et le Pakistan qui n’ont pas adhéré au TNP (traité de non-prolifération) illustrent le premier cas, la Corée du Nord et l’Iran, signataires du TNP, le second. Après des années de crises, d’accords signés puis dénoncés, la Corée du Nord a procédé à un essai nucléaire en octobre 2006 mettant ainsi fin au suspense. L’Iran est, lui, depuis 2003, engagé dans un bras de fer avec les Etats-Unis, et une partie de cache-cache avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), mais sa volonté de se doter de l’arme nucléaire ne fait pas beaucoup de doutes. Grâce au chantage nucléaire auquel ils se sont livrés, ces deux pays ont pu ouvrir un dialogue avec les Etats-Unis, ce qui était un de leurs objectifs. En témoignent l’accord multilatéral de février 2007 sur la dénucléarisation de la Corée du Nord ainsi que l’accord du 13 juillet 2007 entre l’Iran et l’AIEA.
Les risques liés au nucléaire n’ont pas disparu, au contraire. Les risques anciens demeurent. L’industrie nucléaire n’a toujours pas résolu le problème des déchets, ni éliminé la probabilité d’un accident de réacteur. En l’état actuel des connaissances scientifiques, il existe trois possibilités de traitement des déchets : le retraitement des combustibles usagés, le stockage direct et la mise en attente. Le retraitement ne brûle pas tous les déchets ; il reste des déchets « ultimes ». Le stockage direct pose la question de notre responsabilité à l’égard des générations à venir. La mise en attente, qui évite de choisir, est la solution privilégiée. Mais elle ne peut l’être indéfiniment. L’accident majeur n’est pas impossible, il est seulement improbable. Toutefois, cette probabilité, tout en restant très faible, s’est élevée ces dernières années. La vulnérabilité des centrales au risque d’inondation et au risque sismique a été révélée. Ainsi, la tempête qui traversa la France en décembre 1999 inonda partiellement la centrale du Blayais en Gironde. Et, en juillet dernier, un fort séisme au Japon a provoqué une fuite d’eau radioactive conduisant à la fermeture de la centrale de Kashiwazaki-Kariwa. A cette préoccupation s’ajoute le fait que les réacteurs nucléaires actuels, installés dans les années 60-70, ont vieilli sans être remplacés. Leur durée de vie a simplement été prolongée. Enfin, la « culture de sûreté » s’est dégradée, victime de la routine. Or, c’est elle qui permet de minimiser les risques inhérents à la fission nucléaire.
De nouvelles peurs sont apparues. La prolifération nucléaire en chaîne. Le fait que la Corée du Nord soit désormais une puissance nucléaire ne peut pas laisser indifférents la Corée du Sud et le Japon dotés d’une industrie nucléaire performante et qui ont mené, dans le passé, des recherches clandestines concernant l’enrichissement de l’uranium. La politique très agressive de l’Iran a déjà provoqué la relance du programme nucléaire civil égyptien. L’Egypte avait renoncé à l’arme nucléaire lors des accords de Camp David, mais l’option restait ouverte. D’autres pays du Moyen-Orient, à commencer par l’Arabie Saoudite, ont laissé entendre qu’ils ne resteraient pas passifs en cas d’un armement nucléaire iranien, et il est plus que probable que la Syrie et la Turquie se posent également des questions. Tous ces pays ont certes adhéré au TNP. Mais l’effondrement du régime de non-prolifération ne prédispose pas à un strict respect de ses règles, d’autant plus que les Etats-Unis, qui les ont mises en place sont les premiers à en dénoncer les insuffisances. L’offre de biens et de technologies nucléaires qui se fait désormais échappe très largement aux contrôles à l’exportation mis en place par les pays membres du Groupe des fournisseurs nucléaires. Un monde doté de vingt-cinq puissances nucléaires serait un monde où le recours à l’arme nucléaire ne pourrait être exclu. L’idée de dissuasion ne se déduit pas mécaniquement de la possession de l’arme nucléaire ; les doctrines d’emploi existent. Parmi les puissances nucléaires à venir, certaines voudront utiliser leurs bombes, à l’instar de l’Iran qui souhaite « rayer Israël de la carte ». La multiplication des puissances nucléaires élèvera également les risques d’attaque surprise, voire de guerres par accident. La multiplication des centrales nucléaires — cibles de choix pour les terroristes — ainsi que des Etats nucléaires augmentent la probabilité du risque terroriste. Le retour du nucléaire, riche de promesses économiques, est lourd de menaces stratégiques et environnementales. On peut choisir de les nier. On peut aussi garder à l’esprit, comme marqué au fer rouge, le souvenir des bombardements nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki et de l’accident de Tchernobyl, et espérer qu’ils ne soient pas notre avenir.