L’eau potable est indispensable à toute vie humaine et animale. Pourtant, aujourd’hui, 1,4 milliard d’êtres humains n’y ont pas accès. D’après l’Unesco, cette situation va empirer, puisqu’ils seront 2,5 milliards en 2025. Parmi les maladies affectant les pays du Sud, 80 % sont liées à une consommation d’eau non potable, et quatre millions d’enfants en meurent chaque année. L’idée que l’eau ne pouvait plus être considérée comme une marchandise, mais qu’elle appartenait au patrimoine de l’humanité, a été réaffirmée avec force lors de ce forum social. L’eau doit être accessible à tous, en quantité suffisante. Elle ne doit pas menacer la santé des usagers, ni être source de profit. Il paraît donc urgent de se réapproprier le pouvoir des multinationales, qui commercialisent l’eau potable et transforment la planète en marchandise.
Le journaliste Marc Laimé (1) a minutieusement décrit le rôle des multinationales dans la gestion de l’eau en France, notamment celle de la Compagnie générale des eaux (CGE), créée en 1853 par un décret de Napoléon III ; de la Lyonnaise des eaux, créée plus tard, en 1880 ; et enfin de la Saur, créée en 1933. Si, depuis 1790, la Révolution française a confié aux maires la production et de la distribution de l’eau, ces trois compagnies ont réussi, depuis le Second Empire, à se voir déléguer le service de l’eau dans la moitié des communes, ce qui concerne plus de deux tiers des Français. Si elles vendent 81% de l’eau potable distribuée en France, les régies municipales directes n’alimentent plus que 25% des Français. Au niveau mondial, 95% de la population sont desservis par des régies publiques, et seulement 5% par le privé.
Si les « trois sœurs » ont pu devenir les plus importantes multinationales de l’eau de la planète, c’est en pratiquant une mise en coupe réglée du pays depuis Napoléon III. Leur enrichissement est lié aux contrats de délégation de service public, qui laissent une liberté d’action totale au délégataire, à l’écart de tout contrôle public réel. Le retour en régie municipale directe ou en syndicat de communauté d’agglomérations est donc une condition indispensable à la réappropriation démocratique de ce service public local par la population et ses élus.
Au forum social sur l’eau de Cherbourg, la table ronde traitant du « Retour en régie publique, enjeux et difficultés » a constitué le temps fort. Trois élus, Daniel Bosquet, de Cherbourg, Thierry Burlot, de Lanvollon (Côtes-d’Armor) et Jacques Drapier, de Neufchâteau (Vosges), ont expliqué leur combat enthousiasmant, mais pas toujours facile, pour défendre les intérêts de leurs concitoyens contre les multinationales de l’eau. Pour eux, la clé du succès, pour un retour de l’eau dans le giron public, réside dans la mobilisation des élus, mais aussi de toutes les associations d’usagers et de mouvements comme Attac.
Une autre table ronde a été consacrée à « L’eau, enjeu de santé publique en France et dans le monde ». Avec Claude Danglot, médecin syndicaliste CGT, Matthieu Calame, président de l’ITAB et Mehdi Lalou de l’INSEA du Maroc, il est devenu clair qu’entre une eau répondant aux normes de potabilité et une eau qui ne rend pas malade, il est plus sûr de consommer la seconde pour éviter toutes les molécules toxiques échappant aux normes, quotidiennement déversées par l’agriculture productiviste dans nos rivières et nos nappes phréatiques. Le forum de Cherbourg a marqué un tournant dans la mobilisation collective des citoyens pour se réapproprier l’eau.
Correspondants
1. Auteur de Le Dossier de l’eau, pénurie, pollution et corruption, Seuil.